Grande querelle médiévale de pouvoir s’il en est, l’affrontement entre le chef de l’Église catholique et le souverain du Saint Empire Romain Germanique joue à sa manière une forme de prolongation dans la nouvelle extension d’Europa Universalis IV. Disponible depuis le 9 juin et sobrement baptisée Emperor, elle est tout de même le seizième contenu majeur pour ce jeu. Elle s’accompagne d’un important patch 1.30 comme de contenus mineurs à part. La focale est cette fois mise sur l’Europe centrale ainsi que l’Italie et propose particulièrement de revoir les mécanismes de jeu du monde germanique comme de la papauté. L’idée est très bonne, ce sont deux régions particulièrement intéressantes à jouer. Il nous reste à voir à présent ce que cela signifie en termes de jeu.

 

L’empereur

Commençons par l’empereur, car l’extension se nomme ainsi. Les nouveautés concernent en fait surtout le Saint empire romain germanique, très intéressante et complexe construction politique d’origine médiévale et qui survit jusqu’à ce que Napoléon le démantèle. Fait d’États de toutes tailles, de la cité libre aux puissantes Bavière ou Prusse, cet ensemble est une monarchie élective sous l’autorité d’un empereur choisi par quelques princes-électeurs. En fait, au cours de l’époque couverte par le jeu, l’Empereur est presque toujours choisi dans la famille des Habsbourg et elle voit une lente perte d’autorité de celui-ci au profit des États eux-mêmes. Quand il disparaît en 1806, il est l’ombre de lui-même mais a connu des événements fondamentaux pour l’histoire européenne.

Le joueur peut justement relever le défi de refaire de ce souverain le chef réel des membres du Saint-Empire et, pourquoi pas, l’unifier. C’était déjà envisageable auparavant, mais cette fois il est possible de choisir une deuxième voie, celle d’une fédération plus lâche mais peut-être plus pérenne. L’empereur doit aussi prendre parti pendant plusieurs querelles qui ont secoué l’histoire de cet empire, comme la perte de l’Italie du Nord, les grandes révoltes paysannes ou le déclin des ligues commerciales de la mer Baltique (la Hanse). A lui de choisir entre plusieurs options, qui braqueront certains États et plairont à d’autres. Cela offre diverses nouvelles possibilités, mais trop rares à mon goût et sur lesquelles le joueur a peu de prise.

 

Europa Universalis IV: Emperor
1: Un trésor de la Curie est modélisé. Pourquoi pas. On se rappelle la mauvaise volonté d’Henry VIII à verser au pape une partie de son argent.

 

Europa Universalis IV: Emperor
2: Le contrôleur de la Curie peut publier diverses bulles pontificales. Ce ne sont jamais que des galeries de bonus sans contrepartie. Dommage.
Europa Universalis IV: Emperor
3: Un exemple de bulle. Cela caricature un peu ce qu’est une bulle pontificale et parler d’absolutisme en 1445 est un peu prématuré, mais passons.
Europa Universalis IV: Emperor
4: Les missions pontificales sont assez fouillées.
Europa Universalis IV: Emperor
5: Encore une fois, c’est un peu caricaturer ce qu’est un concile.
6: Les dispositions prises lors du concile de Trente. Elles varient selon les décisions des cardinaux.
7: Ledit concile vient agréablement ponctuer les parties en tout cas.
8: Après plusieurs siècles de jeu avec les Etats de l’Eglise, j’ai rassemblé presque toute l’Italie sous ma férule.
9: Le royaume de Dieu sur terre est proclamé !

On aurait aimé pouvoir convoquer la diète d’Empire (sorte d’assemblée décisionnaire), sur le modèle des parlements (même si ce n’en est pas vraiment un), et avoir plus de choix pour régler la querelle religieuse. En effet, très rapidement dans le jeu l’autorité impériale est réduite à rien par la Réforme. Il faut donc en passer par une très difficile guerre entre États catholiques et protestants de l’Empire, sur le modèle de la guerre de Trente Ans (1618-1648). Jouer l’empereur n’est toujours pas facile car il faut maintenir son autorité, protéger les États membres, veiller à contenter les électeurs et à maintenir l’Europe centrale divisée pour ne pas avoir de concurrent au trône et espérer le conserver. C’est un beau défi un peu renouvelé, mais pas assez à mon sens.

