Sorti en 2010, Battle Academy est un wargame tactique inspiré d’un jeu de la BBC et permettant de découvrir de nombreuses batailles ayant eu lieu durant la Seconde Guerre mondiale. En 3D, rapide à jouer, utilisant un damier au lieu d’une grille hexagonale, et aux mécanismes faciles à prendre en main, le jeu propose néanmoins des règles rigoureuses permettant de jouer des combats face à une IA qui ne vous pardonnera pas les faux-pas.

Battle Academy a été régulièrement mis à jour et bénéficie de plusieurs extensions, ainsi que d’un mode multijoueur (PBEM++) offrant la possibilité aux wargamers vétérans comme aux débutants une fois qu’ils sont aguerris avec l’IA de chercher de nouveaux adversaires à leur hauteur. Nous avons demandé à Phil Veale, directeur technique chez Slitherine, de nous donner son point de vue sur l’Intelligence Artificielle dans un wargame. Particulièrement quand celui-ci se destine à un plus large public que celui traditionnel des simulations historiques.

 

1/ Pour vous, qu’est-ce réellement qu’une IA dans un wargame ? Une suite de scripts et d’algorithmes, bien sur, mais encore ?

Je pense que c’est ce qui est nécessaire pour donner au joueur une bonne expérience de jeu. Différents joueurs attendent différentes choses de leur IA, et ainsi avoir des options ou des niveaux de difficulté est toujours une bonne idée. Construire votre IA de manière à ce qu’elle vous surprenne est un bon moyen pour que le jeu garde sa fraîcheur, et de maintenir le joueur vigilant.

2/ Pour un wargame PC, quels sont différents modèles d’IA ? Et les différents outils logiciels pour les développeurs ?

Cela dépend beaucoup du jeu que vous construisez – l’IA pour quelque chose comme War in the East est très différente de celle d’un jeu comme Panzer Corps. Et bien qu’il y ait en effet des AI middlewares, le mieux qu’ils peuvent faire généralement est de fournir un cadre dans lequel vous insérez la logique qui définit le type de décisions qu’un joueur doit prendre dans votre jeu en particulier. Parce que les wargames tendent à être très focalisés sur des sous-ensembles de prises de décision (que cela soit à haut niveau, au niveau d’une escouade, ou autre) pour un jeu donné vous avez généralement besoin de très différentes logiques.

Évidemment il y a des approches spécifiques qui sont toujours utiles (tel que l’IA étant capable d’explorer de nombreux arbres décisionnels pour déterminer un résultat) mais il n’y a pas tant que ça d’outils disponible qui aident réellement un développeur de wargames.

Operation Market Garden
Operation Market Garden

3/ Que permet sommes toutes pour les développeurs la puissance de calcul d’un PC moderne, récent (+/- 2 ans), et de bonne qualité ? 3D mise à part, quelles autres contraintes techniques y a-t-il ?

Vous pouvez faire plus d’IA avec un processeur plus rapide, mais généralement l’IA n’est pas limitée par le processeur ou d’autres contraintes du matériel. Pour un jeu en tour par tour les joueurs attendent souvent que l’IA prennent un bon moment à calculer (et seront parfois confus si elle ne le fait pas – assumant alors qu’elle n’est pas très bonne !).

Pour un jeu en temps réel plus de puissance processeur permet bien plus de décisions par cycle, ce qui est une bonne chose. Mais la plupart des jeux doivent fonctionner sur une large variété de systèmes et donc (à moins que vous ne mettiez à l’échelle l’IA, rendant un jeu plus difficile meilleur le système est !) l’utilisation de processeurs plus rapides tend à être adoptée plus lentement que les processeurs eux-mêmes.

4/ Certains types de wargames, donc de conflits historiques, ou d’échelles de jeu, sont-ils plus appropriés aux IA (actuelles) ? Si oui, lesquels ?

