Dans les années 30, la peur du bolchevisme s’exprimait ainsi dans les coulisses diplomatiques mondiales : « Plutôt Hitler que Staline ! ». Chacun sait où cette attitude conduisit. Moins de deux ans après l’invasion de la Pologne, le 22 juin 1941 Hitler rompt le pacte Ribbentrop-Molotov, engageant ses troupes dans l’opération Barbarossa, sur un front de près de 2000 Km. Alors que la ligne Molotov vole en éclats, cette offensive destinée à étrangler l’URSS « avant l’hiver », sa logistique et son armée, marque l’origine du conflit le plus terrible de l’histoire humaine. Abordé -comme bien souvent- « la fleur au fusil », il va sonner le glas de la Wermacht.
Voilà ce que nous proposent de revivre, bien au chaud près d’une unité centrale ronronnante ou d’un chat Tigre, les maîtres d’oeuvre du studio 2By3.
Un wargame relativement simple à aborder mais difficile à maîtriser ; ainsi pourrait-on présenter la chose. Une complexité se révélant au fur et à mesure, au gré de l’implication du joueur ; ajoutant du détail au gameplay, couche après couche. Chacun prendra son rythme pour découvrir et appréhender des mécanismes parfois profonds, souvent inutilement complexifiés par une interface ou une documentation largement perfectibles. Un grand et gros jeu, à la mesure de la réputation acquise par ses développeurs ces dernières années au fil de titres scrupuleusement détaillés, souvent réservés à une « élite passionnée ». War in the East tente l’amorce d’un virage vers le commun des wargamers avec, cerise sur le gâteau, une carte splendide… en été.
Pour mémoire, nous avons ici un wargame opérationnel en tours alternés. Se focalisant donc sur les aspects spécifiquement militaires d’une stratégie globale, dont sont abstraits recherche et diplomatie. Côté production, un bilan textuel très détaillé présente les unités disponibles avant affectation ; le commandant devra faire avec ce qu’on lui alloue ! La carte englobe pratiquement l’intégralité du front historique. Depuis Magdeburg à l’ouest, jusqu’aux monts de l’Oural à l’est ; du lac Ladoga au nord et Sofia au sud.
La résolution est d’environ 16Km/hexagone ; une semaine/tour. Illustration musicale et environnement sonore sont anecdotiques ; couper le son ne changera pas grand-chose à l’immersion. Pour d’autres détails, concernant notamment le développement chaotique de ce jeu sur une période de près de dix ans, reportez-vous aux notes de Joel Billings à ce sujet.
Les scénarios offrent dix parties d’introduction et d’apprentissage des règles, variant de trois à vingt-quatre tours. Le cœur du jeu propose quatre campagnes complètes couvrant l’intégralité du front. Elles se répartissent chronologiquement au fil de l’invasion de l’URSS, pour s’achever par la contre-offensive victorieuse ayant préludé à la chute du Reich. Vous pourrez opter pour un début de campagne en 1941, 1942, 1943 ou 1944, soit respectivement 224, 171, 118 et 67 tours (comptez 45’/tour au minimum, sur le front complet).
Dans tous les cas, l’issue finale interviendra au plus tard en septembre 1945. Vous aurez l’opportunité de passer du côté opposé à tout moment, ce qui peut donner lieu à des défis personnels amusants. En toute logique aucun scénario n’est spécifiquement élaboré pour s’adapter au jeu par e-mail (classique ou supervisé via les serveurs de Slitherine).
Le didacticiel, trop succinct, s’avère extrêmement décevant. Vous n’y apprendrez strictement rien sur les phases logistiques ou l’aspect stratégique des manœuvres. Le débutant fera mieux de le considérer tel un scénario classique de dix tours, en se référant au manuel pour apprendre à superviser ses armées. Un véritable didacticiel intégré fait ici cruellement défaut. L’attitude de Matrix sur ce point -en plus de ne pas fournir de documentation papier complète- est à la limite de l’acceptable au regard du prix demandé. C’est d’autant plus regrettable qu’un tel jeu mériterait vraiment ce qu’il y a de mieux.
Jouer les scénarios de type « Road to » constitue une excellente préparation avant d’aborder les « Campaigns ». De courte durée, ils concernent chacun un groupe d’armée présent également dans les campagnes : Nord, Centre et Sud. Cette approche rationnelle, « découpant » le front en fonction des H.Q. (unités de commandement) affectés à des zones, aide grandement à appréhender les mécanismes du jeu mais également à comprendre les problèmes rencontrés par les commandants de l’époque. Chacun de ces trois « Groupes d’armées » se révèle à la fois indépendant et constitutif d’une figure d’ensemble, vision globale du Front de l’est. En ce sens, ces scénarios courts remplissent parfaitement leur double rôle, didactique et ludique. D’autant que ceux de type « Operation » complètent et parachèvent idéalement cette phase initiatique, englobant sur un front plus étendu les armées Nord et Centre dans « Operation Typhoon », ainsi que les troupes alliées roumaines, hongroises, italiennes et slovaques dans « Operation Blue ». « Barbarossa » permettant, enfin, de s’attaquer au front complet sur une durée historique plus réduite (du 22 juin au 3 décembre 1941).
