Quand je me suis fait offrir le jeu de plateau, j’ai dû mener plusieurs batailles. Négocier une partie de la table familiale, celle dont le chemin de table s’accorde si mal avec les hexagones vert kaki. Ingérer patiemment les règles incrémentales de chaque « firefight » (scénario). Subir plusieurs défaites, toujours à l’extérieur. Faire l’acquisition d’un petit laser pour repérer enfin les hexagones en ligne de vue, colifichet dont la non possession expliquait à lui seul mes défaites…

Je finis par perdre le jeu de vue, la table étant définitivement réfractaire au carton. Pourtant le matériel et les mécanismes légitimement primés méritaient mieux. La sortie de l’adaptation PC de Conflict of Heroes laisse envisager une pratique apaisée sur l’écran sanctuarisé. Le portage sera-t-il à la hauteur des espérances ?

Contenu et type de jeu

A sa sortie en 2008 chez Academy Games, Conflict of Heroes – Awakening the Bear Russia 1941 – 1942 se révéla être un wargame purement tactique, au matériel de qualité (cartes modulaires en carton épais, pas de figurines mais de joli pions lisibles et solides, et deux livrets, le premier pour les règles, le second pour les scénarios. Un grand soin avait été apporté à la simplicité des règles et à leur mise en œuvre progressive au cours des scénarios (infanterie, déplacement, tir, puis groupes, cartes tactiques, reliefs, véhicules, artillerie, transport, fumigènes etc.).

Aujourd’hui, dès l’installation de la version PC une fois n’est pas coutume j’ai téléchargé et étudié le manuel. Et là, première surprise, il est bien plus succinct que celui du jeu de plateau. Le jeu vidéo introduit plusieurs tutoriels qui permettent de prendre la bête en main sans maux de tête, mais avec des risques de blessures à l’amour propre (si vous les trouvez trop difficiles, surtout le troisième, un conseil passez du coté soviétique).

Je vous propose de comparer ici point par point le jeu vidéo avec son grand frère qu’est le jeu de plateau, ce qui permettra aux connaisseurs comme aux néophytes de découvrir les différentes facettes et avatars de Awakening the Bear.

Le jeu de plateau proposait 10 scénarios, avec au final une belle durée de vie car les derniers nécessitent plusieurs heures de jeu. Le jeu vidéo en offre lui une débauche, avec non seulement les scénarios originaux, mais aussi les tutoriaux, des scénarios supplémentaires « géants », des scénarios « point buy » (où l’on crée sa petite armée à partir d’un budget), et surtout toute une palette de modes multijoueurs (hotseat, serveur) ou versus I.A.  Cela sans compter un éditeur de scénario permettant de laisser libre cours à votre créativité.

Aucune différence ici entre le jeu de plateau et le jeu vidéo, dans les deux cas Conflict of Heroes est un wargame purement tactique, sans campagnes liant les scénarios. Les événements se passent pendant la Deuxième Guerre mondiale sur le front de l’Est, durant l’opération Barbarossa. À noter toutefois que si le jeu vidéo est en anglais, il existe une V.F. éditée par Asyncron Games pour la version plateau.

Un wargame tactique avec au choix une vue en 3D …
… ou comme pour le jeu de plateau une vue en 3D avec des pions en 2D.

Mise en place et ergonomie

Difficile de lutter contre l’ordinateur dans ce domaine. En quelques dizaines de secondes, vous voilà prêt à jouer, les cartes et les pions installés. Attention, ce temps gagné risque de vous coûter cher si vous vous jetez bille en tête sans étudier préalablement la situation, vous voilà prévenu.

Autre avantage notable pour la version informatique, un WAF, Woman Acceptance Factor, infiniment supérieur (votre vie de couple vous remerciera), et la possibilité de sauvegarder une partie.

Le jeu de plateau était déjà un modèle du genre, avec des cartes modulaires solides et stables, des pions lisibles, des marqueurs adaptés et des aides complètes et compactes. Le logiciel va encore plus loin, avec :

  • Une carte 3D (graphismes certes limités, mais appréciable pour juger du relief), ou 2D (vue de dessus).
  • Des pions en 2D identiques à ceux en carton.
  • En option, des unités en 3D, option inutile et finalement peu élégante, qui sera probablement désactivée par les puristes.
  • Interface intuitive et rapide ; un clic, un coup d’œil ou un survol suffisent en général pour accéder aux information sur l’unité, les probabilités de hit, les lignes de vue, les points d’action restant.
  • Le déplacement des pions et leur activation sont bien conçus.
  • On peut passer automatiquement aux unités à qui il restent des points d’action.
  • Rotation et zoom libre du point de vue.
  • Prise en compte automatique des résolutions d’écran.
  • Gestion du « Fog of War ».