Il y a des défis différents dans chaque différent genres de wargames, mais certains sont définitivement plus ambitieux que d’autres, en termes de bonne expérience à fournir au joueur. Généralement le plus variés sont les scénarios que l’IA doit gérer (en terme de types de troupes, de cartes, etc.) le plus difficile il est de construire une IA capable de s’adapter à toutes ces situations – e.g. c’est plus difficile dans un wargame qui doit tout prendre en compte depuis l’Antiquité jusqu’à Napoléon).

5/ Selon votre expérience dans le développement de jeux, quel(s) défi(s) technique(s) avez-vous rencontré ? Lesquels avez-vous pu surmonter ? Lesquels sont-ils encore une barrière ?

Le développement de jeux est en général un exercice d’équilibriste ! Aussi je tâche de ne pas y penser en ces termes. De toutes manières nous tendons presque toujours à aller beaucoup plus loin coté fonctionnalités, et donc s’adapter à des approches qui sont trop lentes ou coûteuse fait partie du boulot.

6/ Une IA alliée du joueur (pour un jeu incluant des alliances et de nombreuses factions) est-elle plus simple ou plus compliquée à réaliser qu’une unique IA ennemie du joueur (pour un jeu où il n’y a principalement qu’un seul adversaire) ?

Généralement je trouve cela plus simple – considérant que l’IA n’est pas dans une position de causer des problèmes au joueur humain ! Le joueur va de toutes façons tendre à vouloir au moins être d’une manière ou d’une autre aux commandes. Vous devez équilibrer une IA alliée pour que le joueur soit toujours celui qui ait l’impression de faire la différence – faite le ou les IA trop efficaces et le joueur peut se dire qu’elles n’ont alors pas du tout besoin de lui !

7/ Dans les jeux de stratégie et les wargames les IA sont très souvent meilleures en attaque qu’en défense, pourquoi ?

Cela va toujours varier selon les règles du jeu, mais je pense qu’il peut s’agir d’une question de perception. Si l’IA vous attaque, cela va à coup sur vous paraître plus dynamique et intéressant.

8/ Dans quelle mesure la perception qu’à le joueur de l’IA compte-t-elle ? Une IA d’un jeu peut-elle se contenter d’être moins bonne stratégiquement (qu’un adversaire humain), tant qu’elle est crédible ludiquement, dans ses actions ? Et donc au final, pour un jeu, offre un résultat amusant, donc satisfaisant ?

Absolument. A moins que vous construisiez délibérément un simulateur (ce qui est parfois le cas, bien sûr), le premier objectif doit être que le joueur s’amuse. Quels que soient les leviers que vous donniez au joueur, comme les niveaux de difficulté et ainsi de suite, vous devez vous assurer que ce qui se passe vaut le coup – plus peut-être que des processus de décision d’IA super-complexes ou la possibilité de jouer comme un power player.

C’est évidemment mieux d’avoir une IA qui joue bien au jeu et qui peut présenter un défi même aux meilleurs joueurs, mais je pense que nous aurons échoué si nous avons une IA spectaculaire et que 80 % des joueurs ne trouvent pas amusant de jouer contre elle.

Operation Sealion

9/ Niveau wargames, à quelles évolutions peut-on s’attendre pour les IA dans un avenir relativement proche ? Une idée probablement folle, si cela était possible techniquement, un wargame ayant son IA en partie dans le futur (et un peu hypothétique) « cloud » pourrait-il bénéficier d’un avantage (ex : puissance de calculs, comparaison des coups joués dans d’autres parties) ?

Je ne vois vraiment pas d’utilisation du nuage en ce qui concerne l’IA des jeux dans un futur proche – les processeurs modernes (et les GPUs pour certaines choses) sont si incroyablement rapides qu’ils peuvent facilement gérer plusieurs tâches qui aurait paru réservées à des super-ordinateurs il y a juste quelques années.