Pour résumer, tout cela est parfaitement pensé pour aider le joueur à suivre une progression régulière, accompagnée d’une lecture progressive du manuel. Bien entendu, chacun reste libre de suivre son propre cheminement dans l’acquisition des bases mais la démarche des concepteurs offre le mérite d’une évidente cohérence.
La présentation du jeu appelle quelques remarques. L’interface change de couleur selon le camp actif ; gris (Feldgrau) pour l’allemand et rouge sombre pour le soviétique. Le genre de détail d’ambiance non seulement agréable mais également utile, comme repère dans l’organisation des tours. En revanche, en cours de partie, une multitude de codes couleurs souvent difficiles à discerner nécessitera beaucoup d’attention. Point connexe, sensible aux daltoniens, tout ce qui concerne la coloration des hexagones et unités en fonction des filtres appliqués ou selon les modes d’affichage et de statut (divers contours bleus ; rouges ; roses ; blancs, etc.). Autant de détails, simples à prendre en considération par les concepteurs, qui rendraient les choses plus faciles pour bon nombre de joueurs mais sont pourtant régulièrement ignorés.
Chaque tour se décompose en trois phases successives pour chaque joueur (plus une, exclusive aux parties par e-mail). La première dite « Logistique », suivie d’une autre dénommée « Logistique générale » mais restreinte au joueur actif et pour terminer, celle dévolue aux combats. Cet ordre est immuable à l’exception notable du premier tour de chaque scénario, durant lequel le joueur commence sa partie par les combats. La différence entre les phases logistiques pour l’Axe et les soviets correspond à des sous-phases, spécifiques à chacun. Par exemple, gestion des alliés et de leurs unités, pour l’Axe ; maintenance des « corps » et recrutement des partisans, pour les soviets. La phase « Logistique générale » commune -beaucoup plus longue et détaillée- comprend entre autres les approvisionnements, la détermination de l’isolement des unités, les renforts, ainsi que la distribution des points d’administration.
Un mot au sujet des options de jeu. Il convient de saluer le fait qu’elles permettent de modifier à la volée, en cours de partie, tous les paramètres. Cela autorise notamment de passer d’un camp à l’autre mais aussi d’en modifier les caractéristiques (moral, niveau des fortifications, de la logistique et des transports, points d’administration, etc.). Une flexibilité peu commune et très appréciable.
La question première que le joueur pourrait se poser en découvrant War in the East, serait de comprendre à quel échelon il va se situer dans la chaîne de commandement. Allez-vous incarner le « Leader maximo », Hitler ou Staline, l’Oberkommando des Heeres (OKH ; haut commandement des armées) ou la Stavka (état-major des forces armées) ? En réalité, il n’y a pas ici de réponse précise autre que : tous à la fois, alternativement, plus quelques autres en prime !





Le système de « points d’administration » (AP), aussi vague que puisse être ce terme, permet effectivement une prise de décision à tous les échelons. Vous pourrez limoger, remplacer ou déplacer des subalternes ; combiner, gérer et dissoudre des brigades, des divisions ou des corps d’armées ; mener des offensives sur plusieurs milliers de kilomètres, comme décider du moment de l’assaut sur un simple village estonien. Véritable régulateur sur une échelle décisionnelle allant du haut commandement à l’organisation tactique, en passant par l’administration des réserves nationales et l’affectation des troupes au niveau local, les AP (cumulables jusqu’à 500 pts) constituent une belle réussite dans ce jeu. Il vous « suffira » d’en assimiler et comprendre les rouages ; acquisition et dépense.
Trois unités, au maximum, peuvent être déployées dans un même hexagone, quel que soit leur type. La cohérence est ici mise à mal si l’on considère que trois brigades ne peuvent clairement occuper un espace comparable à celui de trois corps d’armée. Tout combat ouvre une fenêtre résumant l’action concernée. Chaque attaque s’effectue en choisissant les participants alliés selon une procédure discutable. Le choix d’un hexagone groupe toutes les unités présentes (combattantes ou non) ; il faut ensuite dé-sélectionner celles qui ne participeront pas. Ce mode de « sélection automatique » inhabituel prête à confusion, induisant parfois des erreurs pas toujours réparables. D’autant qu’il s’applique aussi aux déplacements, sans être modifiable dans les options. Un bouton « Undo » annulant le dernier coup (sous conditions habituelles) ne permet pas de compenser certaines bévues graves (engagement au combat d’un HQ ou autres) survenant après… 84 tours !
