Voici un récit de partie réalisé avec le récent Eagles over Europe et présentant le scénario Lützen, sur le thème de la bataille du même nom ayant eu lieu en mai 1813 et plus globalement de la campagne dite d’Allemagne ou de Saxe, qui vit s’affronter les armées napoléoniennes face aux forces russes et prussiennes.

Scénario Lützen –  Kob (France) contre Anakleim (coalisés)

Après la catastrophique retraite de Russie, les débris de la Grande Armée se replient durant la fin de l’hiver derrière l’Elbe, abandonnant Berlin et Dresde aux coalisés. Mais Napoléon, rentré en France dès décembre, déploie une énergie sans limite et reconstitue une nouvelle armée faite de vétérans et de nombreux conscrits. En avril, il est en mesure de reprendre l’offensive afin de repousser les coalisés hors de Saxe et de Prusse, et rejoindre les garnisons laissées dans les places fortes de l’Oder. Il doit agir vite car l’entrée en guerre de l’Autriche se profile.

Les coalisés commencent avec 100 points d’avance sur ce scénario. Il me faut donc les attaquer et vaincre rapidement, la campagne ne durant que 21 tours. La majeure partie des troupes françaises se situent au Sud-Ouest de Leipzig, commandées par Napoléon et Oudinot. Une autre partie stationne non loin de Magdebourg, sous les ordres d’Eugène. Enfin, le corps de Davout démarre dispersé au Sud d’Hambourg.

Côté coalisés, Blücher garde Leipzig, en attente des renforts russes arrivant de Bautzen, à l’Est. Les troupes des généraux Wittgenstein et York sont dispersées au Nord, entre Berlin, Magdebourg et Wittenberg. Quelques unités défendent Hambourg.

Voyant que Berlin n’est presque pas défendue, et alléché par les 50 points de victoire que sa conquête me rapporteraient, je décide d’y porter mon attaque principale : plusieurs divisions de Napoléon remonteront donc en marche soutenue (plus rapide mais aggravant l’attrition) vers Magdebourg sous le commandement d’Oudinot pour se joindre à Eugène, le corps de Davout se dirigera lui aussi vers Berlin. Napoléon restera en défense à l’Ouest de Leipzig, du côté de Weimar. Une fois une armée conséquente réunie près de Berlin, j’y attaquerai des troupes bien inférieures en nombre, les battrai, puis redescendrai vers Leipzig pour y donner l’assaut, en coordination avec le corps de Napoléon. Toute mon armée participera à cette dernière attaque, la victoire ne pourra m’échapper. Il ne me restera alors plus qu’à déboucher le champagne.

Je crois surprendre mon adversaire qui doit logiquement s’attendre à ce que je fonce sur Leipzig d’entrée de jeu, et a sans doute prévu de s’y fortifier avec l’essentiel de ses troupes.

Tel est mon plan. Toutefois je sais mon adversaire difficile à duper. Et si ma manœuvre n’est pas rapide, il la déjouera sans doute.

Les premiers tours se passent tranquillement, malgré de fortes averses qui ralentissent les mouvements.

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Au bout du septième tour de jeu, Eugène se présente devant la ville de Brandenbourg, non loin de Berlin. Davout l’a presque rejoint. Quant aux unités d’Oudinot, en provenance du sud, je choisis de les faire passer par une route secondaire, via Wittenberg, afin d’éviter l’encombrement des routes. Napoléon reste en défense et envoie quelques reconnaissances de cavalerie vers Leipzig.

Deux tours plus tard Brandenbourg, défendue par une seule unité de Landwehr prussienne, est tombée et je continue mon avancée, sans attendre que les unités d’Oudinot, au nord de Wittenberg soient arrivées, persuadé qu’il me faut aller vite maintenant que le corps d’Eugène est détecté.

