Les anniversaires et commémorations sont propices aux sorties de jeux en tout genre. Après To End All Wars d’Ageod l’automne dernier, pour le centenaire de la Grande Guerre, voici à présent le bicentenaire de la bataille de Waterloo et la sortie ce mois-ci par NorbSoftDev de sa nouvelle simulation tactique, Scourge of War : Waterloo.
Pour les lecteurs ne connaissant pas la série Scourge of War, ce titre est le petit dernier d’une jeune mais grande famille de jeux. L’ancêtre est le Gettysburg ! de Sid Meier. Petite révolution à son époque, il fut l’un des premiers wargames tactiques à s’affranchir du tour par tour et de l’hexagone pour offrir la possibilité de revivre une bataille en temps réel en commandant ses unités sur une carte en trois dimensions. La postérité fut nombreuse : Antietam ! puis Waterloo (déjà) et Austerlitz. Ces deux derniers titres, curieusement, furent assez difficiles à trouver en Europe.
Puis vint la licence Take Command, focalisée sur la guerre de Sécession et les batailles de Bull Run. Enfin, le dernier avatar, le plus récent, incarné dans la série Scourge of War qui, à tout seigneur, tout honneur, ouvrit le bal avec Gettysburg. C’est à présent la bataille de Waterloo qui est au cœur des attentions.
Le principe n’a pas énormément évolué depuis toutes ces années et reste le même avec SoW Waterloo. Le jeu est en temps réel (pausable) sur une carte en trois dimensions. L’échelle de jeu va de la brigade (ou la batterie d’artillerie) à l’armée entière. Et, depuis les Take Command, la gestion de la chaîne de commandement est au cœur du jeu.
Après ces quelques mots préliminaires, qu’a donc Scourge of War : Waterloo sous le shako ?
Après l’installation, un menu de facture classique et assorti d’une musique de circonstance nous accueille. Elle est heureusement absente en jeu. Les options, tant graphiques que de jeu sont légion : chacun pourra personnaliser à loisir son expérience. Le joueur sera ainsi en mesure de décider de limiter sa capacité à donner des ordres, de limiter ce qu’il voit sur la carte, de limiter les mouvements de la caméra. Sur le plan graphique aussi la flexibilité est réelle, surtout pour les configurations les plus modestes : il est possible d’ajuster le nombre de sprite, les effets de fumée, les impacts, les détails sur le terrain, les uniformes. L’âge certain des graphismes et ces options permettent aux plus configurations les plus modestes d’envisager de faire tourner le jeu sans trop de difficultés.
Sur le plan du gameplay, SoW Waterloo propose plusieurs modes de jeu, dont une grosse nouveauté.
Il y a tout d’abord la très classique possibilité de jouer des scénarios traitant de moments clefs de la bataille de Waterloo (et seulement celle-ci, rien n’est prévu pour Ligny ou Quatre-Bras) : Hougoumont, le Chemin creux, etc… En tout, une quarantaine de scénarios pour les deux camps et, bien sûr, la possibilité de jouer la bataille entière pour les plus patients. Là plusieurs heures de jeu les attendent !
Deuxième option de jeu, le mode bac à sable. Autre classique de la série : ici, le joueur sélectionnera l’échelle souhaitée (de la brigade à l’armée), le camp et l’unité désirée. Enfin, il pourra choisir une des cartes génériques à disposition. Ces dernières se veulent une bonne représentation des paysages flamands et brabançons : plaines entrecoupées de routes, petits hameaux, grosses fermes (type Hougoumont). Ces cartes remplissent leur fonction parfaitement, mais visuellement, connaissant bien les plaines du nord de la France et de Belgique, je les trouve pour ma part un peu ternes, mornes et vides. Nous y reviendrons.
Enfin, la grande nouveauté de ce titre : la campagne bac à sable. Ici, après avoir à nouveau choisi le protagoniste et l’échelle, le joueur sera propulsé sur une carte stratégique représentant une partie des Flandres, le Brabant et une partie du Hainaut. Bref, le terrain de jeu de la campagne de Belgique de 1815. Pas d’objectifs, mais des villes qui représentent des étapes où il sera possible de se reposer ou d’entraîner certaines unités. Il conviendra donc d’organiser et de déplacer ses forces, l’objectif, à la discrétion du joueur, étant d’occuper le plus de villes possibles, d’occuper Bruxelles ou de détruire l’ennemi. Si les forces se rencontrent, les joueurs décident de combattre ou de se replier. Les éventuelles batailles se règlent sur les cartes génériques évoquées plus haut.
Ce concept nouveau, pour cette série, est intéressant. Certes, dans les titres précédents existait un système de campagne : il s’agissait alors de suivre les étapes des batailles représentées, généralement à l’échelle divisionnaire ou inférieure. Le jeu restait à l’échelle tactique. Ici, SoW Waterloo fait une incursion dans l’opérationnel. Pas de construction de troupes, mais gestion des pertes, du repos, des déplacements, du moral. Surtout, c’est un énorme coup de fouet à la rejouabilité du titre.
