Nicolas Baudin

Nicolas Baudin - Figures de Nouvelle-Aquitaine 2023La déjà vaste collection Figures de Nouvelle-Aquitaine continue de s’enrichir de nouveaux et intéressants fascicules. L’un des derniers en date est celui consacré par Sophie Muffat à Nicolas Baudin, marin et naturaliste de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècles. Grande spécialiste des questions navales, déjà récompensée pour ses travaux antérieurs, l’auteure fait revivre ici une figure un peu oubliée en France, au croisement entre histoire des sciences et histoire maritime.

Un Rhétais de la fin de l’Ancien Régime

Le personnage ne manque pas d’intérêt. Il est originaire de l’île de Ré où il naît en 1754. Il vient d’une famille plutôt bien établie de marins et de négociants, ce qui va généralement de pair le long des côtes. Bourgeois aisés, liés au grand commerce maritime, les Baudin ne sont toutefois pas nobles et le jeune Nicolas, qui rentre dans les troupes coloniales en 1774 avant de passer sous-officier au régiment de Pondichéry deux ans plus tard, n’a pas un très grand avenir dans les forces armées. En effet, sous le règne de Louis XVI, il est presque impossible d’accéder à la fonction d’officier sans faire partie de la noblesse, et rejoindre celle-ci n’est pas si aisé.

L’autrice rend bien compte des pesanteurs et blocages de la société de l’Ancien Régime finissant et, à travers le personnage étudié, c’est tout un monde des navires de guerre et de commerce que l’on redécouvre, avec ses hiérarchies et ses cloisonnements. Pourtant, le jeune homme, aidé de sa famille, parvient à rejoindre un nouveau corps d’officiers, des auxiliaires nommés pour le temps d’une campagne, la France manquant de cadres alors que la guerre d’indépendance américaine à laquelle elle participe bat son plein. On suit alors Baudin dans ses campagnes militaires, qui représentent un aspect finalement mineur de son existence, puisqu’il ne participe pas à d’importantes batailles et, dès 1780, obtient de passer dans la marine marchande comme capitaine. C’est dans ce contexte qu’il est amené à convoyer un savant autrichien, un certain Boos, dans l’océan Indien.

Un savant autodidacte

Cette rencontre est fondamentale pour la suite de l’histoire. Baudin découvre à cette occasion les sciences, et plus particulièrement ce qu’on nommerait les « sciences naturelles », notamment la botanique qui devient une vraie passion. Il aide à ramener les échantillons de Boos en Autriche et, à cette occasion, décide de se mettre au service de ce pays, la France l’ayant déçu. Les deux pays étant alliés à l’époque, de tels épisodes n’étaient pas impossibles, mais pas non plus très courants. Ces pages sont très intéressantes et montrent qu’une trajectoire contrariée peut amener à faire des choix radicaux, qui tiennent aussi à la façon dont sont alors vues les sciences par certaines élites, au service de l’humanité plutôt que d’un pays. Toutefois, les années passent et la Révolution éclate. France et Autriche se retrouvent en guerre à partir de 1792, ce qui pose problème à un Français. Baudin, qui a également rencontré des difficultés dans ses expéditions entreprises pour la cour de Vienne, décide alors de rentrer en France, faisant valoir l’expertise, qu’il a acquise dans le domaine de la botanique, de la minéralogie et de l’étude des animaux.

Sophie Muffat décrit très bien les grandes difficultés qu’il rencontre et qui en disent long sur la persistance de certaines mentalités même après 1789. Il ne vient en effet pas du « grand corps » de la Marine. Il a peu combattu, servi au commerce, il a été agent d’une puissance étrangère, son savoir est empirique. Les règlements et chicaneries administratives le bloquent, alors même que 2/3 des officiers de la Marine ont quitté la France avec la Révolution qui manque cruellement de cadres pour ses flottes. Finalement, il fait valoir ses états de services scientifiques et, par l’entremise du Museum d’histoire naturelle, intéressé par un renforcement de ses collections, autant pour des considérations scientifiques que de prestige, parvient à retrouver de l’activité en 1796.

