Il fut une époque où l’école enseignait, outre les choses de la vie comme le bel art du pugilat en cour de récréation, les œuvres de fabulistes et penseurs des temps passés. Parmi les maximes apprises, certaines ont clairement marqué l’esprit des marmots qu’étaient alors les concepteurs de Time of Fury. Gageons que de ces morales et autres dictons, l’un devait être l’œuvre de Boileau : Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage… Mais qu’en est-il de cet aphorisme du Roman de Renard : Tant va le pot à l’eau qu’à la fin il se brise ? Voyons cela.

L’un des poils à gratter du jeu : les unités alliées. Laissées à la charge de l’ordinateur, elles se déploient en dépit du bon sens. C’est parfois sympathique mais plus souvent, très gênant. Moralité ? Prenez-en le contrôle !

Les expressions populaires ne manquent pas pour décrire ce que nous avons là : Faire du neuf avec du vieux ; C’est dans les vieux pots…, etc. Vous l’aurez compris si vous avez suivi l’évolution de cette série débutée en 2008 avec World War 2 : The Road to Victory, le titre qui nous occupe ici est l’évolution ultime, à ce jour, de ce coup d’essai peu réussi. Pour autant, peut-on reprocher à Wastelands Interactive, développeurs attitrés, de s’activer inlassablement sur ce qu’ils savent faire le mieux : créer des wargames opérationnels modélisant la seconde guerre mondiale ? Foncièrement, cette attitude semble respectable. Mais qu’en penser lorsque l’on se retrouve, pour la quatrième fois, devant un jeu présentant, encore et toujours, les mêmes lacunes, répétant inlassablement des erreurs pointées de longue date ? La réponse est simple, évidente : baisser la note finale !

Qu’on ne se méprenne pas sur cette sentence précédant tout procès véritable ! Time of Fury est ce qu’on peut sans crainte qualifier de bon jeu. Le paradoxe tient surtout au fait qu’après trois essais relativement peu fructueux (WW2 Road to Victory, WW2 Time of Wrath puis Storm over the Pacific), ce qui possède clairement le potentiel pour devenir un grand jeu, se contente de compiler des graphismes sympathiques, quelques améliorations du système et une poignée de bonnes idées, sans pour autant s’affranchir de tout ce qui plombait déjà le plus réussi de ses aînés, Time of Wrath (voir sur Cyberstratège le test WW2 Time of Wrath : la guerre en chantier ainsi que cet article y faisant suite).

L’essentiel n’a que peu évolué depuis mais les changements méritent d’être évoqués car ils marquent une progression sensible, faisant de ce titre le seul concurrent sérieux aux wargames opérationnels établis que sont Strategic Command (voir le test de SC2 Global Conflict), War in the East ou encore, le War on the Southern Front de HPS Simulations. En réalité, Time of Fury ne peut véritablement se comparer qu’avec le premier de cette liste. En effet, a contrario des deux autres, ils sont les seuls à tenter de simuler le conflit à l’échelle mondiale. L’énorme avantage (ce n’est pas le seul) du jeu de Wastelands étant qu’il permet de prendre en charge, simultanément, le destin de toutes les nations européennes majeures, ainsi que de leurs alliés (Hongrie ; Finlande ; Norvège ; Roumanie, etc.), plus quelques-unes des puissances périphériques d’Orient (Iran ou Turquie).

On remarquera l’oubli concernant l’analogie avec LE titre phare, souvent mentionné : Hearts of Iron. Cette comparaison n’étant cependant pas totalement pertinente, dans la mesure où ce dernier brille plutôt dans la catégorie des véritables jeux de stratégie. Time of Fury, s’il permet effectivement de s’amuser avec des outils stratégiques (logistique (convois), diplomatie et recherche), n’offre cependant ceux-ci qu’en guise de compléments superficiels, là où les jeux de Paradox les emploient comme éléments centraux, très étroitement liés au volet tactique et supplémentés d’un module de commerce mondial, ici totalement éludé.

Le front de l’Est représente un bon défi. Par la difficulté, exacerbée par une entrée en guerre -souvent prématurée- laissée à la discrétion de l’I.A. et sa réelle compétence, côté allemand. Une campagne à essayer !

La carte de jeu, bien entendu, présente l’aspect le plus évident de l’évolution de la série. Incluant désormais une représentation symbolisée des côtes américaines, on remarque immédiatement des zones maritimes découpées régionalement. Ces secteurs déjà utilisés chez Paradox revêtent ici un aspect novateur, dans la mesure où leur configuration change, dynamiquement, en fonction de la présence d’unités navales. Cela signifie que les navires en déplacement révéleront des zones accessibles au cours de leurs pérégrinations. Cela introduit également un fait nouveau : les combats navals seront désormais traités dans un module à part, avec tours alternés, comme leurs pendants terrestres mais limités, de un à cinq. Vous y contrôlerez vos vaisseaux individuellement. Ce système est cependant désactivé par défaut, laissant à l’I.A. le soin d’une résolution automatique.

