Jadis jeu paru chez Cerigo (Vae Victis), Les guerres du Roi Soleil : 1648 -1713 s’offre cette année le plaisir d’une édition deluxe, occasion pour regrouper dans un format boîte et avec une belle carte montée les règles à jour et les scénarios conçus post-édition. Comme son nom l’indique, le jeu dépeint les campagnes militaires menées par Louis XIV à travers un système à l’échelle stratégique plutôt original et conçu pour deux joueurs. Cet article se scinde en deux parties, avec en premier lieu un bref AAR pour vous plonger dans le jeu et ses mécaniques, puis l’avis des deux joueurs à l’issue d’une poignée de parties.
AAR | Scénario intermédiaire : La guerre de Hollande (1672 – 1678)
(Photo 1) Ce scénario en 7 tours (1 tour = 1 an) retrace le conflit entre la France (moi) et les Provinces Unies, concurrent commercial et obstacle à l’expansion du territoire du roi soleil, joué par mon adversaire.
Dans Les guerres du Roi Soleil, quatre critères sont pris en compte pour attribuer la victoire à l’un des deux camps :
- Le différentiel d’alliés, valeur qui évolue lorsqu’un allié retrouve sa neutralité.
- Les points de ressources de la France, déterminés chaque début de tour en comptabilisant le nombre de régions « riches » contrôlées.
- Les objectifs, provinces cibles que la France cherche à contrôler.
- Les points de gloire, toujours de la France, fluctuant entre autres selon les batailles gagnées et les stratagèmes non utilisés.
(Photo 2) Ces critères croissent -vont vers la droite- pour attribuer des points à la France, ou diminuent au profit de la Coalition. Le camp qui contient trois critères dans sa zone à la fin de la partie devient le vainqueur, mais si un joueur parvient à remplir les quatre conditions à la fin d’un tour il met fin aux hostilités du fait d’une domination totale.
Pour ce scénario mes objectifs à contrôler sont les suivants :
- La Franche-Comté
- L’Alsace, déjà en ma possession
- Le Friesland (Pays-Bas)
- Le Holland (Pays-Bas)
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Remarque : Pour une question de confort et d’immersion lors de la séance de jeu, les photos sont issues d’une reconstitution et non de la partie originale. Des erreurs se sont jointes aux clichés et au récit, sans impact sur la finalité.
On remarque immédiatement la présence de 2 fronts, le principal situé au Nord-Est du territoire puis un secondaire, bien plus léger, le long des Pyrénées. Ce dernier n’est pas à prendre à la légère car si je m’écroule un dangereux boulevard s’ouvre pour la coalition, qui pourra capturer sans crainte de nombreuses provinces riches, repérées par la présence d’une ou plusieurs pièces d’or (exemple : Provence). Elle augmentera ainsi ses revenus pour le tour suivant (les miens diminueront) en sus de l’influence sur l’un des quatre critères de victoire. Ces ressources sont primordiales. Elles servent à recruter de nouvelles troupes, à déplacer les armées, à fortifier ses régions, mais aussi effectuer des actions diplomatiques pour renforcer nos alliances ou détériorer celles de l’ennemi (dans le but de sortir ces nations du conflit). Sans ressources, un joueur se retrouvera vite paralysé, incapable d’agir lors des différentes phases du tour.
Venons en justement à l’anatomie d’un tour avant de démarrer. Une année se déroule en plusieurs phases :
- la préparation (gain de ressources, recrutement, rachat de prisonniers, fortifications, etc…), non jouée lors du premier tour
- les campagnes, série d’impulsions laquelle les joueurs effectuent l’un puis l’autre une action avant de tester avec un jet de dé si l’année continue -nouvelle impulsion- ou si elle s’arrête. Une année comprend généralement 4 impulsions mais peut se terminer dès la première ou pousser jusqu’à 6.
- l’hivernage, pour réaliser une action limitée puis effectuer une action diplomatique.
Il convient de bien gérer ses ressources pour subvenir aux besoins des différentes phases, mais nul besoin d’économiser, à la fin du tour les ressources non utilisées seront perdues.