10/ Le jeu d’échec offre un plateau de 64 cases et 32 pièces. Donc une base bien moins importante qu’un bon wargame, et encore moins que certains « monster wargames ».
Avec 256 processeurs en parallèle (soit 200 millions de coups / sec.), en 1996-97 Deep Blue a fini par battre le champion du monde d’échec Gary Kasparov. En théorie, bien programmée, la machine ne fait pas d’erreur. Mais même avec un super-ordinateur, malgré tout il lui manque presque toujours la vision stratégique, la vue d’ensemble ? Si l’on augmente la taille du « plateau de jeu », pour une simulation vidéoludique tout n’est-il que puissance de calculs ?

C’est plus une question de règles que de taille du “plateau de jeu”. Le jeu d’échec a des règles très simples pour chaque pièce, et de très simples conditions de victoire / défaite, ainsi qu’une longue histoire de ses tactiques. Quelque chose comme War in the East a une plus grande variété d’unité et d’états pour les unités, de conditions de victoire, et même de restrictions qui changent au fil du temps (comme le climat).

La masse de décisions différentes qui peuvent être prises à un moment donné submergerait presque n’importe quelle approche qui essaierait d’utiliser les mêmes techniques qu’une IA de jeu d’échec. C’est là où le programmeur d’IA doit amener sa connaissance du jeu et des règles pour garder, pour réduire l’ensemble des solutions et parvenir à des approches qui ne nécessitent pas de générer des millions d’états de jeu pour déterminer des bonnes décisions.

11/ Question subsidiaire : si dans un wargame une IA pouvait battre à coup sur un joueur aguerri, quel que soit le théâtre d’opérations simulé, un bon jeu doit-il limiter l’IA pour nécessairement laisser gagner le joueur ?

Je pense que c’est bien d’avoir une IA tueuse en tant qu’option (si vous parvenez à en construire une !), mais si votre jeu offre seulement une expérience où un débutant est immédiatement et largement battu sans arrêt, et bien, je pense que la plupart de vos joueurs iront voir ailleurs !

 

Tous nos remerciements à Phil Veale et Slitherine pour avoir accepté de répondre à nos questions.

Pour plus d’informations sur Battle Academy, voyez en complément notre test de l’extension Blitzkrieg France. Nous reparlerons bientôt du nouvel add-on Operation Husky.

Operation Husky

English version

1/ For you, what’s really an AI in a wargame. Several scripts and algorythms, of course, but anything more ?

I think it’s whatever needs to be done to give the player a good experience. Different players will want different things from their AI, and so having options or difficulty levels is always a good idea. And building your AI in such a way as to surprise you is always a great way to both keep the game fresh, and to keep the player on their toes.

2/ For a PC wargame, what are the differents AI models ? And the differents software tools for developers ?

It’s very much dependent upon the game you are building – the AI composition for something like War in the East is very different to the AI for a game like Panzer Corps. And while there is definitely AI middleware out there, the most they can do generally is provide a framework into which you need to put the logic which defines the kind of decisions that a player needs to make for your specific game. Because wargames tend to be very focused on a given subset of decision making (be it high level, squad level, or something else) you generally need very different logic for any given game. Obviously there are some specific approaches that are always useful (such as the AI being able to explore lots of decision trees to determine an outcome) but by and large there are not a large number of tools available which really help wargame developers.

3/ What is possible with the computing power of a modern PC (more or less 2 years old) of good quality ? 3D asides, what other technicals constraints are there ?

You can definitely do more AI on a faster CPU, but generally AI hasn’t really been limited by CPU power or other hardware constraints. For turn based games players often expect the AI turn to take a decent length of time (and sometimes will become confused if it doesn’t – assuming that the AI can’t be very good!). For realtime games then having more CPU power does allow for a lot more decision making per tick, which is a good thing. But most games need to run on a wide variety of systems and so (unless you can scale your AI, making for a tougher game the faster your system is!) the exploitation of faster CPUs tends to be introduced much more slowly than the CPUs themselves.

4/ Are some kind of wargames, so of historical conflicts, or scales of games, more appropriate for (current) AI ? If so, which one ?

