Le soldat britannique

Disponible aux éditions Perrin depuis le 22 avril dernier, Le soldat britannique – Le vainqueur oublié de la Seconde Guerre mondiale est le dernier ouvrage en date de Benoît Rondeau, personnalité déjà connue des lecteurs de ces colonnes, notamment pour sa biographie remarquée du maréchal Rommel. Enseignant et ancien chercheur à la Fondation pour la mémoire de la déportation, l’auteur n’en est pas à son premier ouvrage sur la Seconde Guerre mondiale. Il revient cette fois sur un aspect du second conflit mondial moins connu par le public francophone. A savoir les troupes britanniques de 1939-1945.

Une somme bienvenue sur les Tommies

En effet, si la littérature en anglais est abondante sur le sujet, celle existante dans la langue de Molière est bien plus réduite. Certaines facettes ont été bien étudiées dans la presse spécialisée, et les relations entre les troupes françaises, la France libre et le Royaume-Uni sont bien connues des historiens. Il manquait toutefois une somme accessible en français sur le soldat britannique de 39-45, un livre qui sache revenir sur l’ensemble de l’objet historique considéré et pas seulement sur des points de détails concernant le matériel, ou les frictions entre de Gaulle et Churchill (dont l’étude est par ailleurs justifiée, là n’est pas la question).

C’est désormais chose faite avec cet ouvrage de 500 pages qui puise aux meilleures sources : archives britanniques, françaises, du Commonwealth ; mais aussi une abondante bibliographie qui ne néglige pas la presse de Militaria. Généralement écrite par des non-scientifiques, elle a toutefois le mérite de revenir sur des points précis (matériels, armement, uniformologie, symbolique militaire) souvent négligés par les historiens de métier et dont la synthèse ici faite nourrit utilement le propos.

D’ailleurs, il s’agit bien, contrairement à ce que le titre laisse penser, d’une somme consacrée aux soldats originaires du Royaume-Uni stricto sensu… mais aussi des Dominions (ces pays quasiment indépendants depuis 1931, à la population d’origine européenne en nombre important) et des colonies britanniques. C’est heureux car leur contribution a été tout sauf négligeable dans l’effort de guerre britannique et l’auteur prend bien le soin de préciser dès les premières pages les différences de statut entre les différentes composantes des armées de sa majesté George VI.

Les troupes britanniques et de l’Empire sous toutes les coutures

Pour le reste, l’ouvrage est thématique, ce qui est le meilleur plan possible pour ce type de sujet, difficile à présenter et expliquer en déroulant un unique fil chronologique. S’il y a de brefs rappels des événements, il est toutefois nécessaire de connaître par ailleurs les grandes phases de la guerre, le contexte politique général du Royaume-Uni et de son domaine colonial, pour pleinement apprécier l’ouvrage. La progression chronologique intervient au sein des dix chapitres, ce qui permet quand même de saisir l’évolution des sujets abordés.

Et ceux-ci sont nombreux. S’il y a de « classiques » chapitres réservés à l’armée de terre, de l’air et de mer, l’auteur prend aussi le soin de décrire le matériel des différentes troupes britanniques, leur encadrement, leur formation, mais aussi le contact avec les civils des différents pays concernés, ainsi qu’évoque très utilement la mémoire de ces combattants de 1945 à nos jours, avec d’intéressantes pages sur leur présence dans le cinéma, le monde de la figurine ainsi que les lieux de mémoire les concernant.

Or, on en apprend beaucoup sur ces femmes et ces hommes ayant servi entre 1939 et 1945. Les différences entre les quelques troupes professionnelles d’avant-guerre et les appelés, entre les soldats restés au sol au Royaume-Uni et ceux qui ont combattu, entre les forces originaires d’Angleterre ou d’Écosse et des dominions, mais aussi des colonies sont bien décrites. Il n’y a en fait pas « un » soldat britannique, mais de multiples types de soldats britanniques ayant vécu une guerre très différente suivant leur poste. Quoi de commun entre un fantassin vétéran de Dunkerque ayant fait la suite de la guerre et un garde de base navale en Afrique n’ayant jamais tiré un seul coup de feu ? Entre un soldat canadien débarqué en Normandie en 1944 et un homme anglais âgé resté dans les Homes Forces dans le sud de l’Angleterre pendant la durée du conflit ? Leurs missions, leur équipement, leur rapport au feu et à la mort n’est pas du tout le même.