Et c’est une belle erreur : à l’Est de Brandenbourg, dans la forteresse de Spandau, je détecte une importante armée ennemie, fraîche, rassemblée, tandis que mes troupes sont désunies, suite aux marches forcées, et pas tout à fait regroupées. Si j’avais attendu les divisions d’Oudinot, je n’aurais pas eu de souci à me faire, mais dans cette situation, je crains que l’ennemi décide d’attaquer Davout et Eugène.

Je comprends que ma « ruse » a loupé. Les coalisés ont sans doute détecté mes mouvements et concentré à Berlin tout ce qu’ils avaient dans les parages, tout en redescendant leurs quelques divisions d’Hambourg.

J’hésite à reculer Davout et Eugène pour éviter une confrontation défavorable, mais je fais le pari que les coalisés n’oseront pas quitter leur forteresse pour engager la bataille. Je laisse donc mes troupes sur place pour les réorganiser.

Je décide en outre de modifier mon plan : les coalisés sont trop nombreux devant Berlin et ils bénéficient de bons éléments défensifs (forteresse de Spandau, fleuve). Une attaque frontale serait suicidaire. Pourtant je dois absolument agir, car j’ai encore 82 points de victoire à rattraper.

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J’envoie donc Oudinot vers Luckau que j’imagine fort mal défendu, et projette de le faire remonter ensuite au Nord pour attaquer Berlin par l’Est, contournant ainsi les défenses naturelles. Toutefois j’en détache plusieurs divisions que j’envoie au sud menacer Leipzig. En effet, mes reconnaissances de cavalerie m’ont permis d’observer que les troupes de Blücher n’ont pas fortifié Leipzig et qu’elles ont préféré se servir du fleuve plus à L’Est pour établir leur défense. De plus, l’armée de Blücher semble moins importante que prévu. Sans doute plusieurs divisions ont-elles été détachées et envoyées défendre Berlin. J’espère donc combiner une attaque de ces quelques unités séparées du corps d’Oudinot avec celles de Napoléon pour battre Blücher.

C’est en prenant une grande respiration que je valide mon tour…et c’est une catastrophe ! Les coalisés se sont rués sur Davout et Eugène. Les deux armées sont de taille comparable, mais la supériorité de mes commandants ne peut compenser la désorganisation de mes unités. La bataille est perdue. Toutefois, ce n’est pas décisif.

Deux options se présentent à moi : soit ordonner à Davout et Eugène de déguerpir en marche soutenue. Soit rester sur place et ramener en toute hâte les deux ou trois unités encore à l’arrière, de façon, en cas d’une nouvelle bataille, à obtenir une légère supériorité numérique et peut-être tenir l’adversaire en échec.

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J’opte pour cette dernière option. Oudinot continue son avance vers Luckau. Napoléon approche de  Leipzig. Je valide à nouveau mon tour, la peur au ventre, mais cette fois les choses se passent mieux pour moi : Wittgenstein a bien réattaqué Davout et Eugène, mais mes renforts amenés à toute vitesse me permettent d’obtenir un statu quo. Les coalisés choisiront de se replier le tour suivant.

Voici la situation au tour 12 (cf. image ci-contre et ci-dessous) :

Wittgenstein est retourné dans la forteresse de Spandau, à l’Ouest de Berlin. Les troupes de Davout et Eugène peuvent enfin se réorganiser, pendant que le petit corps d’Oudinot s’approche de Luckau, au Sud-Est de Berlin.

Napoléon marche sur Leipzig, tandis que plusieurs divisions françaises ont traversé le fleuve au Nord de cette ville.

Une bataille a lieu au tour suivant près de Luckau. Le résultat est indécis. Mais toutes les troupes d’Oudinot n’y ont pas participé, je nourris donc l’espoir de l’emporter le tour d’après. Hélas je coordonne mal mon attaque, disperse trop mes unités et perds le combat.

Napoléon prend Leipzig sans combattre et renforce le corps passé à l’Est du fleuve, au Nord de la ville.
Davout et Eugène se réorganisent à l’Ouest de Spandau.

