Le débarquement de Provence

Le débarquement de Provence - LavauzelleLe 15 août 1944, les Alliés décident de lancer l’opération « Dragoon » sur les côtes de la Provence, destinée à ouvrir un second front sur le territoire français. Cette opération a notamment pour buts de fixer des troupes ennemies, de disposer de ports en eau profonde et de protéger ensuite le flanc droit de l’armée américaine venant de Normandie. 2 000 bâtiments de guerre et autant d’avions vont y participer.

Winston Churchill, hostile à ce débarquement, préférait une percée des troupes déployées sur le front d’Italie vers les Balkans afin de prendre en tenaille l’armée allemande en Europe centrale et d’arriver à Berlin avant les Soviétiques. Il s’oppose notamment à de Gaulle, qui menace de retirer les divisions françaises du front italien. Les objectifs étaient de libérer Toulon, Marseille puis de remonter le Rhône jusqu’à effectuer la jonction avec les forces de l’opération Overlord débarquées en Normandie.

Un ouvrage, pour une guerre oubliée

L’ouvrage de 560 pages Le débarquement de Provence est publié, en 2008 aux éditions Lavauzelle, sous la direction de Antoine Champeaux et Paul Gaujac et avec le soutien de la Fédération Nationale André Maginot, de l’Association générale de Prévoyance militaire, de l’Association des amis du musée des troupes de marine, et en partenariat avec le musée de l’Artillerie, Draguignan. Cet ouvrage a voulu montrer que, malgré l’ancienneté des évènements ce déroulant en 1944, le sujet n’était pas clos et la recherche encore ouverte aux historiens de tous horizons. L’ouvrage est destiné pour les spécialistes, mais également au grand public.

Au contraire de la guerre en Europe du Nord-Ouest, celle menée en Méditerranée se déroule sur trois théâtres d’opérations différents : Afrique du Nord, Méditerranée orientale avec l’Italie et le sud de la France. De plus, deux éléments majeurs différencient le conflit au sud : le rôle important joué par les maquisards et les partisans appuyés de l’extérieur par les Alliés, et la forte participation des forces françaises aux opérations. Cet ouvrage réunit les 34 contributions d’un colloque international qui s’est tenu à Fréjus, en 2004, et qui s’inscrit dans la continuité des colloques de Paris (« La guerre en Méditerranée », avril 1969) et de Fréjus (« La libération de la Provence », septembre 1994).

Ce colloque fait appel à des historiens militaires, ainsi qu’à des universitaires locaux spécialistes d’histoire régionale et à des historiens étrangers, allemands et italiens : Chantal Antier, Guy Julien, Philippe Guyot, Jean-Louis Riccioli… Il se justifie pleinement par l’ouverture de nouvelles archives et par l’exploration de champs de recherche, s’agissant d’une opération qui, à la différence du débarquement en Normandie, s’inscrit dans un cadre méditerranéen en guerre depuis cinq ans. Finalement, ce colloque a permis par sa densité de réfléchir notamment sur les interactions entre la politique, la stratégie et la logistique, par sa variété d’aborder la complexité en histoire, tout en rendant le tous lisible pour tous.

Le débarquement de Provence - LavauzelleSur le fond, l’ouvrage confirme l’antagonisme des conceptions stratégiques américaine et britannique. Le débarquement de Provence fait suite à la conférence de Téhéran, novembre-décembre 1943, affirmant le triomphe de la stratégie de Roosevelt et de Staline à savoir l’ouverture d’un second front, en l’occurrence en France, le plus court chemin vers l’Allemagne, au détriment de celle de Churchill qui, pour d’évidentes raisons politiques, préconisait une action en direction des Balkans.

Alors que l’opération Overlord, le débarquement en Normandie, ne va employer qu’une unité française symbolique : le commando Kiefer (cf. Stéphane Simonnet, Le Commandant Kieffer : Le Français du jour J, Paris, Tallandier, 2012), l’opération de Provence devait, par nécessité, recourir à d’importantes forces françaises, au total sept divisions sous le commandement du général de Lattre de Tassigny. Malgré la bonne écriture le manque de carte, rend peu lisible les opérations pour les personnes ne maitrisant pas la géographie de la France.

