Représenter un conflit n’est jamais chose aisée : que montrer ? Qu’écarter (on ne peut jamais tout dire) ? Pour ce qui est du jeu vidéo, le questionnement se complique : comment modéliser certains aspects difficiles à représenter de manière vidéoludique ? Faut-il chercher à plaire au plus grand nombre ou à quelques spécialistes du moment envisagé ? On a vu dans un article précédent que le contrat était plutôt bien rempli avec la guerre des Gaules dans Total War : Rome II. Là nous remontons le temps et allons donner dans la Grèce Antique, à l’heure où Rome n’était encore que peu de chose.

Contexte historique

L’Antiquité n’est pas exempte de longs conflits, et la guerre dite du Péloponnèse est l’un d’entre eux, qui court de 431 à 404 avant notre ère, soit près de trente ans. A une époque où l’espérance de vie était de l’ordre de 40 années, cela veut dire qu’elle dura plus d’une génération et que ceux qui la déclenchèrent ou connurent ses débuts n’en virent, comme le fameux Périclès, probablement pas la fin.

Or, elle survient dans un monde dont les tensions se sont exacerbées au fil du temps. Ainsi, la Grèce, éclatée en de très nombreux états (cités, royaumes…) avait su en grande partie faire cause commune contre la menace des Perses, et les vaincre au cours de deux guerres dont certaines batailles, telle Marathon, sont restées célèbres jusqu’à nos jours.

Une fois la menace écartée, la concorde disparaît peu à peu et les deux grands vainqueurs (Sparte et Athènes) se détournent l’un de l’autre au fil du temps. La grande cité de l’Attique institue une alliance qu’elle en vient bientôt à contrôler et pousse ses pions un peu partout dans le monde grec, jusqu’à la rupture en 431. De nombreuses cités n’acceptent plus sa domination et Sparte se fait leur champion.

Le combat est long entre les deux camps et malgré son nom (le Péloponnèse est la partie sud de la Grèce, contrôlée par Sparte) s’étend dans toute la Grèce et ses colonies, jusqu’en Sicile où les Athéniens sont défaits. Finalement, ils perdent même la guerre et, partant leur place dominante. Signe des temps, dans un état qui cherche des réponses et des bouc-émissaires : c’est peu après qu’a lieu le célèbre procès de Socrate.

Modélisation en termes de jeu

Après ce qui a été brièvement évoqué, on est en droit de se poser des questions : les états grecs sont très nombreux, le champ des opérations assez vaste, le conflit long et plein de ramifications… Comment transformer ça en expérience vidéoludique ?

Tout d’abord on remarque que le moteur de jeu de Total War – Rome II est tout à fait applicable à la Grèce ancienne : les arbres technologiques, les unités, et autres détails graphiques ont été revus et, comme pour la guerre des Gaules (voir notre précédent article), la carte refondue pour un résultat appréciable.
On a donc tout la complexité de l’espace hellène antique (enfin, presque, représenter TOUTES les cités était impossible) : un monde très divisé, les îles représentées, la côte ionienne (Turquie actuelle) fidèle au postes… Ainsi que les marges de cet ensemble : la Macédoine (qui n’est pas encore celle d’Alexandre le grand) et l’Épire par exemple.

Par contre, on regrette d’emblée l’absence de la « Grande Grèce », c’est-à-dire de l’Italie du sud et de la Sicile. En effet cette région a connu des affrontements majeurs durant cette guerre, et notamment une expédition athénienne qui s’est terminée en catastrophe. De plus elle mit en scène un personnage central de cette guerre, le « bel Alcibiade ». C’est donc fort dommage qu’on ne puisse évoquer cela… D’autant plus que l’expédition soulignait l’importance de la marine dans ce conflit, grande force d’Athènes. Bien sûr, il reste de quoi faire le long des côtes grecques et méfiez-vous des voiles à l’horizon !

De plus, je tiens à souligner la difficulté de mettre en scène quelques traits pourtant caractéristiques de ce conflit : durant sa première partie, les Spartiates ravagèrent régulièrement la campagne autour d’Athènes. En réponse, Périclès, l’homme fort de l’époque, fit se réfugier la population et les ressources derrière « les longs murs », fortification linéaire (assez rare à l’époque) qui reliait Athènes à son port, le Pirée.