Le pape

La papauté a également son lot de nouveautés, elles aussi assez peu nombreuses au final. Il est désormais possible de publier des bulles papales à intervalles réguliers, qui ne sont rien d’autre que des bonus pour les nations catholiques. On aurait aimé qu’elles s’assortissent de quelques obligations, surtout au début du jeu, mais il n’en est rien. Il est aussi possible d’attribuer certains territoires coloniaux aux puissances les ayant découverts, à la façon du traité de Tordesillas, ce « partage du monde » de 1494. Les autres encourent alors des malus en cas de conquête d’un territoire « illégal ». C’est intéressant, mais subsiste trop avant dans le jeu, alors que cela ne signifie historiquement plus rien passé une certaine date. Dans les derniers siècles de la période, les souverains sont loin d’écouter le pape, qui ne se réfère plus vraiment à ce traité… Et dès l’époque, François Ier lui-même, ironique, avait demandé à voir « le testament d’Adam » qui aurait justifié un pareil partage. Cela n’empêcha déjà pas le roi d’aller en direction du Canada avec Jacques Cartier.

En jouant les États pontificaux, on peut toutefois un peu plus contrôler tous ces aspects religieux et les dîmes versées par les États catholiques peuvent servir à quelques actions. Bien trop peu à mon goût. A la fin de ma partie, le trésor papal représentait une somme folle et totalement inutile, car sans possibilité de la mobiliser vraiment. Quel dommage. Pareil pour le long concile de Trente : il est désormais modélisé, mais en un clic les cardinaux se rangent à tel ou tel avis et c’en est fini de l’interaction. On se consolera en unifiant l’Italie sous la houlette du Saint-Siège et en proclamant le « royaume de Dieu sur terre ».

La partie reste très intéressante, car difficile. Il faut compter avec un Empereur germanique qui surveille le nord de l’Italie en début de partie, forçant à agir lorsqu’il est en guerre et mauvaise posture, alors que le sud est aux mains de l’Aragon, puis de Naples ou de l’Espagne. Le « challenge » viendra combler le joueur qui ne s’est jamais vraiment intéressé à cette zone, et ramènera celui qui ne l’avait pas tentée depuis longtemps.

J’aurais tout de même aimé plus de possibilités d’action vis-à-vis des « hérésies » (question de point de vue…) et la Réforme. Par exemple la modélisation de la foi hussite, notamment en Bohème et en Hongrie, n’apporte pas suffisamment de possibilités de prévenir le protestantisme en donnant au joueur papal la possibilité de réagir dès avant la Réforme. Idem pour ce qui est des relations avec les autres États. Par exemple le soutien à des rébellions visant à rétablir le catholicisme aurait été intéressant. Les papes aidèrent ainsi plus ou moins directement la famille des Stuarts en exil qui tenta de reprendre le trône à plusieurs reprises en Angleterre (voir à ce sujet mon article « Bonnie prince Charlie » à l’assaut du trône (1745-1746)). Il y avait encore des choses à faire… Le système des conseillers pourrait être adapté au collège des cardinaux par exemple.

Révolutions et autres ajouts

Troisième partie du triptyque gagnant : la révolution. Les phénomènes révolutionnaires viennent redonner de l’intérêt aux fins de partie, comme le début de l’industrialisation mis en place dans une autre extension, et permettent de pimenter les dernières années de jeu. Un peu sur le modèle des religions réformées, ils se diffusent à partir d’un certain point, un foyer révolutionnaire, quand suffisamment de conditions sont réunies (comme un certain niveau d’absolutisme).

D’ailleurs, jouant avec la papauté, j’ai vu que les États de l’Église ne pouvaient devenir un foyer de révolution. J’ai été interloqué. En soi il est clair que l’Église est aux antipodes de la Révolution, mais le jeu considère-t-il comme impossible qu’une révolution y survienne ? Car ces foyers peut survenir toutefois très loin de la France de 1789, comme au Bengale dans une de mes parties… Ce qui, on l’admettra, est assez loin de la réalité historique. Ainsi, les révolutions peuvent ne pas vous toucher du tout, ce qui est un peu dommage finalement. Néanmoins, un joueur marqué par une contagion révolutionnaire peut faire le choix de lutter contre elle par la force armée, dans les années 1780-1810. Un pont caché avec un futur Victoria III qu’on ose plus espérer ? Je souhaite le croire.

Enfin, à côté de cela, notons des ajouts plus mineurs. Une vingtaine d’États voient de nouvelles missions être proposées, le système de défenseur de la foi a été un peu modifié et on peut provoquer une rébellion plutôt qu’attendre qu’elle ne se déclenche, ce qui permet de mieux anticiper, contre une force ennemie plus forte que prévu. Ce n’est pas inutile, mais rien de transcendant non plus. Ce n’est pas tout car le patch 1.30 donne aussi d’autres possibilités, mais je parlerai à part de ses ajouts gratuits.