Dernière note, pour éviter les empilements massifs et poser les troupes de réserve, les joueurs peuvent utiliser des plateaux de commandement. J’éviterai au maximum de les utiliser pour mieux illustrer chaque situation, mais dans certains cas extrêmes je m’en servirai, ne soyez donc pas surpris de voir un général partir seul au combat. (Photo 3)
Début de la partie
Le début du tour commence par le choix des stratagèmes que j’emploierai durant celui-ci. Sélectionnés dans le plus grand secret, les stratagèmes dictent à l’avance les actions majeures (bataille, siège…) que les joueurs chercheront à effectuer durant l’année, sans définir une quelconque région. Ne pas dépenser les stratagèmes choisis d’ici la fin du tour me coûtera 1 point de gloire par stratagème, l’un des 4 facteurs de victoire (à l’inverse, j’en gagnerai si la coalition ne joue pas les siens). J’opte pour une terre brûlée et deux sièges. (Photo 4)
Zoom sur le front central. L’ennemi s’est constitué une ligne fortifiée de la Flandre au Luxembourg (Errata, la Flandre possède en réalité une forteresse de niveau 4 et quelques troupes). Malgré une faiblesse à Brabant -une forteresse de niveau 2 seulement- je remarque une Franche-Comté bien fragile et un No Man’s Land au sud du Luxembourg par lequel m’engouffrer. Pour rappel, l’Alsace est à moi. (Photo 5)
Ayant l’initiative, j’entame cette première campagne par l’invasion de la Franche-Comté avec Turenne et quelques effectifs depuis la Champagne. Bien que légèrement fortifiée, la province s’avère peu gardée et je réussis sans peine l’escarmouche (pas de stratagème requis) puis mon premier siège. Le second des 4 objectifs passe sous mon contrôle. (Photo 6)
Surpris par cet assaut éclair, mon adversaire se contente de rapprocher l’armée du Brandenbourg et fait une halte dans le Münster. Malgré le long trajet, pas de désertion ni d’usure à signaler. (Photo 7)
Turenne continue sa percée en territoire ennemi et capture le Pflaz, région qui octroie 1 point de ressource en début de tour à qui la contrôle. J’espère ainsi attirer mon adversaire et le motiver à disperser ses forces pour reprendre cette région que je prendrai soin de brûler avant avec mon stratagème. (Photo 8)
Mais il ne vient pas, préférant consolider les armées des provinces unies. J’enchaîne avec la région au sud, Baden, alors que la coalition continue toujours ses préparations. L’idée reste la même, attirer le chaland vers Pflaz.
Petit aparté, le jeu n’intègre pas de zone de contrôle mais permet au joueur passif d’intercepter, sous réserve d’un jet de dé favorable, un ennemi qui passerait dans une zone adjacente.
Cette première année touchant bientôt à sa fin, je décide malgré le contrôle de Baden de brûler la région pour me débarrasser du stratagème. (Photo 9)
La phase d’hivernage commence. Nous pouvons procéder à un ultime déplacement dans une région adjacente, au double du coût habituel et en laissant la cavalerie sur place, incapable de se déplacer durant cette période. Je ne fais rien… Mais ô surprise, l’armée du Brandenbourg rejoint Pflaz, légèrement amoindrie pour limiter les coûts de déplacement !
Les ressources en poche j’intercepte de ce fait l’envahisseur, puis après une brève escarmouche force ce dernier, affaibli, à fuir vers Trier (il s’agit ici d’une erreur de règle, on ne peut battre en retraite lors de l’hivernage). (Photo 10)
Les escarmouches finissent rarement en bain de sang et visent en général à repousser l’ennemi plus qu’à l’anéantir. C’est pas de chance pour mon adversaire, s’il avait pu se rapprocher avec plus de troupes le destin aurait été tout autre puisqu’il m’aurait fallu un stratagème de bataille, que je ne possédai pas. Mais inutile de réécrire l’histoire, la coalition appauvrie se contentera de rester spectatrice et la première année touche à sa fin.
Année 1673
Les guerres du roi soleil dérangent et Montecuccoli rejoint le conflit depuis la Bohème. Vu ma faible présence en Bavière la nouvelle m’inquiète mais je reste concentré sur mes objectifs.
Toujours initiateur, je me lance cette fois dans une opération d’envergure : la libération de la Flandre par Vauban et Louis XIV en personne, deux experts en siège qui me seront nécessaires pour venir à bout de la forteresse de niveau 4. Malheureusement, si je gagne la bataille, élimine le général sur place et réussis à affaiblir la forteresse d’un niveau, je ne réussirai guère à faire mieux. (Photo 11)
Sans surprise, mon adversaire s’attaque à la Bavière que je fuis sur le champ après une inévitable défaite. (Photo 12)
Mais l’hiver approche déjà et, faute de pouvoir rester en Flandre car mon adversaire contrôle toujours la région, je m’attaque à Brabant que je libère sur le champ malgré sa forteresse de niveau 2. La prise de ce secteur était plus ou moins le plan et je me déleste de mes stratagèmes restants. (Photo 13)
Année 1674
Stupeur ! Les dieux des dés me punissent lors de la phase d’événement. La Grande-Bretagne se retire de l’alliance avec la France et rejoint la Coalition. Une aubaine pour mon adversaire qui gagne l’initiative et se précipite pour envoyer les Anglais sécuriser la Flandre. Malgré ma progression la dynamique se trouve changée, avec une nette pression sur l’Artois et la Picardie que je me dois de renforcer. Si les Anglais percent ma défense je me trouverai en sérieuse difficulté financière. (Photo 14)
Je reste cependant concentré sur mes objectifs et tente la capture du Friesland avec l’armée du maréchal de Luxembourg. En plus d’être un double objectif de guerre, les provinces unies s’avèrent opulentes et donnent de ce fait un réel avantage financier à celui qui les possède. La bataille fait rage et j’extermine mon adversaire qui se voit forcé de retirer les rares survivants dans le Holland pour protéger sa dernière région clé. (Photo 15)
L’année prend fin prématurément et nous restons tous deux passifs, préférant attaquer avec nos armées complètes (c.a.d avec la cavalerie) et dépenser nos ressources restantes pour jouer la carte de la diplomatie. Le Danemark, jusque-là allié de la coalition, retrouve sa neutralité.