Par contre, on salue la possibilité de jouer la ligue Béotienne (dirigée par la puissante cité de Thèbes) et Corinthe (qui contrôle l’isthme du même nom, donc l’entrée du Péloponnèse) en plus d’Athènes et Sparte… Or, les deux sont au contact d’Athènes et peuvent la menacer directement, un beau défi à relever. Enfin, la présence de quelques données historiques comme l’importance des hilotes, serfs utilisés par Sparte, est toujours la bienvenue.

Pour finir, outre la refonte assez précise de la carte de la Grèce par rapport à la Grande campagne, on saluera un découpage de l’année plus long et tout simplement la possibilité offerte de rejouer ce conflit si particulier : les positions des belligérants sont très éclatées et d’autant plus difficiles à gérer, les protagonistes nombreux et l’issue souvent incertaine… D’autant plus que lever de puissantes unités comme les célèbres hoplites prend 4 tours !

En guise de conclusion, un bilan mitigé en ce qui me concerne, mais je recommande tout de même ce DLC aux passionnés de cet affrontement titanesque qui brisa la toute-puissance athénienne. De manière plus générale, un Total War centré sur la période serait appréciable : qui n’a jamais rêvé de se battre aux côtés (ou d’écraser !) les Spartiates de Léonidas aux Thermopyles ?

Liens utiles : Site officiel (wiki)fiche du jeu sur Steam

Vidéos de gameplay : Leviath 40 a terminé il y a un petit peu plus d’un mois une série de vidéo de gameplay (voir ci-après) présentant le déroulement d’une partie avec le DLC Courroux de Sparte. Alternativement voyez aussi par exemple cette plus longue série réalisée par Crixosgamer, dont la 24ème épisode vient de paraître.

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Sparte s’empare de la partie nord de la grande l’île d’Eubée. Gare aux flottes athéniennes !
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Les positions au début du conflit. Les adversaires sont proches.
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On le voit mieux ici: une attaque combinée de Thèbes et Corinthe pourrait-elle prendre Athènes ?
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Aspect partiel de l’arbre technologique de la campagne, adapté au monde grec.
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Carte des principales factions.

7 Commentaires

  1. Le plus gros “problème” historique c’est que Athènes ou les autres n’ont jamais dominé directement les territoires mais que la gestion des “empires” grecs se faisait par le contrôle des cités soumises par des tributs et l’imposition du régime, en aucun cas la cité dominante ne gérait les affaires et territoires des autres cités.

    • Pas tout à fait ! Athènes a imposé des magistrats dans d’autres cités comme les hellespontophylaques pour garder le contrôle des détroits (Bosphore, Dardanelles). De plus elle a installé des garnisons permanentes et des colons dans son “empire”, spoliant ses alliés. Ce sont eux qu’on nomme les clérouques. Son contrôle était justement trop étroit et grand pour être supporté. Exemple extrême: Athènes expulse tous les habitants d’Egine pour les remplacer par lesdits clérouques.

  2. La guerre du Peloponnese, justement du fait du relative faible nombre de bataille rangee et de son caractere d usure, est inadapte a un Total War. Conflit interessant qui merite un jeu a part entiere mais probablement peu vendeur

  3. Et puis il y a eu la paix de Nicias au milieu de cette guerre.
    C’est frustrant pour un Total War….

  4. Merci pour cet article très intéressant selon un angle inusuel.

    Pas de Total War en classe pour expliquer à ses élèves la guerre du Péloponnèse ? Blague mise à part, je me demandais s’il y avait des professeurs parmi les lecteurs de ce site et quel pourrait être l’utilisation de tels logiciels dans l’enseignement … ou dans des activités connexes (atelier de découverte, …)

    • Merci pour votre commentaire !

      Je suis justement prof d’histoire-géo et, en fin d’année, je compte utiliser ce genre de choses en classe, en effet.

      • génial ! S’il s’agit d’une vidéo montée ou tout autre rendu je serai content de jeter un coup d’oeil. Je ne suis pas dans l’enseignement mais je serai intéressé de voir les retours que peuvent en avoir les élèves … notamment les plus rétifs associant trop systématiquement “jeux vidéos / débilité mentale / isolement social”

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