Casques à pointe rabotés, introduction à Strategic Command – World War I

Vous pensez que c’est une bonne idée de se lancer dans une partie du nouveau Strategic Command sans grande préparation ? Et bien, oui et non, car d’une part il n’a pas été trop glorieux pour moi d’être acculé à la défaite dès le printemps 1915 en jouant les puissances centrales (Allemagne, Autriche-Hongrie, Empire Ottoman). D’autre part, on apprend très vite, surtout face à un joueur redoutable comme Scramble.

 

Mes impressions du jeu et les leçons à en tirer sont commentées par Scramble en italique dans le texte (ndlr. les explications en colonne de droite). Nous jouons avec le mod graphique Blue Max, les captures d’écrans sont prises côté Entente par Scramble.

Puissances centrales

Résumons les grandes lignes : je lance mes Centraux à l’assaut de la Belgique dès que possible. Le plan : sécuriser la Belgique et s’y enterrer, pour ensuite renverser la vapeur à l’Est face aux Russes, qu’il conviendra de freiner avec un minimum de forces jusque-là. En Serbie, on prend ce qu’on peut, sans grandes ambitions.

Notons que j’ai joué à Strategic Command Classic : World War 1 (voir cet article). Rassuré par la similitude de l’ancien et du nouvel opus, je me suis lancé sans lire le manuel, et avec une expérience contre l’IA de quelques tours, pensant profiter de mon expérience sur d’autres jeux de stratégie.

Entente

De mon côté, la stratégie générale est basée sur un seul mot : usure. Les alliés de l’Entente (France, Royaume-Uni, Russie, Serbie) sont plus nombreux, alors on va jouer la montre et épuiser les Puissances Centrales, en fait c’est une variante stratégique Alliée du plan de Falkenhayn sur Verdun.

Pour cela à l’Ouest, on arrête les Huns dès que possible et on les saigne au maximum. Aussi dès que l’estimation des pertes est égale ou favorable, on attaque en essayant in fine de détruire l’unité adverse, sinon on creuse. A l’Est, on profite de notre avantage initial pour faire le maximum de dégâts. Toute la production de ressources va y être engloutie. On passera progressivement à la défensive comme on pourra, sans renforts, ni Recherche.

1 : Septembre 1914, contre toute attente, les Puissances Centrales sont très agressives …
2 : … tandis qu’à l’Ouest, on essaie d’éviter la capitulation Belge.

Le résultat : une offensive à l’Ouest qui n’est pas allée au-delà de Bruxelles, stoppée par une nuée franco-anglaise qui m’a saigné à blanc … pendant que j’essayais désespérément d’arrêter la déferlante russe.

Deux erreurs principales de mon côté : sous-estimer la résilience russe, car la qualité de l’armée russe était tout à fait comparable à l’allemande. Je n’ai pas pris la saignée qui a eu lieu au sérieux assez vite, pensant que le Tsar ne pourrait compenser les pertes encourues contre mes positions défensives assez pour soutenir une offensive. Scramble a joué à fond son avantage numérique, s’enfonçant profondément derrière mes lignes. Ma compréhension de la logistique s’est avérée fautive : je pensais que sans lignes de ravitaillement correctes et établies depuis quelques tours, ses cavaliers et fantassins ne seraient rapidement plus en état d’avancer et combattre efficacement. Ce ne fut pas le cas.

En fait, alors que je pensais souffrir à l’Ouest et payer le prix fort à l’Est pour chaque mètre de terrain, l’offensive allemande en Lituanie a été des plus bénéfiques. Elle a permis un engagement plus rapide de mes troupes et l’encerclement des unités trop avancées. Coupées de leurs lignes de ravitaillement, elles devenaient très vulnérables. Au lieu de les abandonner, von Aasen a voulu les sauver envoyant de nouvelles unités au contact.

Au Sud, les Autrichiens souffrent, mais tiennent le coup, tout comme les Serbes pour l’Entente.

A l’ouest, la guerre d’usure se poursuit, aucun camp ne prenant vraiment l’avantage.

3 : Octobre 1914, la Lituanie est reprise, libérant quatre corps pour la suite des opérations, sans oublier les renforts qui continuent d’arriver…
4 : Roulement constant d’unités, les unités sont renforcées à l’arrière tandis que la ligne de front est affaiblie par ses assauts.
5 : Novembre 1914, la théorie des dominos : pour ne pas avoir voulu sacrifier ses unités en Lituanie, ses nouvelles unités se retrouvent elles-mêmes encerclées. On peut ainsi voir une unité prussienne à 11, qui sans ravitaillement sera affaiblie. Königsberg est encerclé, on attend tranquillement sa chute sans assauts.
6 : Usure … Pourtant mon rêve était de couper l’armée prussienne en deux pour isoler la moitié nord en Belgique avec la frontière hollandaise, mais ce n’était pas le plan.