Pour une fois, la stratégie américaine et les intérêts de la France convergeaient, sans qu’il soit mis fin à l’antipathie mutuelle de Roosevelt et du général De Gaulle. Sur la base de ces données bien connues, l’ouvrage codirigé par les deux militaires Antoine Champeaux et Paul Gaujac est riche d’informations et d’analyses nouvelles. Malgré l’excellence de l’ouvrage, accessible aux passionnés et aux amateurs avec une bonne indication des sources, on peut regretter la rareté des cartes et l’absence d’index. Outre une étude affinée des conceptions stratégiques, de l’état et de l’emploi des forces en présence, dans le camp des Alliés comme dans celui de l’Axe, on relève de bonnes études sur la place des troupes, des tensions et des mutineries, sur le poids décisif des maquisards et des partisans, sur le rôle, jusqu’alors peu étudié, des femmes, jusqu’à 10 % des effectifs, et des immigrés italiens opposants au pouvoir et au régime de Mussolini.

Un second débarquement

Lors du débarquement de Provence la « France Libre » est à l’honneur. Alors que le Jour J normand n’avait embarqué que 170 Français, le débarquement de Provence met à l’honneur l’Armée Française Libre. Pourtant, son chef, le général de Gaulle n’était guère apprécié des Alliés, ne le reconnaissant pas comme le représentant de la France et le soupçonnaient de nourrir des projets peu démocratiques pour la France d’après guerre. Dès la conférence de Téhéran (cf. Philip Kerr, La Paix des dupes, Paris, Le livre de poche, 2013.), en novembre 1943, les Américains songent à un double débarquement en France : Normandie et Provence. Au départ sans la participation des Français. Mais ces derniers réussissent leur baptême du feu lors de la libération de l’Italie. Durant la bataille du Garigliano en mai 1944, le Corps expéditionnaire français, envoyé en première ligne, perce avec succès les lignes allemandes et permet aux Alliés de prendre la route de Rome. Les Américains voient désormais les Français d’un autre œil, celui de troupes capables de soutenir et de venir renforcer les troupes pour libérer la France.

Le débarquement de Provence, c’est aussi un modèle de stratégie militaire car le choix du lieu n’est pas aisé : le Languedoc n’avait pas de grands ports, Marseille, Toulon ainsi que la rade d’Hyères sont trop bien défendus, le port de Sète était trop petit. Les Alliés retiennent donc une bande de terre entre Toulon et Cannes. Un choix par élimination qui se révèle payant. À cet endroit, le rapport de forces est favorable aux Alliés et va faire de ce débarquement un grand succès militaire. Quelques chiffres en témoignent. L’armée allemande commandée par Johannes Blaskowitz a 400 avions, 36 chars, 50 embarcations, 80 000 soldats. L’armée alliée a 3 000 avions, 500 chars, 850 embarcations, une première vague de 90 000 soldats (les suivantes en comportent 250 000 autres). Les Alliés sont de plus très bien préparés car ils ont appris des erreurs du débarquement de Normandie. Les Allemands, eux, sont en position de faiblesse. Ils s’attendent à un débarquement mais jusqu’au dernier moment, ne savent pas où il va avoir lieu.

La Wehrmacht, déjà engagée sur trois fronts, le front de l’Est, le front italien et, depuis deux mois, le front normand, est en infériorité numérique. Elle dispose pour défendre les côtes méditerranéennes de la France de la 19e armée commandée par le General Friedrich Wiese, elle-même subdivisée (cf. Alain Chazette, L’armée allemande sur la côte méditerranéenne, A.O.K.19 Mittelmeerküstenfront, vol. 1, Éditions Histoire & collection, Paris, 2004, p. 96.). Le 15 août 1944, les Alliés décident de lancer l’opération « Dragoon » sur les côtes de la Provence, destinée à ouvrir un second front sur le territoire français. Cette opération a notamment pour buts de fixer des troupes ennemies, de disposer de ports en eau profonde et de protéger ensuite le flanc droit de l’armée américaine venant de Normandie : 2 000 bâtiments de guerre et autant d’avions vont y participer. Si le Nord de la France a été sauvé par le débarquement normand et le Sud-Ouest en partie par la Résistance, le Sud-Est a vu sa libération arriver de la Méditerranée. Après le débarquement, l’avancée des Alliés est rapide. Marseille et Toulon sont prises aux Allemands les 23 et 29 août avec 40 jours d’avance sur les plans. La 7e armée américaine du général Patch, qui comprend les forces françaises de l’armée B commandée par le général de Lattre de Tassigny, arrive en vue des côtes dans la nuit du 14 au 15 août.