Au premier abord, cependant, ce mode campagne est une innovation majeure. Il garde un visage de prototype et des concepts un peu étranges, mais il a le mérite d’exister et de fonctionner. Hormis la curieuse carte de campagne et l’interface qui n’est visiblement pas faite pour un tel mode de jeu, on se prend facilement au jeu. Un des défauts principaux à mes yeux est la curieuse échelle temporelle venant du fait que la carte de campagne est considérée par le jeu comme… une carte de champ de bataille normale ! Voir une division faire Anvers-Bruxelles en une heure, Bruxelles – Maubeuge en trois ne devra pas vous étonner. Peut-être qu’à l’avenir (DLC ou patch?) ce module prometteur sera un peu plus poli sur ces aspects.
Et une fois en selle, au beau milieu d’une bataille, que dire de ce Waterloo ?
Le jeu est prenant et efficace. C’est incontestablement une réussite. Pourtant peu porté sur les guerres Napoléoniennes ou sur le personnage de Bonaparte, j’ai réellement apprécié cette simulation. Tout amateur de wargame tactique, non réfractaire ici au temps réel, intéressé par l’art de la guerre au XVIIIème et la période révolutionnaire et impériale y trouvera son compte.









Quelle que soit l’échelle de jeu choisie, le joueur aura deux possibilité. La première, classique, est de tout commander jusqu’au moindre régiment (voire, parfois, bataillon). L’ampleur de la tâche sera titanesque une fois dépassée l’échelle de la division. Je n’ose imaginer le travail pour rejouer toute la bataille de Waterloo avec ce type de contrôle régiment par régiment, sachant que le jeu n’autorise pas les ordres pendant la pause… Et que ce n’est après tout pas très réaliste !
L’autre option, celle qui est le cœur de la série, consiste à se reposer sur la chaîne de commandement et, éventuellement, à intervenir de manière ponctuelle. Ici, le joueur incarnera un chef dans l’ordre de bataille : général de brigade, de division, d’armée… Bonaparte / Wellington eux-mêmes ! Les unités seront commandées à l’aide d’ordres envoyés au moyen de courriers. Ces estafettes sont d’ailleurs susceptibles d’être tuées au feu ou interceptées par l’ennemi. Autres subtilités : vos subordonnées peuvent décider de n’en faire qu’à leur tête en ne suivant pas les ordres, en les suivant lentement, de manière incompétente ou au contraire avec trop de zèle en poursuivant trop loin une attaque. De même, si vous avez un supérieur hiérarchique, il pourra vous bombarder d’ordres inopportuns, contradictoires (mais… je suis en train de prendre cette ferme ?! Pourquoi reculer ?) ou irréalistes.
En somme, avec toutes les options de difficultés activées, la représentation du rôle de commandant est d’un réalisme notable : on ne voit qu’à la longue vue (comprenez qu’on ne peut pas déplacer la caméra librement) et à la carte, les subordonnés n’obéissent pas comme on le souhaite, le chef donne des ordres parfois stupides ou contrariants et on a un délai de plusieurs minutes avant d’avoir une réaction sur le terrain. Une telle façon de jouer peut déconcerter les néophytes ou les adeptes du contrôle direct des unités mais c’est aussi la force de la série Take Commande / Scourge of War. Ce concept de jeu, baptisé par les développeurs « Quartier-Général en selle », est pourtant particulièrement réaliste et très bien simulé.
L’intelligence artificielle remplit son rôle honorablement et elle saura par moment surprendre ses adversaires humains. J’ai en mémoire une attaque en tenaille de grand style d’un bois dans lequel j’avais réfugié une partie de mes forces. Je l’ai aussi vue repositionner ses troupes après les avoir, il faut le dire, déployées de manière assez chaotique avec des lignes se chevauchant. Les angles de tir, les flancs et les arrières sont simulés et l’adversaire informatique fera son possible pour en profiter et flanquer (au minimum…) ses ennemis. Dans SoW Waterloo, nous sommes loin des I.A. anémiques des Total War, pour citer une autre série de jeux à l’échelle tactique en temps réel. Méfiance !
Visuellement, le terrain de jeu est agréable mais sans plus. Je le trouve personnellement assez terne et fade, parfois vide. Assez éloigné des plaines flamandes ou brabançonnes en été. Peut-être à cause du ciel grisâtre choisi pour représenter les conditions météorologiques de la bataille. Il est cependant un peu déconcertant dans les scénarios en bac à sable ou la campagne aléatoire d’être affligé en permanence d’un ciel gris-blanc (celui que les Belges et les nordistes connaissent bien) quand le mois de juin peut être très ensoleillé et que le jeu y gagnerait en attrait. Des même, je trouve certaines des cartes aléatoires fort vides quand on connaît les lieux simulés, constellés de grosses ferme (type Hougoumont), de chemins, de bosquets, de champs.
Petit aparté sur ces grosses fermes : les cartes disposent maintenant de « forts ». Ce sont ces grosses exploitations agricoles où il est possible d’envoyer des troupes. Chaque « fort » dispose d’une capacité d’accueil et d’un compteur de dommages. Il est assez difficile d’en chasser des troupes ennemies et l’artillerie peut y aider.