En tant que débutant, il m’était difficile de comprendre les tenants et aboutissants du ravitaillement, ce qui fait que j’avais toujours l’impression d’être sous-ravitaillé, faire filer des trains à travers l’Allemagne pour jeter des troupes fraîches face aux Russes, qui se sont vues bousculées en raison du trop peu de préparation, alors qu’en face j’avais a priori toujours des Russes en pleine forme, prêts à massacrer mes renforts.

Conclusion sur ce point : il faut prévoir des renforts vite et ne pas hésiter à lâcher du terrain. Les ports (je pensais m’appuyer sur Königsberg comme base logistique) n’ont qu’un effet limité sur les troupes un peu plus loin de la côte quand il n’y a pas de routes.

La théorie des dominos : cette agressivité face aux russes était une erreur et au lieu de l’acter et d’abandonner la Prusse Orientale pour gagner du temps, il a continué d’envoyer ses troupes recoller, les entrainant à leurs pertes.

Bien entendu, tout cela s’est ressenti sur le front de l’Ouest, où l’Entente a pris doucement l’avantage, tout en favorisant la Recherche et la création de nouvelles unités. C’est ainsi, qu’ils ont pu commencer la chasse aux sous-marins de façon plus active.

7 : Janvier 1915, la poche de Königsberg est réduite, tandis que la citadelle est assiégée, le gros des troupes se déplace vers l’Est.
8 : A l’Ouest, rien de nouveau…
9 : Le blocus de l’Allemagne tient ferme. Les pertes en 1915 : si la marine russe a souffert, on constate que les pertes terrestres des Puissances centrales sont supérieures à celle de l’Entente.
10 : Avril 1915, on croirait le front de l’Est en 1944.

Deuxième erreur centrale, un grand classique : privilégier le long sur le court terme. En effet, la Recherche me paraissait gravement sous-financée dès le départ. Au-delà de ce que le jeu m’offre au départ, je voulais palier à l’essentiel : armes d’infanterie, doctrines d’infanterie, tranchées améliorées et des gaz de combat pour mon artillerie. Un investissement qui m’a fait perdre en dynamique sur une phase essentielle du jeu, car il me manquait des troupes un peu partout. De fil en aiguille, je me suis vu forcé de prendre des décisions risquées : appuyer des offensives sur des unités endommagées (et donc sujettes à des contre-attaques meurtrières), placer des troupes semi-ravitaillées en ligne de front pour sécuriser ma ligne de front, investir dans des détachements (moins puissants que les corps) d’infanterie pour boucher les trous et créer des points d’achoppement.

On voit donc que de mauvaises décisions au début se payent cher. En lisant un peu d’autres récits, la prise des mines de charbon dans le Nord de la France est tout à fait essentielle à l’effort de guerre à long terme. Les déroutes successives ont aussi beaucoup tiré sur le moral allemand (les Austro-Hongrois restaient dans un cadre acceptable), ce qui à nouveau réduit leur capacité de combat, un cercle vicieux qui a très vite gagné en vitesse.

Interrompons ce récit tragique un moment pour citer mes deux seuls succès relatifs : la quasi-destruction de la flotte russe en Baltique, qui voulait protéger les sous-marins anglais qui s’attaquaient aux convois de fer suédois. Un coup dur au moral russe, hélas bien loin de faire la différence, car pour cela il m’aurait fallu des gains en territoire, comme la prise de Varsovie. J’aurais alors pu mettre en route le cercle vicieux en sens inverse : chute de moral russe, moins de combativité, plus d’occasions pour moi. Le talent de Scramble a su éviter cela avec facilité (je propose de lui octroyer un joli domaine seigneurial en Estonie pour qu’il puisse finir ses jours baignant dans du champagne de Crimée).

Aussi, mon adversaire s’est montré très agressif : attaquant sur tous les fronts à une vitesse faramineuse, j’ai pu profiter d’un moment téméraire pour encercler Anvers et prendre cette forteresse à bas prix. Maigre consolation.

Ce qui n’a pas joué en ma faveur pour compenser mes lacunes évidentes, c’est l’importance des tranchées. En effet, chaque unité a besoin d’un ordre explicite pour s’enterrer. C’est fastidieux, et surtout on manque vite l’une ou l’autre unité quand on ne fait pas trop attention, car les pions prennent beaucoup de place sur les hexagones, surtout sur le Blue Max mod, rendant difficile la vue des tranchées creusées. Quand on n’est pas trop pointilleux (regardez vers moi), on se retrouve donc vite avec des unités qui se tournent les pouces plutôt que de manier la pelle. Il faut passer sur un autre filtre de carte pour avoir une vue d’ensemble, malheureusement cette vue ne montre plus aucun pion, on passe donc d’un filtre à l’autre, et ce n’est pas très pratique.

11 : Anvers et Bruxelles sont libérés, on avance doucement, mais surement.