La veille, Radio Londres diffuse 12 messages pour la Résistance, des régions R1-R2, R3-R4 et R6, et dont les plus connus sont : « Le chasseur est affamé (Bibendum) ou Nancy a le torticolis (guérilla) » ainsi que « Le premier accroc coûte 200 francs ». Ayant réuni au large de la Corse des navires venus en dix convois, pour des raisons stratégiques avec des ports aussi éloignés les uns des autres comme Oran, Naples ou Tarente, la flotte alliée s’est d’abord dirigée vers Gênes pour tromper l’adversaire. Comme lors de l’opération Overlord, le plan de bataille prévoit une division des troupes en différentes « forces » ayant chacune un but précis. Mais, le 14 au soir, elle met le cap sur la côte provençale. Peu après minuit, tandis que les Rangers américains prennent pied dans les îles du Levant, les premiers commandos français s’emparent du Cap Nègre et vont conquérir une tête de pont vitale autour du Lavandou. Dans la nuit, plus de 5 000 parachutistes alliés sont largués au-dessus de la vallée de l’Argens pour verrouiller les voies d’accès aux zones de débarquement. Ils vont y trouver l’appui des FFI.

À l’aube, un bombardement aérien et naval écrase les batteries allemandes. A 8h, les 3e, 36e et 45e divisions d’infanterie américaines (D.I.U.S.) se lancent sur les plages côtières entre Cavalaire et Saint-Raphaël. Le 16 août, le gros des forces françaises commence à débarquer. Tandis que les forces américaines vont remonter vers la Durance et la vallée du Rhône, l’armée B doit prendre Toulon et Marseille, ports vitaux pour la stratégie des Alliés.

Le 20 août, l’encerclement de Toulon commence. Alors que les Commandos et les Chocs s’emparent des batteries ennemies, Français libres, Algériens, “marsouins” de la Coloniale et Tirailleurs sénégalais rivalisent de courage pour prendre la ville. La 9e division d’infanterie coloniale va finir de nettoyer Toulon de ses occupants. Le 28 août, la garnison allemande se rend. Parallèlement, de Lattre a lancé ses troupes vers Marseille. Aubagne est prise par les Tabors marocains. La 3e division d’infanterie algérienne du général de Monsabert prend position aux abords de la cité phocéenne où l’insurrection a éclaté.

Le 23 août, tirailleurs et cuirassiers rejoignent les résistants. Cinq jours de combats violents seront nécessaires pour réduire les défenses allemandes. Les deux ports ont été conquis avec un mois d’avance sur les prévisions. Les armées françaises vont désormais remonter la vallée du Rhône pour repousser l’ennemi et libérer le territoire national. Dès les premiers jours, un camp de transit est projeté et sa construction mise en œuvre au nord de Marseille, le camp de Calas doit servir pour organiser la redirection des troupes vers les Vosges et l’Alsace, l’Asie ou le retour vers les États-Unis pour les troupes relevées totalisant plus de 80 points sur leur « carte de crédit ».

Une vidéo fut réalisée le mois dernier sur cet événement avec carte et illustrations sur ma chaine YouTube Tout sur l’histoire avec Damien, avec comme source plusieurs ouvrages et documents, dont l’ouvrage : Antoine Champeaux et Paul Gaujac, Le débarquement de Provence, Lavauzelle, 2008.

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