On comprend rapidement la raison d’un tel choix… L’option activée, la simulation s’avère lente, peu intéressante sur la durée et surtout, n’apporte rien de concret en termes de réalisme. On l’utilisera un moment, puis on reviendra rapidement aux réglages par défaut. Bien que cela représente un effort dans le bon sens, les batailles navales sont encore une fois un semi-ratage frustrant. Tout comme l’aspect aérien de la partie, dans une bien moindre mesure ; la faute cette fois à un défaut d’équilibrage des résultats. Alors que l’I.A. terrestre s’acquitte honorablement de sa tâche, son équivalent maritime révèle douloureusement les contraintes de temps dont semblent avoir dû s’accommoder les concepteurs.

Autre changement visuel remarquable depuis WW2 Time of Wrath, l’interface s’avère à l’usage peu agréable car irritante, sous divers aspects. Si l’effort semble avoir porté sur l’information fournie au joueur, avec des tableaux de rapport plus complets et utiles que dans le titre précédemment testé, leur accès ainsi que le peu de convivialité lié à leur utilisation reste problématique.

L’ajout de filtres constitue néanmoins une réelle avancée, tout comme l’interactivité de certains de ces tableaux (on clique sur une entrée pour accéder aux unités). Cependant, le fait qu’ils se comportent différemment selon leur nature mais aussi et surtout, l’absence de mémorisation des réglages, limite l’agrément ressenti (un tri avec un filtre précis n’est jamais sauvegardé, obligeant sans cesse à refaire la même chose).

La Royal Navy dispersée aux quatre coins du monde, début septembre 1939. Une escadre au large de la Côte d’ivoire et un unique cuirassé isolé dans la Manche ; les autres radoubent dans les ports méditerranéens. À gauche, les zones maritimes accessibles, ainsi que l’Amérique du Nord, très stylisée.
Les relations diplomatiques sont désormais traitées directement sur la carte, via une icône spécifique. Cela semble pratique mais c’est une fausse impression.

 

Pour celles et ceux découvrant ce titre, rappelons ici les fondamentaux. Nous avons affaire à un wargame en tours alternés, permettant de jouer l’intégralité du conflit à l’Ouest, sur une large durée allant de la mi-août 1939, jusqu’au 31 décembre 1948 (onze scénarios au total, dont neuf campagnes morcelant la guerre en 452 tours, pour la plus longue). La date de fin maximale permet d’envisager un début de conflit Est-Ouest, avec utilisation potentielle de l’arme atomique (acquise via un module de recherche minimaliste mais suffisant). La guerre en Extrême-Orient fait l’objet d’un jeu spécifique :  Storm over the Pacific. La particularité unique de ces ludiciels étant la possibilité offerte, à tout moment d’une partie, de prendre ou laisser le contrôle, tant à l’ordinateur qu’au joueur humain. Cela rappelle les jeux de Talonsoft (la série des Battleground) mais dans une plus ample mesure. Comme précisé précédemment, la carte modélise assez librement un espace terrestre et maritime (certains détroits, entre autres, étant curieusement représentés) couvrant l’Europe continentale, ainsi que l’Atlantique. L’Afrique du Nord étant également dessinée.

La présentation générale a bénéficié d’un ravalement conséquent, plutôt réussi ; mise à niveau issue de celle initiée par Storm Over the Pacific. L’ensemble apparaît plus clair, propre et sérieux, que ce soit pour les menus et icônes ou l’aspect de la carte. Néanmoins, les panneaux d’information sont toujours aussi peu adaptés à l’affichage complet des noms d’unités et peinent à présenter intégralement certains textes indispensables (pop up des Events). On en retire cependant une impression plus rassurante, celle d’un meilleur fini. Cela se confirme lorsque l’on s’aperçoit que le jeu permet, dès la version 1.0, de terminer les dix tours du scénario d’introduction, sans déplorer le moindre plantage ou retour sur le bureau. De ce côté-là, Wastelands semble avoir convenablement appris sa leçon.

Voilà bien ce qui constitue l’amélioration fondamentale de ce jeu par rapport à WW2 Time of Wrath : la stabilité ! Pour un titre de ce genre, proposant de s’engager dans des parties solo ou multi-joueurs (en local ou via le protocole familier de Slitherine) s’étendant au gré de plusieurs centaines de tours (chacun requérant, selon l’implication du joueur, environ dix ou vingt minutes), cet aspect du logiciel est primordial. Quoi de plus frustrant, comme c’était le cas précédemment, de voir ses efforts réduits à néant après des dizaines d’heures ? De se retrouver avec une sauvegarde inutilisable ? Désormais le jeu, non seulement s’occupe de préserver automatiquement votre tour précédent mais aussi, s’offre le luxe de vous épargner tout plantage. Ayant personnellement enchaîné près de 400 tours consécutifs, je peux en témoigner : c’est une réelle satisfaction et un soulagement !

