Paru chez Armand Colin en avril 2024, peu avant les commémorations du 80e anniversaire du débarquement allié en Normandie, l’ouvrage Débarquement. Libération. Des préparations aux commémorations. 50 arrêts sur image est une nouvelle publication d’Emmanuel Thiébot. Historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et responsable du Mémorial de Falaise, il est déjà l’auteur de plusieurs livres sur cette période. Nous avions ainsi recensé son ouvrage sur la propagande consacrée au dictateur allemand.
Le sujet paraît cette fois plus connu et il est certain que la bibliographie que la question est déjà ample. On citera notamment La bataille de Normandie de Jean Quellien chez Tallandier et Le débarquement. Vérités et légendes de Nicolas Aubin chez Perrin. On rappellera aussi que l’actualité mémorielle conduit souvent les éditeurs à se coordonner avec elle et à proposer des livres en lien avec l’époque commémorée, ce qui n’a rien que de très normal. Malgré cela, l’ouvrage dont il est aujourd’hui question ne manque pas d’intérêt et n’est pas un livre de plus sur les années 1944-45.
Un format intéressant
Tout d’abord, le format de l’arrêt sur image change un peu de la production habituelle. L’auteur ne suit pas un récit classique par chapitres et grandes parties. Il revient en 50 arrêts sur image sur autant d’aspects du débarquement, de la libération du territoire français et de la mémoire de ces événements. De plus, il les relie aussi à d’autres fronts plus lointains, comme celui de l’est. La progression est à la fois chronologique et thématique, ce qui fonctionne ici bien.
Il y a évidemment des attendus : les préparations de l’opération Overlord sont détaillés comme son déroulement ou la Libération de Paris… Il y a de belles pages sur Charles de Gaulle et sur la Résistance… Mais également des points plus rarement traités comme l’entraide en France en 1944-45, sur l’idée de réutiliser les combattants espagnols de la France libre pour renverser Franco ou sur les liens entre combats en France et opérations militaires côté soviétique. Chaque arrêt sur image contient quelques pages de texte avec une image (tracts, affiches, photos…) qui est commentée. Or, beaucoup m’étaient inconnues. Elles proviennent de la collection de l’auteur et ne servent pas seulement d’illustration, puisqu’elles sont intégrées au récit.
Le fait que l’auteur soit quelqu’un qui travaille dans des institutions liées à la mémoire des événements est ici important à rappeler, car le lien entre les deux est systématiquement fait, à juste titre. En effet, le Débarquement et la Libération sont autant des questions d’histoire que des enjeux mémoriels et ce dès 1944 : quelle place accorder à la Résistance ? Que faire du maréchal Pétain ? Autant de questions brûlantes jusqu’à nos jours, et rarement faciles à évoquer. Cet ouvrage y aide.
Un texte efficace et à-propos
Le ton y est pour beaucoup. L’auteur adopte la réserve nécessaire de l’historien face aux faits. Il ne prend pas parti, n’instrumentalise pas comme beaucoup de politiques et de polémistes, mais expose les différents points de vue et les critique, dans le sens noble du terme. S’il ne s’agit pas d’un ouvrage d’érudition, mais grand public, cela ne veut pas dire que ces aspects soient sacrifiés. Le texte est clair, se lit bien, ne verse pas dans le jargon tout en exposant les enjeux de l’époque. C’est suffisamment important qu’on le rappelle, tant il est difficile au non-initié de se repérer dans les ouvrages existants.
Celui-ci est aussi à jour en termes d’historiographie. Les derniers développements de la recherche sont présents, y compris les sujets qui « fâchent ». Ainsi, les crimes de l’armée américaine (viols, pillages…) en France sont évoqués, comme le « blanchiment » de l’armée française et le sort parfois peu glorieux des prisonniers allemands, maintenus en France de longues années pour aider à la Reconstruction. Les violences coloniales à Sétif et en Indochine ont aussi toute leur place, ni exorbitante ni sous-estimée. L’historien doit s’emparer de toutes ces questions de manière dépassionnée et les exposer sans prendre parti, ce qui est clairement le cas ici. Évidemment, chaque arrêt sur image mériterait un livre à lui seul, mais il s’agit ici d’un format synthétique. Des notes renvoient à une bibliographie plus complète pour qui voudrait en savoir davantage.
Conclusion
Il s’agit donc d’un ouvrage intéressant, une excellente synthèse très utile au grand public ou aux enseignants du secondaire désireux de matière pour préparer leurs cours. La mise en page efficace, l’alliance texte-image et le format moins courant sont appréciables. On se prend certes à rêver d’une seconde édition encore plus fournie car quelques autres points mériteraient leur synthèse. Je pense au rôle de l’aviation et de la marine allemandes (très limité) qui pourrait être plus évoqué, ainsi que la participation des pays plus « secondaires » à la Libération de la France, comme les Belges, libérateurs de certains points du territoire (Trouville notamment). Les clichés américains sur les Français pourraient aussi être plus détaillés, comme certains aspects sociétaux moins « reluisants ». Ainsi, Paris vit une dernière effervescence des maisons closes en 1942-44, alors que les services de Vichy comme de la répression allemande utilisent de plus en plus des repris de justice, parfois des soudards fichés au grand banditisme. Peut-être pourrait-on aussi donner quelques pages sur la mémoire dans les arts de ces faits. Ce ne sont évidemment que des remarques pour un tableau encore plus complet. On souhaite à l’ouvrage une belle vie !
Fiche éditeur chez Dunod (un extrait du livre y est consultable en PDF).