Au service du Directoire et du Consulat

Cette partie constitue réellement le cœur de l’ouvrage. Les immenses difficultés matérielles et humaines qui concernent les questions navales sont très bien décrites et expliquées et renseignent très utilement le lecteur. Naviguer à la voile est encore difficile en ce début de XIXe siècle, entre les tempêtes, les courants, l’usure des navires, la maladie et aussi le manque de marins expérimentés et de financement. La « belle marine » de Louis XVI a souffert d’années de relative inactivité et du départ de ses officiers. Même si Baudin est envoyé réaliser une expédition scientifique et pas militaire, on retrouve une bonne partie de ces problèmes. Malgré cela, parti à Teneriffe à la Trinité espagnole et à Porto Rico, il ramène des échantillons considérables : plantes vivantes et séchées, animaux et autres morceaux de bois peu ou pas encore connus en Europe. Ce retour est un triomphe. Baudin est au faîte de sa gloire et, contre toutes les règles, nommé capitaine de vaisseau.

Après une brève participation à une campagne militaire en Méditerranée, peut-être pour faire taire les critiques à ce sujet, il parvient pourtant à convaincre le nouveau pouvoir, et notamment Bonaparte de l’intérêt d’une nouvelle expédition scientifique. Le livre décrit parfaitement l’intérêt du Premier Consul et du régime pour de telles manifestations, où le caractère savant est étroitement mêlé à des considérations géopolitiques et de prestige. Baudin est ainsi étroitement encadré dans ses instructions, ses moyens et ses itinéraires. Il espérait un tour du monde. Au lieu de cela, il doit reconnaître les côtes de la Nouvelle-Hollande (actuelle Australie), mais reçoit aussi des instructions en cas de rencontre avec des peuples locaux, doit accepter de nombreux scientifiques (22) choisis par le pouvoir alors qu’il voulait une équipe réduite. Enfin, Joséphine lui donne des instructions parallèles et demande qu’on lui ramène certains spécimens…

Cela en dit long sur la suite du siècle, même si l’auteure prend soin de replacer les choses dans leur contexte : ces arrière-pensées n’empêchent pas que de vraies avancées scientifiques aient été faites. Pour l’heure, l’expédition est très difficile. Les savants ne s’entendent pas entre eux, Baudin est assez acariâtre, beaucoup de retard s’accumule pour diverses raisons, les désertions s’enchaînent et les maladies prélèvent un très lourd tribut sur l’équipage comme sur les scientifiques. Toutes ces péripéties rappellent bien la difficulté et montrent à quel point le progrès des connaissances a été une œuvre coûteuse en biens comme en hommes. Baudin lui-même meurt pendant le trajet du retour et ne rentre pas en France ! Néanmoins, les résultats sont considérables. De très nombreuses espèces ont été découvertes et rapportées par les survivants, notamment de plantes, promises à un bel avenir en Europe, telles que le mimosa et l’eucalyptus. De très nombreux dessins ont été faits et les cartes ont été précisées. De plus, une partie de ces découvertes a été faite en parallèle d’une expédition britannique, mais en temps de paix (la paix d’Amiens) et Baudin s’est entretenu avec son homologue, un certain Flinders, ce qui est assez rare pour être noté.

Des mémoires contrastées

Malgré cela, sa postérité est quasi nulle en France jusqu’à nos jours. En effet, bon nombre de survivants ont sali sa réputation, en se fondant certes sur certaines réalités (l’homme était dur et peu facile d’accès). De plus, la France rentre en état de guerre quasi-continuel jusqu’en 1815 et a d’autres préoccupations. Alors que la plupart des campagnes importantes ont lieu sur le continent européen, que les colonies et l’outre-mer sont vite perdues et que Baudin n’est plus là pour se défendre, son nom tombe rapidement dans l’oubli. Pourtant, l’apport à la science de cet autodidacte est immense, mais il est redécouvert à partir de la fin du XXe siècle, de tels livres le montrent. De plus, il est plus connu en Australie où un certain nombre de lieux qu’il a nommés existent encore (comme le golfe Joseph Bonaparte…). Britanniques puis Australiens donnent même son nom à d’autres endroits et à quelques espèces, preuve que certaines coopérations, même minimes, entre deux pays longtemps ennemis ont pu porter certains fruits.

Je recommande donc chaudement la lecture de ce fascicule qui sait être riche et passionnant malgré le nombre réduit de pages et qui a emprunté aussi bien aux archives manuscrites qu’à des sources imprimées. On peut le lire en parallèle de celui consacré à Borda, qui, même avec une trajectoire différente, est une autre belle illustration de ce monde fascinant des marins-savants des Lumières.

Fiche chez Memoring Éditions.

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