Développer un jeu de stratégie à la fois sur PC et consoles est un exercice périlleux. Les supports et les joueurs semblent si différents qu’on a du mal à imaginer un compromis susceptible de satisfaire tout le monde. Enigma Software tente malgré tout de relever le défi à travers un tactical au tour par tour centré sur l’épopée du général Patton en Europe.

Comment réécrire l’histoire

Vous voilà donc dans la peau d’un des plus grands militaires de la Seconde Guerre mondiale avec la lourde tâche d’en finir avec les forces de l’Axe sur le continent européen. Vos supérieurs ont tellement confiance en vous qu’ils vous mettent à la tête de la 3e armée des États-Unis et vous fournissent des blindés et des avions par milliers. Présenté sous cet angle, vous vous imaginez sans doute en train de jouer à un wargame ultra ambitieux avec une carte gigantesque. Vous m’en voyez navré mais vous êtes loin du compte car dans le monde d’Enigma Software, la 3e armée US n’a rien d’un monstre. Elle est composée au mieux de 24 unités et les centres de recrutement fonctionnent tellement mal que l’état-major vous propose d’enrôler des républicains espagnols ainsi que des résistantes françaises pour annihiler la contre-attaque allemande dans les Ardennes. Et comme les usines de chars connaissent des dysfonctionnements, votre meilleure arme sera un ARL44 c’est-à-dire le fleuron des chars français qui n’a pas véritablement participé au conflit qui nous occupe. Bref, on peut d’ores et déjà considérer que le logo History Channel n’avait pas vraiment sa place sur la jaquette de ce jeu, mais passons…

Deux snipers valent mieux qu’un

Côté gameplay, le titre vous propose une campagne d’une vingtaine de missions retraçant le parcours de Patton des plages de Normandie jusqu’aux environs de Bastogne. Pour apporter de la variété elles sont subdivisées en 4 genres distincts : attaque, défense, protection et infiltration. Si les deux premiers types de batailles consistent respectivement à éliminer tous les adversaires de la carte et résister à une offensive ennemie, les deux derniers apportent un peu d’originalité. Il s’agit dans le premier cas d’assurer la survie d’une unité tout en la déplaçant à son point d’extraction. Ce côté mission commando est évidemment encore plus présent dans les parties dites « infiltration » puisque vous devrez placer des explosifs sur la carte avec seulement deux soldats et si possible sans déclencher l’alarme.

Malheureusement l’originalité ne paie pas toujours et il est clair que ces missions sont les plus bancales. En effet on ne retrouve ni le stress lié au temps réel qu’on pouvait rencontrer dans la série Commandos par exemple ni la dimension tactique principale de ce History – Legends of War, à savoir recruter et choisir les troupes adaptées à la situation. Pour le coup vous prenez un sniper pour éliminer les cibles en un tir, vous lui donnez un commando en équipier pour pouvoir assassiner en silence et vous êtes sûr de remplir les objectifs. Au pire, et cela arrive souvent, vous êtes en manque de fonds et vous contentez d’utiliser deux tireurs d’élite ce qui revient quasiment au même si vous êtes un peu patient. Car vu qu’on ne vous impose aucune limite de tour, vous pouvez très bien passer des tours sans rien faire simplement pour faire baisser la jauge d’alerte. Bref une fois qu’on a trouvé la recette magique, la difficulté n’est plus au rendez-vous.

Le casse-tête de Patton

D’ailleurs d’une manière générale, on ne peut pas dire que la difficulté soit insurmontable. Le seul ingrédient délicat à gérer, c’est le prix d’achat des unités. En effet, grâce aux points de prestige qu’on gagne à chaque mission réussie, on peut soigner ses hommes, réparer ses machines, promouvoir une unité en une déclinaison plus performante (par exemple un simple soldat en sniper) ou carrément recruter. Problème le coût de l’enrôlement est incroyablement élevé et il est rare de pouvoir s’offrir ce qui se fait de mieux. Pour les petites bourses, la bonne affaire reste le fameux Républicain espagnol qui en échange de 1000 points vous offre un bon rapport puissance de feu / points de santé. Vous ne pourrez pas non plus jouer les pingres puisque seuls l’infanterie lance-roquettes et les tanks pourront vous aider à détruire les blindés adverses. Chaque achat est donc pesé et les fantaisies se paient cash.

Toutefois le jeu est pervers car on dispose de peu d’informations sur les missions. Or si on ne connaît pas les forces ennemies, il est impossible de s’équiper de façon appropriée. Imaginez que les Allemands aient cinq chars sur la carte et que vous avez seulement un tank et un bazooka. Vu que vous êtes limité en munitions, vous risquez tout simplement de tomber à sec au beau milieu de la partie. Donc soit vous êtes chanceux, soit vous pratiquez la tactique du die and retry qui n’a rien d’amusante. Et n’imaginez pas une seconde gagner du temps en rechargeant avant un tour où vous avez fait une erreur puisque vous ne pouvez pas sauvegarder dans ce jeu. Inutile de préciser que ce choix est rageant lorsque vous perdez stupidement votre meilleur homme à deux tours de la victoire…

Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?