Le tour 15 est épouvantable : Oudinot retraite ses unités battues et désorganisées jusqu’à la forteresse de Wittenberg, tandis que l’armée de Napoléon à l’Est du fleuve près de Leipzig se fait attaquer par un ennemi rassemblé et organisé. Du fait de l’encombrement des routes, toutes les unités françaises ne peuvent participer au combat : c’est un sacré revers, mon armée subit d’importantes pertes et est totalement désorganisée.

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Oudinot s’approche de Luckau, au Sud-Est de Berlin.
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Napoléon marche sur Leipzig.

A ce moment là je crois la partie perdue : au Nord, Davout et Eugène campent devant une forteresse très bien gardée. Au centre, Oudinot s’enfuit. Au Sud, Napoléon est battu et doit retraiter la majeure partie de ses troupes.

J’ai encore 80 points de victoire de retard, et il ne reste plus que 6 tours de jeu.

Heureusement les coalisés vont commettre deux erreurs : la première c’est de laisser un grand nombre d’unités dans la forteresse de Spandau et presque rien dans Berlin. La deuxième c’est d’ordonner une poursuite au Nord de Leipzig afin d’achever les troupes de Napoléon.

Au Nord, je décide de contourner la forteresse en marche soutenue pour me placer au Sud de Berlin. Si l’ennemi n’anticipe pas ma manœuvre, je pourrai alors peut-être prendre la ville avant qu’il ne puisse rapatrier ses nombreuses divisions enfermées dans Spandau.

Au Sud, les troupes coalisées, obéissant scrupuleusement aux ordres, poursuivent mes unités s’enfuyant, aussi loin qu’elles le peuvent.

Ce faisant, elles sortent de leur zone de ravitaillement (qui n’apparaît pas dans l’image ci-dessous), car Leipzig, Wittenberg et Torgau sont aux mains des Français. Elles se retrouvent alors immédiatement désorganisées …

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… et n’auront d’autre choix que de revenir à leur point de départ.

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Tour 16 : ci-dessous, Davout et Eugène ont contourné Spandau par le Sud et menacent Berlin.

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Au tour suivant, j’envoie quelques unités en sacrifice sur la route entre Spandau et Berlin afin d’empêcher les coalisés de gagner la capitale, tandis que le gros de mes troupes entre dans la ville assez facilement.

Au centre, Oudinot termine sa réorganisation. Au Sud, Napoléon se réorganise aussi, tandis que les coalisés se sont repliés à l’Est du fleuve.

Deux tours plus tard, l’empereur rassemble toutes ses troupes réorganisées et attaque les coalisés en traversant le fleuve à l’Est de Leipzig. Cette fois-ci, la victoire est de mon côté : mes troupes, attaquant toutes ensemble bénéficient d’une bonne supériorité numérique, et Napoléon participant à la bataille, le bonus de commandement joue à plein (cf. image ci-contre).

Tandis que Davout se retranche dans Berlin, Eugène, avec quelques divisions, s’empare de Frankfort, plus à l’Est. Les coalisés sont sortis de Spandau, probablement décidés à reprendre la capitale. Je renvoie également Oudinot vers Luckau, plus prudemment cette fois (cf. image ci-contre).

A la fin du tour 20, je constate que je suis bien remonté au score : la prise de Berlin (50 points), la grande bataille victorieuse près de Leipzig et les quelques petites villes conquises ont réduit l’écart, ce qui me redonne espoir. Toutefois Je suis encore en retard de 9 points, et il ne reste qu’un tour à jouer.

Ce dernier tour sera décisif : en prenant Leipzig et en repoussant les coalisés au Nord de cette ville, Napoléon leur a coupé leur seule route de retraite. Ils ne peuvent donc échapper à une nouvelle défaite sur le champ de bataille.

Au Nord, les coalisés tentent de reprendre Berlin, ce qui est une erreur : Davout a eu le temps de se retrancher. Les coalisés sont repoussés.

Ces deux succès m’apportent de précieux points, et me font obtenir une victoire mineure in extremis. Je finis à +11 points. A +9 points je n’aurais obtenu qu’un statu quo.