Autre problème, lorsqu’il s’agit d’exploiter une percée ou de déplacer deux unités afin, par exemple, de consolider une position menacée. Zones de contrôle et règle d’empilement empêchent alors de permuter les troupes entre deux positions voisines ! On pourrait considérer toutefois cela comme un pis aller palliant à l’absence de pénalités de désengagement ; on pourrait mais…
Les distances de ravitaillement et de commandement sont dynamiques. Elles varient en fonction du terrain, des infrastructures disponibles (essentiellement ferroviaires), ainsi que de l’état des routes (le réseau routier est -encore- abstrait !) ou de la météo (grossièrement modélisée et immuable, hors options). Pour cette raison, le joueur doit continuellement tenir compte non seulement des distances -heureusement indiquées- séparant les unités de leur commandement mais aussi, vérifier les points de mouvement requis (MP). Par exemple, au-delà de vingt, l’unité est considérée comme hors du contrôle de son HQ et subit un malus.
Il est intéressant de préciser ici que, lors de son tour, le joueur est totalement libre de l’ordre des actions à entreprendre. Reconnaître ; attaquer ; se déplacer tactiquement ou stratégiquement, toutes ces activités pourront s’enchaîner avec pour seules restrictions les points disponibles (MP et AP), les conditions topographiques, météorologiques et les zones de contrôle ennemies.
Comme précisé préalablement, il s’agit ici d’un wargame au sens premier, c’est à dire purement opérationnel. La distribution, l’affectation des unités produites restent toutefois du ressort du joueur. Il peut également gérer lui-même la répartition des troupes de soutien attribuées mais pas leur engagement direct au combat. Il est possible de laisser ces tâches au bon vouloir de l’IA, partiellement ou totalement. Chaque corps soviétique ou division allemande peut bénéficier d’un maximum de trois unités de soutien organiques (l’artillerie en étant exclue) automatiquement déployées sur le champ de bataille, plus toute unité « de réserve tactique » gérée directement par son HQ. Elles ne seront engagées qu’après une série de tests (jets de dés relatifs à l’initiative du commandant, entre autres) réussis par ce dernier. Un échec faisant alors « remonter » le processus vers le HQ supérieur, jusqu’à épuisement des possibilités.
Si les joueurs de Steel Panthers, inconditionnels du système de commandement « à la Grigsby » seront ravis d’en retrouver ici certains principes, on reste tout de même loin du micro-management d’un titre comme The Operational Art of War. Certains apprécieront cet aspect comme une simplification, d’autres comme une lacune. D’autant que les données chiffrées pour certains algorithmes sont absentes, rendant parfois difficile l’évaluation des possibilités.
Chaque HQ est représenté par un marqueur sur la carte. Son commandant historique possède sa propre fiche d’unité. Ils peuvent être plus ou moins compétents dans divers domaines stratégiques distribués ainsi : Politique ; Moral, Initiative et Administration. Par ailleurs, leurs prédispositions tactiques sont également évaluées selon ces critères : Mécanisée ; Infanterie ; Aérienne ; Navale. Chacun gagne et perd des points, tout comme les unités combattantes, en fonction des victoires ou défaites rencontrées. En complément de cet aspect « jeu de rôle » on trouve aussi son portrait photographique personnalisé, ainsi que l’évaluation de ses aptitudes ou restrictions, en termes de commandement (nombre d’unités). Chacun aura un niveau de responsabilité en rapport. Vous pourrez faire évoluer les postes, utilisant vos points d’administration pour affecter untel ou nommer un autre selon votre bon vouloir et les aléas de la guerre… certains leaders risquant leur vie au combat.
L’IA ne se conforme pas exactement aux mêmes règles que son adversaire humain. La différence majeure tient au fait qu’elle connaît en permanence la position des unités ennemies. En clair, elle joue sans brouillard de guerre ou plutôt, avec un FoW (Fog of war) réduit. Précisément, si elle sait où se trouvent toutes vos forces (au début de chaque tour), en revanche leur nature exacte lui est inconnue, en dehors de celles préalablement identifiées. C’est exactement ce qui vous apparaît lorsque vos propres troupes sont proches de l’adversaire. Celles au contact et à distance de repérage (niveau de détection variable) sont décrites précisément, tandis que celles dont la position est connue, sans avoir été reconnues, demeurent de simples indicateurs de présence.