Malgré ses nombreuses qualités ce Conflict of Heroes sur PC comporte quand même quelques défauts :

  • En 3D les unités peuvent s’avérer difficiles à identifier…
  • Impossible de visualiser les lignes de vue à partir d’un hexagone libre (et là le petit laser sur la carte carton fait des malheurs, j’en ai fait l’expérience… cuisante).
  • Les forêts clairsemées sont difficiles à distinguer des bois épais, alors que leurs caractéristiques tactiques sont bien différentes.
  • Le zoom minimum est insuffisant pour avoir une vue complète des cartes les plus grandes (la mini-carte n’affiche pas les unités).
  • Pas de vue subjective, c’est un peu gadget, mais je trouve ce mode utile pour se représenter l’environnement.
  • Les déplacements au clavier sont en QWERTY, mais on n’a jamais à s’en servir si on utilise une souris.
  • Pas de mode fenêtré, mais le basculement d’applications entre le bureau et le jeu se déroule sans problèmes.

Les règles et le gameplay

Le jeu a été fidèlement adapté, j’ai retrouvé mes marques très rapidement. Il y a néanmoins quelques améliorations / options rendues possibles par l’informatisation :

  • Le Fog of War, option débrayable, est parfaitement géré (les unités ennemies peuvent être invisibles, cachées et disparaître de la vue).
  • Persistent APS est l’option la plus structurante.

Le jeu plateau permettait en partie l’utilisation du brouillard de guerre, mais c’était imparfait et bien plus lourd à gérer. Quant aux points d’action, dans le jeu original, chaque action d’une unité (un pion) donne l’occasion à l’adversaire de jouer une de ses propres unités. Quand le joueur actif en finit avec une unité, celle-ci devient en général passive (inactivable) jusqu’au prochain tour. Le jeu vidéo permet de jouer à l’identique, mais propose également le mode persistant APS, ou une unité peut jouer tant qu’il lui reste des points d’actions.

Il y a débat dans les forums sur les avantages respectifs de ces deux modes, mais, personnellement, je trouve ce nouveau mode plus agréable intuitif, quoique plus difficile à combattre contre l’I.A., car toute unité ennemie est susceptible d’être activée tant que le tour n’est pas fini.

  • Certaines limitations inhérentes à un jeu de plateau ont été supprimées.

Par exemple, l’influence du relief sur les lignes de vue est désormais gérée par des calculs 3D, au lieu des règles lourdes et imparfaites du jeu de plateau.

  • Les autres options présentes dans le jeu de plateau ont été conservée (point d’action variable, expérience des unités).

Au final la version informatique offre un confort de jeu supérieur, et, à mon avis, doit grandement faciliter l’apprentissage. Le jeu de plateau, qui avait déjà mis en place des scénarios très progressifs, est surpassé dans ce domaine, avec les tutoriaux et un wiki offrant manuel et exemples.

Conflict of Heroes offre de plus les modes multijoueurs classiques, en local ou via un serveur. Seul le PBEM manque, le principe du jeu étant incompatible avec ce mode (chaque action d’un joueur pouvant être, ou pas, l’occasion d’une réaction de l’adversaire).

Enfin, je ne suis pas compétent pour juger de la qualité de la simulation, mais les réactions dans les forums ont l’air assez positives sur le sujet.

Mise en place 2D, option terrain plat (flat).
Des pions en 2D identiques à ceux en carton.
Probabilité de touché affiché par simple survol de la cible, les cases en jaune représentent la zone attaquable.
Déplacement et rotation, l’orientation d’une unité importe beaucoup.

Intelligence Artificielle

Nous voilà enfin face à un joueur toujours disponible, voyons s’il sait se montrer à la hauteur comme adversaire. Il est difficile de l’évaluer sur un jeu asymétrique, qui est plus est avec le brouillard de guerre activé. Je vais donc jouer le scénario « Le Bunker » plusieurs fois, des deux cotés, et me faire une première opinion.