Quant au Content Pack, lié à l’extension, DLC cosmétique vendu à six euros, je vous laisse juge de sa pertinence. Personnellement je ne zoome pratiquement jamais assez pour en profiter.

10: Un exemple de partie plutôt réussie avec la papauté.
11: Le royaume de Dieu se répercute sur les réformes gouvernementales
12: En fin de partie les vagues révolutionnaires peuvent atteindre les colonies. On songe bien sûr à 1776 et aux États-Unis !
13: Le foyer révolutionnaire est parti du Bengale durant cette session.
14: La révolution se répand ensuite peu à peu, de manière un peu trop schématique.
15: Jamais le Saint-Siège ne pourra faire la Révolution… Non, cela paraît logique. Mais sa population pourquoi pas ? Après tout, le Bengale très éloigné du Paris de 1789 l’a bien fait durant cette partie.
16: Le trésor de la Curie est rapidement inutile.
17: Fin de partie réussie… Je déborde sur l’Allemagne.

Exemple de partie avec l’Empereur

18: Je commence avec l’Autriche et essaie de réformer le Saint Empire.
19: Il va falloir sans cesse réagir à ce que font les États de l’Empire.
20: Ce qui les mécontente. Gardez de bonnes relations avec les électeurs.
21: La succession de Bourgogne est mieux faite qu’avant. J’en hérite dans cette partie.
22: Voilà qui est fait.
23: Étendre l’Empire accroît l’autorité impériale.
24: Les doctrines autrichiennes sont liées à l’Empire. Pas assez à mon sens.
25: C’est le début de la réforme. Bientôt, il y a trop de princes protestants pour gagner le moindre point d’autorité.
26: En voilà l’illustration.
27: De plus, il faut surveiller les électeurs. La Bohème est un puissant rival.
28: Le concile de Trente côté cardinaux.
29: A vous de choisir.
30: Des incidents surviennent ponctuellement. Trop peu.
31: Mieux vaut ne pas mécontenter les électeurs.
32: Seul moyen de régler la querelle religieuse. La guerre, comme celle de Trente ans.
33: Assez incongru… Celle de François Ier oui, mais Chypre ?
34: Les fameuses guerres de religion.
35: C’est le début. Bien avant 1618 dans cette partie.
36: Retrouver la Moscovie et les Ottomans dans le camp protestant ? Assez improbable.
Notes
Multimédia
65 %
Interface
80 %
Gameplay
60 %
Article précédentGalaxy Command : une nouvelle dimension s’ouvre pour Stellaris
Article suivantNapoleonic 20 passe chez Decision Games
europa-universalis-iv-emperor-le-pape-ou-lempereur<b>Graphismes</b> : le jeu reste joli à regarder, est fluide, la personnalisation est là, mais aurait pu être plus poussée. Les nouveaux modèles d’unités ne sont pas gratuits contrairement à Rule Britannia.<br /> <b>Interface</b> : toujours très efficace, des options liées à la papauté et à l’Empire qui s’intègrent bien dans le reste. Elle reste très lisible.<br /> <b>Gameplay</b> : Un contenu finalement assez maigre sur les points forts mis en avant. C’est dommage.<br /><br /> L’extension est loin d’être inintéressante, mais je trouve le contenu singulièrement plus maigre que d’habitude. Beaucoup de nouveaux mécanismes vont occuper le joueur le temps d’un clic ou deux, et il n’y reviendra plus faute de réelles possibilités de jeu supplémentaires. Il est certes facile de se mettre à la place des développeurs ; mais on aurait souhaité plus d’interactions dans le Saint Empire, des mécanismes de réforme catholique plus poussés. Peut-être faut-il admettre aussi que le jeu, sorti en 2013, ne peut pas non plus être maintenu en vie à l’infini avec des contenus dont la profondeur se fait moindre à mesure que tout ou presque a déjà été exploré ? On continuera d’ailleurs de pester contre certains aspects jamais vraiment repris malgré le nombre impressionnant de DLC et de patchs. Après 240 heures de jeu depuis sa sortie et toutes ses extensions, je passe toujours mon temps à jouer au chat et à la souris avec les troupes ennemies, les Ottomans sont trop forts à toutes mes parties... Signe que certains domaines auraient pourtant mérité d’être revus, rééquilibrés depuis longtemps.