Cela explique que l’IA s’en remette aux missions de reconnaissance aérienne, au même titre que vous. Sans identification complète d’un marqueur adverse, toute attaque menée contre cette unité sera pénalisée. Ce qui de prime abord peut sembler un énorme avantage, se résume dans les faits à un simple moyen -couramment utilisé- permettant de relever un peu le niveau global de l’IA, sans que cela ne soit clairement pénalisant pour l’humain. Peu de jeux de guerre d’un tel niveau peuvent se targuer d’éviter ce subterfuge (les titres de Panther Games, à ma connaissance, entrent dans cette liste) tout en présentant un opposant convenable, ce qui est le cas ici.
Si l’acquisition des règles basiques est rapide, il n’en demeure pas moins que l’assimilation des arcanes complètes est fortement prolongée par des nuances peu utiles, des lacunes dans la documentation ainsi que dans la manière dont elle est présentée. Il faut s’accrocher avec motivation pour tout digérer et sans accès au forum Matrix, bien des subtilités risquent fort de demeurer obscures. Impossible en quelques pages d’aborder toutes les facettes d’un tel jeu ; d’autres articles suivront… !
Le volet aérien notamment pèche par certains aspects, en dépit de l’expérience accumulée avec un titre comme Eagle day to bombing the Reich. Plus irritant, l’impression de dirigisme induite par un manque de flexibilité dans les règles, ne permettant qu’une prise d’initiative limitée. La présence d’un éditeur de jeu très complet et relativement accessible, ne masque pas totalement un cadre strict duquel il est difficile de s’écarter à son profit. Par ailleurs, pour l’instant, on reste encore sur sa faim au regard des scénarios et « mods » additionnels.






Conclusion
War in the East est un jeu superbe, par maints aspects. D’une richesse étonnante, surpassée uniquement par quelques titres développés précédemment chez 2By3. Malheureusement, une multitude de défauts mineurs viennent ternir ce tableau reluisant. Le prix de vente, très élevé, implique un niveau de finition irréprochable que ce ludiciel est parfois loin d’atteindre. Si vous acceptez cet état de fait qui, au demeurant, ne remet jamais en question la jouabilité, vous aurez certainement en main la meilleure adaptation informatique d’une campagne à l’est -presque- complète.
Seuls les plus méticuleux, pour ne pas dire maniaques, regretteront l’absence de gestion des phases de recherche, production et diplomatie ou encore, l’impossibilité de réellement jouer une guerre économique. Presque aussi complet que ses prédécesseurs de la série Uncommon Valor, ce titre s’avère cependant -un peu- plus abordable et prometteur. Avec une marge d’évolution, de déclinaison (front de l’ouest à venir), d’autant plus importante qu’il pourrait bien séduire des joueurs peu familiers du genre. Reste pour Matrix Games à trouver l’équilibre entre qualité du contenu, finition et ambitions commerciales. L’essai est ici -presque- réussi.
- Une carte splendide ; à la fois claire et informative.
- Prise en main initiale « relativement » aisée et rapide ; niveaux de jeu très adaptables.
- Aspect militaire tactique extrêmement détaillé.
- Intelligence artificielle plus que respectable.
- Relativement complet (création de scénarios ; PBEM ; modifications possibles).
- La maîtrise du jeu et de ses arcanes demande beaucoup d’implication personnelle.
- La profusion de règles pas toujours bien documentées peut rebuter.
- L’absence de recherche et de production déplaira à certains
- Guerre aérienne ; système météo ; interface et finition générale perfectibles.
- Ai-je mentionné le prix… ?
Date de sortie : 08 décembre 2010.
Studio – Éditeur : 2By3 Games – Matrix games.
Prix éditeur : 63,99 € (téléchargement) ; 71,99 € (téléchargement + boîte).
– Version testée : 1.02 sur Athlon X2 5600+ – RAM 2 Go – Radeon X1950 Pro 512 Mo.
– Version française prévue ? Non.
– Configuration minimale conseillée par l’éditeur : Windows XP, Vista, 7. 1,5+ Ghz ou équivalent AMD. 1 Go RAM. Carte vidéo avec 128MB compatible DirectX 9. Lecteur optique. Espace disque libre : 1,5 Go (chez moi : 1,01 Go). Carte son 16 bit compatible DirectX 9.
Le manuel est disponible en VF sur cette page de notre site (où vous pouvez le consulter et le télécharger ; vous le trouverez par ailleurs en téléchargement dans le forum de Matrix). Nous vous proposons aussi la traduction de Operational Bootcamp, un guide pour bien débuter avec War in the East.
NDLR : article initialement paru sur le site de Cyberstratège en 2011.
Une extension, Don to the Danube, est sortie en mars 2012 (voir cette brève). Le jeu a aussi été patché à plusieurs reprises depuis sa sortie.
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