Année 1675
Sentant la vague anglaise s’abattre en Artois, je recrute des renforts pour dissuader mon adversaire. Je protège également le Friesland avec la construction de deux lignes de défense. Cela me coûte un nombre important de ressources mais à ce stade de la partie je tiens à consolider mes positions avant de resserrer l’étau sur l’objectif restant. (Photos 16 & 17)
La Suède rejoint le conflit à mes côtés. En plus d’exercer une pression sur le territoire de la coalition, elle déclenche la troisième des 4 conditions de victoire (le différentiel d’alliés). Et la quatrième, la gloire, est sur le point de basculer en ma faveur. (Photos 18 et 19)
Mon adversaire s’essaye à une nouvelle stratégie. Peu enclin à risquer son armée Anglaise il traverse les Pyrénées avec des Espagnols désireux de capturer Perpignan. J’avais prévu le coup, avec quelques renforts ajoutées en cours de partie en sus de la petite forteresse présente par défaut. L’attaque échoue et j’invite les catalans à saluer les isards sur le chemin du retour. (Photo 20)
La capture du Münster est une formalité et la Suède s’apprête à rejoindre la ligne de front pour un assaut final. (Photo 21)
Désespérée, la coalition se lance dans une ultime bataille pour éliminer Louis le Grand. Ce sera un échec. Le 7ème point de gloire en poche, je valide ainsi la 4eme condition pour achever de façon prématurée la guerre de Hollande avec une victoire majeure.
Fin de cet AAR.
Avis des deux joueurs
Mon adversaire joue de façon régulière, et avec un bon niveau, à des jeux de société exigeants (Root, Age of Innovation, Spirit Island, etc.). Mais il connaît peu le monde des jeux d’histoire à l’exception de quelques warteaux comme 1754 – La conquête (ndlr série Birth of America, voir cet article) qu’il a bien apprécié. Pour lui, l’expérience avec Les guerres du Roi Soleil ne fut pas concluante. Trois raisons à cela : une difficulté à lire le jeu en raison de trop nombreux marqueurs (il n’a pas souhaité embrayer avec un grand scénario), un livret de règles qui manque de clarté et un système de stratagèmes qui ajoute certes du réalisme aux campagnes mais cloisonne les joueurs.
Il est vrai que le jeu incite davantage à prévoir qu’à agir en réaction et mon adversaire s’est souvent retrouvé dans l’impossibilité d’agir faute de stratagèmes adéquats en sa possession.
Pour ma part je le rejoins sur le livret. J’ai beau pratiquer le wargame, j’ai bloqué une heure lors de la première mise en place faute de savoir à quoi correspondaient les marqueurs et il m’a fallu trois parties livret en main pour me sentir à peu près à l’aise avec la majorité des règles qui ne sont pourtant pas si complexes. À peu près, car nous avons commis de nombreuses erreurs et j’en découvre encore à la rédaction de cet article, comme le gain de gloire qui double si Louis XIV est présent dans la bataille.
Je regrette également une qualité de production perfectible en dehors du plateau monté, comme ces sachets zips peu nombreux et fragiles qui ne permettent pas de ranger correctement les pions, ou ce livret si fin que j’ai par mégarde déchiré un bout de page malgré le soin que j’apporte à mes jeux. Nous sommes loin des productions GMT et c’est normal puisqu’il s’agit d’un petit éditeur Français qui cherche à proposer des jeux originaux, mais cela peut surprendre si vous êtes habitué à ce standard.
Ces tracas mis de côté, j’ai apprécié chacune de mes parties. Le jeu offre une agréable liberté stratégique, sujet toujours sensible pour un jeu qui vise la véracité historique, et a le mérite de dépeindre un théâtre original avec un système qui l’est tout autant. Ce sont peut-être, au fond, les qualités essentielles pour faire de lui un bon wargame. Et si je ne conseillerai pas Les guerres du Roi Soleil : 1648 – 1713 à un débutant malgré sa simplicité relative, le jeu trouvera sa place chez de nombreux amateurs désireux de pratiquer sur cette période.
Pour plus d’informations sur Les guerres du Roi Soleil, 1648 – 1713, premier volet de la série Les guerres en dentelle (The Wars of the Sun King, 1648-1713, Lace Wars), voyez le site officiel de Serious Historical Games. A noter que les futurs jeux suivants de cette série seront en théorie sur Louis XIII, les guerres de religion, 1621-1629, et la guerre de Trente ans, 1618-1648.
A consulter également, sur le thème plus général des jeux de stratégie, le site de Maxime : le Carnet d’un stratège. N’hésitez pas non plus à le soutenir.