Le didacticiel, en revanche, se révèle d’une réalisation médiocre. Son Anglais approximatif (même pour un Français) donne d’emblée une piètre impression du jeu. L’impossibilité d’interagir dans son déroulement, la moindre erreur d’inattention contraignant à tout reprendre depuis le début, ou la fin abrupte d’un chapitre, sans avertissements, laisse un goût de négligé. L’obligation de cliquer sur les icônes minuscules de la Mini Map, afin de passer en revue chaque pas de zoom, avant et arrière (une bonne vingtaine de clics inutiles !) et autres joyeusetés, ne font pas honneur aux concepteurs. Bref, Wastelands n’a ici pas retenu grand-chose de ses trois précédentes tentatives sur le même concept. Point positif cependant, alors que la finition de l’interface pêche parfois : zones sensibles au scrolling mal définies (déplacer l’affichage alors que l’on désire simplement accéder à une fonction, cela irrite rapidement) ou encore, inadaptation à certaines résolutions (où l’on constate, à regret, que le format 16/10 tend à disparaître…), la réactivité ainsi que la célérité des solutions proposées par les développeurs, quotidiennement à l’écoute sur les forums de Matrix, mérite qu’on en fasse mention. Voilà une attitude naturelle qui se fait rare.

La possibilité de scinder ou de renforcer les unités apporte un surplus de variété tactique intéressant, malgré un résultat buggé qui devrait être corrigé par le prochain patch.

Les bugs ! S’il est un domaine sur lequel on peut s’apercevoir du travail qu’il reste encore à accomplir, pour faire accéder cette série aux plus hauts niveaux, voilà bien celui dont il s’agit. Rien de vraiment fatal au jeu cependant. Le système dans son ensemble est bien huilé et cela se ressent quand on joue. Les tours s’enchaînent frénétiquement ; on est rapidement happé dans la partie. Reste qu’une multitude de petits détails viennent sans cesse perturber cette belle immersion. Entre le texte de certains événements, qui déborde tant de l’écran qu’une partie en demeure illisible ; des unités dont les caractéristiques et le nombre d’hommes reste inchangé, malgré leur scission en sous-éléments (une nouveauté sympathique) ou encore, le fait de voir ses escadrilles décimées par des formations aériennes ou terrestres quasiment réduites à néant. Autant de désagréments, mineurs, mais dont la multiplicité affolante pénalise le résultat final.

Les bruitages et musiques d’ambiance restent dans la moyenne. Chaque déplacement ou attaque produisant un effet adapté, de qualité correcte. On note l’absence de sons d’arrière-plan, du type combats dans le lointain mais rares seront ceux qui s’en plaindront. Il sont agréablement remplacés par diverses musiques d’illustration, de bon ton ni trop envahissantes. Le manuel s’octroie une jolie mise à niveau en termes de présentation. Assez bien structuré, abordant l’essentiel au gré d’une petite centaine de pages aérées, il n’entre cependant pas toujours dans les détails mais cette remarque vaut également pour certains mécanismes du jeu, jamais explicités. Dans l’ensemble on note donc un progrès conséquent mais restent encore des points à revoir ou améliorer.

Le système d’événements s’est considérablement étoffé, offrant au joueur des choix parfois lourds de conséquences.
Chaque avancée technologique s’accompagne désormais d’options multiples concernant les avantages qui peuvent s’y rapporter.

Pour conclure

Time of Fury est un wargame plaisant par sa simplicité d’accès, qui rappelle fortement ce qu’on a pu éprouver avec un jeu tel que Panzer General, à une tout autre échelle. L’addiction est forte, soutenue cette fois par une stabilité remarquable. Si l’ajout d’un module d’édition peut, à terme, enrichir cette production, il faut toutefois déplorer un manque de finition encore extrêmement pénalisant, à l’instar de ce qu’il en était déjà pour les trois titres précédents dans cette série. Pour résumer : un bon jeu qui, grâce à de louables efforts de programmation, gagne enfin à être pratiqué assidûment mais dont les défauts, multiples, excluent l’attribution d’une quatrième étoile. La prochaine fois, peut-être ?

  • Logiciel enfin stable sur la durée, ce qui change tout !
  • Le syndrome du tour supplémentaire joue à plein.
  • Presque tout est modifiable (pas toujours simplement).
  • Les mécanismes de jeu sont désormais bien rodés.
  • PBEM++ de Slitherine
  • Beaucoup trop de bugs, d’incohérences et de maladresses.
  • Le réalisme historique, parfois trop malmené.
  • La guerre maritime est encore ratée.
  • Des parties vraiment très longues.
Infos pratiques

Site officiel : www.matrixgames.com/products/401/details/Time.of.Fury

Prix éditeur : 41,99 € (download).

Version testée : 1.0 sur  Win XP SP3 – Phenom X4 840 – RAM 3 Go – nVidia GTX460 SOC 768 Mo. Version française prévue ?  Aucune.

Configuration minimale conseillée par l’éditeur : Windows XP SP2 ; Vista ; Windows 7. 1,5 Ghz ou équivalent AMD. 1 Go RAM. Carte vidéo compatible DirectX 9, avec  128 Mo. Espace disque libre : 1,2 Go (Chez moi : 725 Mo). Carte son.