There are difference challenges for all the different wargame genres out there, but some are definitely more challenging than others, in terms of providing the player with a good experience. Generally the more varied the scenarios that the AI needs to handle (in terms of troop types, maps, and so on) the tougher it is to build an AI able to adapt to all these situations – e.g. it’s tougher in a wargame which needs to handle everything from ancients to Napoleonics.

5/ From your experience in game design, what technicals challenges have you meet ? Which one did you overcome ? Which one are still a barrier ?

Game development is generally a balancing act! So I don’t tend to think in those terms. We tend to almost always over-reach on features anyway, and so adapting to approaches which are too slow or expensive is part of the job.

6/ Is an AI allied with the player (for a game including alliances and several factions) more simple or more complicated to build than a unique AI enemy of the player (for a game where there’s mainly one adversary) ?

Generally I find it simpler – provided the AI isn’t in a position to cause any problems for the human player! The human will tend to want to be at least somewhat in charge anyway. You definitely want to balance any coop AI so that the player is still the one who feels like they are making the difference – make the AI too helpful and the player may feel that they aren’t needed at all!

7/ In strategy games and wargames AI are very often better in attack than in defense, why ?

It’s always going to vary depending on the game rules, but I think it might well be a question of perception.  If the AI is attacking you, it definitely is going to feel more dynamic and interesting.

8/ To what extent the perception of the AI from the player has to be taken into account ? Can an AI in a game just be less good strategically (than a human adversary), as long as it offers a good gameplay with its actions ? And so at the end, for a game, offers an entertaining result, thus something satisfying ?

Definitely. Unless you are deliberately setting out to build a simulator (which is sometimes the case of course) the primary goal needs to be that the player can enjoy playing the game. Whatever levers you need to give the player, such as difficulty levels and so on, to ensure that this happens are worth it – more perhaps than super-complex AI decision making or the ability to play like a power player. It’s obviously better to have an AI which plays the game well and which can challenge even the best player, but I feel we have failed if we have a spectacular AI that 80% of players don’t have any fun playing against.

9/ For wargames, what development can we expect for AI in a relatively near future ? A crazy idea probably, if that was possible technically, could a wargame having part of its AI in the future (and rather hypothetical) “cloud” gain an advantage (ex : computing power, comparing moves in same other games) ?

I can’t really see any use for the cloud in terms of gaming AI in the near future – modern CPUs (and GPUs for some tasks) are so blisteringly fast that they can easily handle task which would have seemed like Super-Computer territory just a few short years ago.

10/ A chess game has a board with 64 squares and 32 pieces. So a base less important than a good wargame, and far much less than some “monster wargames”.With 256 processors in parallel (allowing 200 millions move / sec.), in 1996-97 Deep Blue has finally beaten the world chess champion Gary Kasparov.
In theory, well programmed, a computer do not make mistakes. But even with a super-computer, the machine still lacks a strategical vision, a global view ? If we increase the size of the “board game”, for a wargaming simulation is it just a question of computing power ?

It’s more a question of the rules of the game. Chess has very simple rules for each piece, and a very simple victory / defeat condition, as well as a long history of its tactics and play being studied. Something like War in the East has a wide variety of units and unit states, victory conditions, and even restrictions which alter over time (such as weather and so on). The sheer volume of different decisions which can be made at a given point would overwhelm almost any approach which tried to use the same techniques as a chess AI. This is where the AI programmer needs to bring their knowledge of the game and rules to bear, to reduce the set of solutions and to come up with approaches which don’t require millions of sets of game state to be generated to determine good decision paths.

11/ Tiebreaker question : If in a wargame an AI could beat certainly an experienced wargamer, whatever the simulated theatre of operations, to be a good game does it have to limit the AI to necessarily let the player win ?

I think it’s fine to have a killer AI as an option (if you can build one!), but if your game only has an AI experience where any newcomer is immediately and comprehensively beaten over and over then, well, I think that most of your players will soon move on to a different game!

Our thanks to Phil Veale and Slitherine for taking the time to answer these questions.