Des couleurs plus ternes sont en tout cas un choix artistique continu depuis le premier Scourge of War. Quoi qu’il en soit, une fois passée la question des goûts et des couleurs dont, paraît-il, il ne faut pas discuter, la carte est une reconstitution soignée du champ de bataille. Les sprites des unités n’ont que peu évolué depuis Take Command Manassas, mais il faut reconnaître ici une meilleure résolution et des uniformes scrupuleusement reconstitués. Certains ont critiqué des graphismes hors-d’âge. A mes yeux, ils remplissent leur office, voire sont agréables, et surtout permettent un jeu complexe (avec un ratio de 1 sprite pour un homme ! ) sur des machines relativement modestes tout en permettant au moteur d’avoir une réelle profondeur tactique.
Il est à noter que ces unités disposent de statistiques détaillées, que ce soit sur leurs capacités au feu ou sur leur armement : elles ne sont pas identiques ou interchangeables !
Ces impressions positives sur Scourge of War – Waterloo sont néanmoins ternies par quelques défauts :
Tout d’abord, le jeu est incompatible avec les dernières versions de Windows 8. Un comble quand le système d’explication de Windows fête ses trois ans et que son successeur pointe le bout de son nez ! Le manuel du jeu précise bien qu’il faut exécuter le jeu en mode compatibilité mais nonobstant la modestie du studio ayant réalisé le titre (qui n’excuse pas tout trois ans après !), une mise à jour s’impose.
Autre point litigieux, l’interface. Je déplore personnellement les choix qui ont été faits pour des raisons de praticité. Cette succession de clics droits (pour orienter une unité, donner un ordre, le confirmer) est une source incessante de frustration et d’erreur en phase d’apprentissage. On peine à faire le clic droit prolongé correct pour orienter son régiment (clic pas trop long, pas trop court) puis dans le menu contextuel du fait d’une interface très sensible. Pendant la phase de découverte du jeu, attendez-vous à des déconvenues !
Une fois familiarisé avec le titre, les choses se passent mieux mais le bilan de cette modernisation est à mon sens mitigé. Il faut cependant noter la possibilité de donner une suite d’ordres à exécuter les uns après les autres ou la capacité à imposer des points de passage à une unité se déplaçant.
Deuxième problème, la non-différenciation des icônes et des boutons. Les habitués auront constaté en bas à droite de l’écran la présence des icônes et boutons relatifs à l’unité. Les boutons servent à donner des ordres, les icônes indiquent certains statuts. Ici, tout est de la même couleur et le néophyte s’y perdra. « Position défensive », est-ce un bouton pour ordonner à cette unité de prendre une position défensive ou l’indicateur d’un bonus ?
Encore une fois, l’usage viendra palier à ces insuffisances et ces confusions, mais on eût pu espérer d’un jeu récent une interface améliorée et non pas plus obscure.
Dernier point à évoquer, dans la catégorie des critiques, la disparition du bilan détaillé de la bataille. Une fois un scénario terminé, une vulgaire fenêtre s’affiche indiquant le score et le résultat du combat. Disparu le très détaillé rapport existant auparavant où l’on pouvait, presque minute par minute, suivre chaque unité. Rapport utile, notamment, pour évaluer les performances au feu des différents régiments ou pour apprendre qu’un commandant adverse a été tué.
Exemple de bataille hypothétique avec le mode campagne aléatoire

En résumé, que retenir de Scourge of War : Waterloo ?
Malgré quelques défauts plus ou moins structurels, nous voici en présence d’un très bon titre. Les insuffisances relevées plus haut sont compensées par l’expérience avec le jeu et la qualité générale de l’ensemble. L’apprentissage du système n’est pas trop long mais le jeu est assez complexe et subtil pour tenir en haleine un long moment même un joueur chevronné. La bataille de Waterloo et l’art de la guerre de cette époque sont bien simulés grâce à un bon système de jeu, des ordres de bataille scrupuleux et des cartes de qualité. Enfin, la campagne aléatoire permet d’enrichir l’expérience de jeu en faisant une incursion dans l’opérationnel. Notons aussi la possibilité de jouer avec un adversaire humain !
Si vous êtes un adepte de l’époque, allez-y sans hésiter. Les autre joueurs (du moins ceux qui n’ont rien contre le temps réel et l’absence de contrôle absolu sur leurs forces) pourront aussi y trouver leur compte, considérant la qualité du titre.
- Reconstitution de qualité ;
- Des nouveautés renforçant la rejouabilité ;
- Un titre prenant et efficace !
- Une interface confuse et certains choix artistiques discutables.
- Windows 8 incompatible sans une bidouille ? En 2015 ?!
Date de sortie : 9 juin 2015
Studio – Éditeur : NorbSoftDev – Matrix Slitherine
Site officiel : www.scourgeofwar.com ; fiche chez Matrix
Prix : 47, 99 € (téléchargement – 52,99 € en boîte)
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