C’est la grande force de cet ouvrage que ne pas mélanger ces différentes situations et de replacer chacun dans son contexte, du pilote de chasseur de la bataille d’Angleterre aux auxiliaires féminines de la Royal Navy. Les différentes formes d’engagement sont parfaitement décrites et presque tous les aspects du sujet sont évoqués, y compris les moins reluisants comme les violences perpétrées contre les civils, ou le racisme de certains soldats d’origine européenne vis-à-vis de leurs homologues originaires des colonies. Ces points douloureux ne sont pas du tout masqués par l’auteur et étudiés en historien, sans complaisance ni parti pris.

Quelques regrets

Ceci dit, je regretterai quelques aspects. Notamment l’absence de tableaux statistiques sur les troupes et leur matériel (taux de pertes, effectifs, dotations…). Cela force à revenir souvent en arrière et à rechercher les chiffres dans de nombreuses parties de l’ouvrage. De même, des cartes et une iconographie dûment commentées aurait été utiles pour mieux replacer les batailles, les campagnes, les missions navales et autres déploiements des forces aériennes. Je regrette aussi que certains aspects importants ne soient pas ou peu évoqués, comme le nombre important de volontaires venus de République d’Irlande, malgré un passé tumultueux très proche entre les deux pays (guerre d’indépendance irlandaise). De plus, même si j’évoquais l’intérêt de synthétiser la littérature spécialisée, certains passages évoquant les différents matériels, les uniformes ou la symbolique sont à mon sens trop détaillés. Ceci, et l’usage un peu trop fréquent d’anecdotes, ne servent – selon moi – que peu à la compréhension d’ensemble, voire nuisent à la hauteur de vue.

Enfin, le sous-titre, peut-être d’origine éditoriale, me gêne un peu : « le vainqueur oublié de la Seconde Guerre mondiale ». Déjà, « l’un des vainqueurs » serait plus juste, car il n’est pas le seul vainqueur. De plus, il semble passer sous silence les troupes de l’Empire. Je m’en suis expliqué dès le début : ce n’est heureusement pas le cas, mais un coup d’œil hâtif pourrait le laisser croire. Surtout, ce soldat n’est clairement pas oublié Outre-Manche, et l’auteur le dit très bien d’ailleurs. On a bien compris que le livre est destiné au marché français et que, s’il est oublié, c’est surtout en France. Néanmoins, c’est un peu racoleur. D’autant que Benoît Rondeau montre dans son dernier chapitre que sa postérité n’est pas dénuée de fruits. Des fruits peut-être caricaturaux (l’officier flegmatique au cinéma…) et négligeant les non-combattants, mais pas absents et qu’on retrouve quand on parle d’autres armées : qui connaît les gardes d’aérodromes français de 1940, pour certains encore équipés de fusils Gras ? Il y a aussi plus de films sur les parachutistes américains que sur les soldats chargés d’amener le pétrole en Normandie. Certes, ils n’ont pas non plus la même audience que les productions évoquant les troupes britanniques…

Ces quelques réserves faites, l’ouvrage reste très intéressant, simple d’accès, facile à lire et fera date. Une synthèse de qualité manquait sur les soldats britanniques et de l’Empire engagés sur tous les théâtres d’opération ou presque dès 1939. Elle existe désormais, et les 25 euros demandés s’oublient bien vite.

A ne pas manquer pour découvrir ses autres livres, le site Web de Benoit Rondeau, et à lire également cet interview de Benoît Rondeau dans Axe & Alliés.

 

Le soldat britannique

  1. Il n’y a pas ambiguïté  : “le vainqueur oublié” est du bon français et signifie “parmi les vainqueurs, celui qui est oublié”.

    • Je maintiens ce que j’ai dit, et je n’ai jamais que la phrase n’était pas correcte grammaticalement parlant. À suivre ce genre de logique, on peut jouer à qui est le “plus oublié”. Le britannique n’est pas le seul parmi les vainqueurs si on réfléchit bien.
      Les soldats brésiliens venus en Italie se battre du côté allié seraient ainsi encore “plus” oubliés… Et on peut toujours trouver plus “obscur”. Ce qui ne veut pas dire grand-chose en histoire d’ailleurs, la mémoire étant encore différente.

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