D’un côté ce parti pris renforce encore la difficulté du titre. C’était peut être le seul moyen trouvé par les développeurs pour apporter du challenge vu que l’IA ne brille pas par sa tactique. Soyons clair, elle n’a rien d’amicale et peut même vous faire très mal dans les deux derniers niveaux de difficulté (il y en a cinq en tout) mais elle est trop prévisible pour vous surprendre. Finalement vos hommes meurent soit parce que l’adversaire se retrouve en large supériorité numérique, soit parce que vous avez fait preuve de témérité. Donc si vous êtes prudent et que vous coordonnez bien vos unités (au maximum de 8 par mission), rien ou presque ne pourra vous arriver. Il faut dire que pour une fois le joueur bénéficie d’un avantage sur l’IA. En effet, contrairement à cette dernière, vos troupes ont la capacité de tirer au-delà de leur champ de vision. On pourrait imaginer qu’au moins la probabilité de toucher en serait affectée mais cela ne semble pas être le cas. Je dis bien semble car il n’y a aucun moyen de savoir comment se comporte cette variable. Vous pouvez ainsi rater un ennemi à deux cases avec un tireur d’élite et en toucher un à huit cases avec un simple fusilier. Globalement l’expérience montre que la probabilité de réussite est élevée mais la règle reste très floue.

Bref on peut donc engager sans malus un adversaire dans l’incapacité de riposter. Donc si on utilise en éclaireur le sniper et sa vision étendue, on élimine facilement la majorité des menaces avant qu’elles n’aient eu le temps de réagir. Certes certains ennemis sont plus coriaces mais ils sont généralement plus effrayants que véritablement dangereux. Je pense notamment aux meilleurs chars allemands du jeu comme le Jagdpanther ou le Köenigstiger aux esthétiques impressionnantes. History – Legends of War n’ayant pas vocation à faire de la simulation, toute notion de blindage doit être oubliée. Par conséquent vous ferez des dégâts à ces monstres d’acier même si vous leur tirer dessus frontalement avec un simple M24 Chaffee. En un sens c’est heureux car le pathfinding n’est pas exempt de tout reproche et vos tanks peuvent très bien se déplacer vers l’ennemi en marche arrière…

Un multijoueur d’un autre temps

Il va sans dire que l’IA serait un détail si le titre d’Enigma Software n’était pas uniquement centré sur le solo. Car si le multijoueur existe, il tient plus de l’argumentaire marketing que d’un vrai mode de jeu. En effet il permet seulement de rejouer les missions de la campagne en 1 vs 1 et en local (Hotseat). Difficile de faire plus indigent et c’est dommage car c’est la seule occasion de tester le matériel allemand et de développer des stratégies un peu moins répétitives. D’une manière plus générale, on peut déplorer un certain manque d’ambition au niveau du gameplay et de la technique. Les cartes se ressemblent trop visuellement et tactiquement, et l’interface a souffert du développement multi-supports. La mini-carte est par exemple totalement illisible et aucun bouton n’a été prévu pour passer au tour suivant. On est obligé de faire “échap” pour accéder à cette option ! Un détail malheureusement révélateur des lacunes de ce jeu…

 

History - Legends of War
Vu les coûts de réparation, il est indispensable de bien protéger vos chars en cours de partie.
History - Legends of War
Au fur et à mesure de la campagne on a accès à de nouvelles unités. On peut même avoir recours à de l’aviation hors carte si on en a les moyens.
History - Legends of War
Le général Patton gagne en expérience après chaque victoire. A vous de développer ses compétences en fonction de votre style de jeu.
History - Legends of War
Ce chasseur de char allemand est repéré mais mes unités hors d’atteinte. Je peux donc l’engager sans craindre de contre-attaque immédiate.
History - Legends of War
La carte tactique brille par sa parfaite inutilité.

Le mot de la fin

On n’attendait pas grand-chose d’History – Legends of War et force est de constater qu’on avait raison. Si on imagine sans peine qu’il pourra briller sur consoles, faute de concurrence, son portage PC manque de finition et de profondeur pour convaincre. A la rigueur les novices en matière de tactical pourront prendre du plaisir car les mécaniques de base fonctionnent mais il suffit de gratter un peu le vernis pour apercevoir les nombreux défauts du jeu. Bref un titre honnête qui tombera sûrement rapidement dans l’oubli…

  • Patton à l’honneur
  • La complémentarité des unités
  • Bien pour les néophytes sur consoles
  • Difficulté artificielle
  • Peu de variété des cartes et de statistiques précises
  • L’absence de sauvegarde
  • Le multijoueur anémique
  • Historicité douteuse
Infos pratiques

Sortie : 8 mars 2013

Studio / éditeur : Enigma Software / Matrix – Slitherine

2 Commentaires

  1. Côté originalité concernant les modes de jeu “protection et infiltration”, le premier a déjà amplement et magistralement été utilisé par le vénérable “Panzer general – Scorched earth” (PG Front de l’Est, en français) quant au second, si son originalité me semble plus difficile à mettre en doute, je dois dire qu’il m’a cependant été donné de jouer sur un mode similaire dans au moins un scénario moddé (intitulé Reactor V3, si je ne m’abuse) pour WinSP MBT par un certain Plasmakrab (s’il se reconnait…) !

    Autrement, je souhaite au jeunes désireux de découvrir les wargames de ne pas tomber sur cette bouse. C’est le genre de rencontre qui peut ruiner un intérêt naissant. Ils auraient mieux fait de développer un portage sur iOS que sur xBoxet PS3. Sur PS Vita, pourquoi pas… encore faut-il posséder l’engin… ;) Reste que visuellement ça en jette et que le site officiel présente une courte bio du général faisant office didactique mais est-ce vraiment honnête de profiter de cet aspect faussement historique… ?

    • Sans oublier qu’opportunément cette bio passe sous silence la fin de carrière de l’excentrique en Asie et ses lubies atomiques, qui auraient certainement fait tache pour conclure cette élégie militaire.

Les commentaires sont fermés