Bilan

Au final, les Français occupent Berlin et Leipzig mais n’ont pas libéré Dresde ni rejoint les places fortes de l’Oder. Les armées coalisées sont en retraite mais nullement en déroute. Avec l’entrée en guerre de l’Autriche qui se profile, c’est donc bien une victoire à la Pyrrhus pour Napoléon.

Je ne vous ferai pas l’affront d’une grande dissertation sur l’art de la guerre. D’ailleurs, je n’ai franchement pas brillé dans cette campagne. J’ai voulu attaquer massivement au Nord, persuadé que mon adversaire n’aurait même pas l’idée de rassembler ses forces sur Berlin, j’ai avancé trop vite, sans reconnaissances, sans prendre le soin de correctement me rassembler.

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Au Sud, j’ai cru traverser le fleuve tranquillement pour attaquer Leipzig, sans même imaginer que les coalisés pourraient m’attaquer en premier. J’ai pris de bonnes déculottées, et c’est sans doute à partir de là que mon adversaire, prenant peut-être trop confiance en lui, a commis ses premières erreurs : sa poursuite trop hâtive au Nord de Leipzig, hors de sa zone de ravitaillement, puis sa réorganisation trop éloignée de sa seule route de retraite, sa concentration trop importante de troupes dans la forteresse de Spandau, laissant Berlin sans défense, puis sa contre-attaque vouée à l’échec.

Mais cette partie montre bien toutes les richesses du jeu : bâtir une stratégie, tout en s’autorisant à la faire évoluer, protéger ses lignes de ravitaillement, concentrer ou disperser ses troupes selon les besoins, deviner les mouvements de l’adversaire, effectuer des reconnaissances précises tout au long de la campagne, mettre ses commandants aux endroits clefs, se servir des obstacles naturels, induire l’adversaire en erreur, réorganiser régulièrement ses troupes, s’enfuir à toutes jambes quand la cause est perdue, attaquer brutalement quand la cause est entendue, etc.

Et surtout prendre une grande respiration avant de valider son tour.

Par Jkob, pour Bellisoft.

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Eagles over Europe est une simulation à l’échelle opérationnelle des campagnes napoléoniennes, jouable avec un navigateur Web. Édité par l’association Bellisoft, le site propose un accès gratuit permettant de jouer le tutoriel et deux scénarios contre l’IA ou des joueurs humains. L’adhésion au site (1.17 euros par mois) permet d’accéder à la version complète d’Eagles over Europe, soit 22 scénarios incluant des règles avancées, ainsi que de bénéficier de nouvelles campagnes via de futurs add-ons.

N.B. : les images qui illustrent ce récit de partie sont issues d’une partie jouée sans l’option brouillard de guerre. Pour les amateurs d’histoire, voir sur Wikipédia les articles : Bataille de Lützen (1813)Campagne d’Allemagne. L’illustration en en-tête est une gravure du XIX éme siècle inspirée de la bataille de Lützen.

4 Commentaires

  1. Merci pour cet AAR qui donne envie.
    Il y a tout de même une question sur les conditions de victoire.
    Si l’on joue les premières campagnes (1805, 1806, 1807 / même les campagnes alternatives comme celle de 1805), il faut un certain courage pour jouer les Coalisés car leurs troupes et leur commandement ne sont pas à la hauteur de ceux des Français. Le risque est que certains joueurs ne cherchent à jouer que le camp français alors que l’intérêt (et le vrai challenge) c’est peut-être de jouer l’autre camp.
    Il faudrait introduire durant ces premières campagnes des conditions plus dures pour le camp français.

  2. Bonsoir, merci pour ce récit de bataille qui fait rudement envie. pour ma part sur les wargames je jouent 2 parties pour apprécier la stratégie des 2 côtés, ce qui permet en plus des discussions et des échanges :)

  3. Excellent jeux web sur les guerre d’empire. A essayer plusieurs fois pour apprécier la qualité de la simulation qui reste pourtant très abordable

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