 

La flotte russe a bien combattu, elle a gêné les convois suédois vers l’Allemagne. La perte en PPM, ainsi que les éventuels coûts de réparation de la marine allemande justifient son sacrifice. Ces pertes sans réelles conséquences pour les Russes oblitéraient les chances allemandes de briser le blocus.

Si l’interface Blue Max est plus sympathique, il est vrai que les tranchées me semblent moins marquées. Il faut en effet passer son temps à regarder le terrain et faire attention, des fois elles ne sont pas dans la bonne orientation. Toujours, dans cet esprit-là, lorsque l’Italie est rentrée en guerre, je ne m’en suis pas rendu compte et me suis contenté de retrancher les troupes italiennes, quand j’ai remarqué qu’elles pouvaient se déplacer en Autriche, j’ai compris…

 

Pour plus d’informations sur le mod Blue Max, qui en option change les graphismes du jeu, voyez cette présentation dans le forum officiel.

12 : 8 mai…1915, les fronts Est et Ouest réunis. La ligne de front prussienne est tenue par les QG, ça sent la fin.
13 : Et le front Sud, avec l’entrée en guerre de l’Italie, bien retranchée sur la frontière, et le statu quo en Serbie.

Autre faiblesse de l’interface qui demande du micro-management pour la compenser : le moral et l’état de préparation des troupes, qui ne se voit qu’en sélectionnant une unité individuellement. Il aurait été très pratique d’avoir un code couleur indiquant ces facteurs directement sur la carte, un peu à l’image des jeux AGEOD, où l’on voit en un clin d’œil le niveau de force et le niveau d’organisation d’une armée, alors qu’ici on ne voit que le niveau de force au premier abord.

Étonnant pour un habitué des jeux de stratégie : la position défensive d’une troupe m’a semblé ne pas offrir d’avantage décisif. Quand je vois une troupe solidement retranchée sur un flanc de montage, ravitaillée et reposée, je me dis que c’est du solide et qu’il serait suicidaire pour mon adversaire de s’y attaquer, qu’il faudrait au moins une grosse préparation d’artillerie. Ça n’a pas été le cas, les coûts d’une attaque fleur au fusil me semblaient largement justifiables. Attention donc aux préjugés !

Dernière remarque du point de vue du joueur inexpérimenté : la difficulté à anticiper les évènements en cours de jeu, un point que Scramble soulevait déjà dans son test. En jouant contre l’IA, j’ai vu que des unités de Landsturm (milice) se formaient dès qu’on s’approchait de villes allemandes en Prusse. Il n’y a pas d’équivalent en multijoueur, c’est donc une aide pour l’IA, mais c’est impossible à savoir sans l’avoir vu. La mobilisation en début de partie est elle aussi en partie scriptée, en partie non. On ne peut donc pas se fier aux écrans de productions pour savoir quand quelle unité va être déployée. Comme nous parlons d’un nombre conséquent de corps d’armées, ce n’est pas trivial. Il y a une paire d’exemples dans cette veine : l’Italie s’apprête à entrer en guerre ? Trois détachements gratuits pour l’Autriche-Hongrie. Ah, merci ? L’Empire Ottoman entre en guerre contre la Russie, j’espère dévier des troupes de Pologne en attaquant. La Russie cependant reçoit des corps de montagne gratuits par évènement dans le Caucase, sans avertissement préalable.

L’expérience est donc primordiale pour bien appréhender ce jeu, où les erreurs se payent cher. Outre l’entrainement contre l’IA, un match à l’amiable en multi est donc tout aussi essentiel. Notons que Scramble n’a joué qu’une campagne incomplète avec l’Entente avant de se lancer contre moi, son avantage de « prémonition » était donc limité, et ce sont bien mes lacunes qui ont mené à des casques à point rabotés à vitesse grand V.

14 : Positions avant le tour russe, clairement la partie est jouée.

 

En fait, ce qu’il faut bien voir, c’est que les tranchées s’améliorent avec la Recherche. Elles sont donc moins efficaces au début du conflit. On n’a pas pu vraiment le constater ici, de par la rapidité de la partie. Ainsi, le côté Recherche technologique n’a amené que l’amélioration de la lutte anti-sous-marine pour les anglais, (et un U-Boot en moins, un), sinon rien. Mais cela est vrai dans les deux sens.

 

Pour plus d’informations sur Strategic Command : World War I, voyez cette page chez l’éditeur ou celle-ci sur Steam.

15 : L’offensive italienne, dernier clou pour le cercueil des Empires centraux …

 

Derniers mots

Pour l’investissement en temps de jeu, il m’a fallu entre une heure pour les tout premiers tours avec une grosse activité de mobilisation et un quart d’heure pour jouer des tours d’hivers plutôt calmes. Au-delà des points cités, Strategic Command – World War I offre un potentiel à l’image de son prédécesseur, et donc une excellente simulation détaillée, sans tomber dans le « monster game » injouable de par sa complexité. Mon casque à pointe dûment raboté, je remercie Scramble pour cette partie et me replonge avec humilité dans le manuel et les guides en ligne.