Sur ce scénario, les soviétiques doivent défendre deux zones, soit quatre objectifs au total, et cela leur permet par exemple soit de concentrer leur force sur une des zones, soit de les distribuer. On retiendra les points suivants.

Variabilité : l’I.A. varie ses placements et ses réactions.

Placement : l’I.A. optimise en général ses placements tactiques. On voit par exemple sur la capture d’écran ci-dessous que l’ordinateur a placé ses unités à l’abri du canon anti-tank.

Première zone d’objectifs (les étoiles rouge) : le village.

Respect des règles : je n’ai pas constaté de « triche », l’I.A. rate souvent ses cibles, elle ne semble pas deviner la localisation des unités camouflées ou invisibles.

Mécanismes : l’I.A. utilise ses points de bonus et ses cartes à bon escient (NDLR dans Conflict of Heroes chaque camp dispose de carte évènements pour modifier le cours de la bataille. Ex : sniper, bonus au morale, etc.).

Coordination : l’I.A. sait effectuer des contournements et se concentrer sur une cible.

Recherches des objectifs : en jouant allemand, l’I.A. a envoyé capturer la zone d’objectifs distantes avec une infanterie embarquée à bord d’un camion. Malheureusement pour elle, j’avais prévu le coup. Bien joué quand même, il est à mon avis impossible de gagner pour les allemands sans une manœuvre de ce type (et accessoirement, l’I.A. sait utiliser les transports quand il le faut).

Globalement, sur ce scénario déséquilibré en faveur des russes, l’I.A. ne s’en sort pas trop mal. Il me faudrait beaucoup de parties pour prononcer un jugement pertinent sur la qualité de l’I.A., mais je considère qu’il s’agit d’un « sparring partner » correct, qui sait utiliser tous les mécanismes à sa disposition et offrir un challenge intéressant.

Dernier aspect important, sur les deux captures d’écrans suivantes vous verrez que le jeu offre des statistiques détaillées sur le déroulement d’une partie. Incluant la possibilité de voir la carte entièrement découverte (pratique pour visualiser quelle unité a occasionné des pertes, quelle autre chez l’ennemi a survécu, etc.) et une fonction de replay.

 

Écran de réglage d’un scénario. Chaque bataille est ensuite présentée dans son contexte, avec des images d’archives à l’appui.
Écran de placement des unités. Le mode solo a largement de quoi bien vous préparer avant de vous lancer en multijoueurs.
Le gagnant est celui ayant le plus de points de victoire. Ici honneur à l’I.A.
Revanche ! Faut quand même pas exagérer… l’IA au panier !

Conclusion

Les développeurs de Western Civilization Software ont choisi une niche exiguë. D’un coté, les puristes ne jureront que par la version plateau et carton qu’ils ont déjà probablement acquise. De l’autre, beaucoup d’amateurs de wargames PC tactiques peuvent préférer des réalisations plus immersives comme Combat Mission. Ici on est plutôt en face d’un WCAO, un wargame carton assisté par ordinateur. Les wargamers en manque d’adversaires ou d’espace adapté au jeu de plateau, ainsi que les débutants cherchant un moyen de s’initier aux wargames vont eux y trouver leur compte.

  • Simulation fidèle au jeu de plateau, avec des options bienvenues
  • Richesse du contenu, nombre de scénarios et de modes de jeu
  • Réalisation de qualité, apprentissage simplifié, IA sérieuse
  • Mode multijoueur hotseat ou via lobby / serveur
  • Éditeur de scénario (non testé)
  • « WAF » incomparable pour garantir la paix dans les ménages
  • Graphismes 3D décevant
  • Quelques fonctions manquantes
  • Quelques problèmes de lisibilité
  • Des scénarios parfois déséquilibrés
Infos pratiques

Date de sortie : 8 mai 2012

Site officiel : Fiche chez Matrix

Prix : 37,99 € HT. Disponible en téléchargement dans notre boutique en ligne.

Jeu édité par Matrix et Slitherine en anglais. Le jeu de plateau est édité en anglais par Academy Games et existe en V.F. (chez Asyncron Games).

 

Autre lien utile : Wiki du jeu

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