L’épopée coloniale allemande

L’Empire oublié

Voici un résumé sur un sujet peu connu, celui de l’ancien empire colonial allemand qui a fait l’objet d’un bel ouvrage paru en 2021 chez Via Romana, L’épopée coloniale allemande. Cet article synthétise la préface de Rémy Porte, et trois autres présentations, par le blog Guerres et Conflits, et les magazines Causeur et Info 75.

Préface

Dans l’imaginaire collectif, en France comme dans la plupart des autres pays concernés, la Première Guerre mondiale est une guerre européenne. Ni l’engagement de contingents français et britanniques, venus des colonies et territoires ultramarins, ni même l’arrivée des premières troupes américaines en 1917, ne modifient cette perception. Pourtant des opérations se déroulent dans le monde entier, en Afrique les colonies britanniques, françaises, belges et portugaises affrontent les possessions de l’Empire allemand. Le cinéma aidant à replacer le contexte de la Grande Guerre avec son caractère mondial, notamment avec le film Lawrence d’Arabie qui démontre l’engagement de l’affrontement dans le Proche-Orient alors possession de l’Empire ottoman.

Pourtant, de 1914 à 1918, et même après la date du 11 novembre, l’Océanie, l’Asie et surtout l’Afrique ont été le théâtre de batailles mobilisant plusieurs dizaines de milliers de combattants et de civils. Le Kaiser Guillaume II dispose d’un empire colonial suscitant toutes les convoitises. On ignore en effet trop souvent que l’Empire allemand fut, de 1884 à 1918, une puissance coloniale, l’histoire de ces territoires demeure totalement méconnue autant que les spécificités de leur colonisation.

Une volonté de replacer l’Histoire

Auteur engagé professionnellement dans le domaine des collectivités locales et territoriales, Sylvain Roussillon est un passionné d’histoire. Il a publié chez Via Romana un ouvrage remarqué : Les Brigades internationales de Franco. Ancien Directeur général d’une école de management, il préside aujourd’hui un établissement d’enseignement supérieur privé, reconnu par le ministère de l’Éducation nationale, spécialisé dans les sciences sociales, économiques et politiques.

Présentation par Guerres et Conflits

Si la Grande Guerre a été une guerre mondiale dès le premier jour, cela tient à l’existence d’un empire colonial allemand aujourd’hui oublié mais que les Franco-britanniques se sont empressés d’attaquer. Avant l’entrée en guerre du Japon ou de l’Empire ottoman, alors que les défaites se succèdent sur le front de France, la seule victoire alliée d’août 1914 est la conquête du Togo. Peu d’auteurs se sont intéressés au sujet des colonies allemandes pendant la Grande Guerre, Sylvain Roussillon nous livre un ouvrage de 272 pages où il va parvenir à croiser la grande histoire avec des récits d’épopées personnelles, parfois extrêmement étonnantes. L’ouvrage contient un cahier de 16 pages de documents en noir et blanc, hors-texte, de nombreux documents, et des cartes en noir et blanc dans les textes.

L’engagement allemand dans les colonies ne représente pas une parenthèse dans le vaste conflit qui s’est déroulé particulièrement en Europe. En douze chapitres, de la « proto-histoire coloniale » allemande au XVIe siècle à la mémoire qui fut conservée de cet éphémère empire colonial après la Grande Guerre, Sylvain Roussillon revient sur la présence allemande en Afrique et en Asie à la fin du XIXe siècle, puis s’attache à décrire avec une grande précision la situation de chaque territoire et les opérations conduites par les Alliés pour les conquérir. Il consacre également deux chapitres à l’escadre navale von Spee, du bombardement de Papetee aux Falklands, et aux “corsaires” dans le Pacifique.

Après un coup de projecteur sur les territoires d’Océanie, le gros de l’ouvrage est consacré à la conquête des colonies d’Afrique, Togo, Sud-ouest africain, Kamerun et bien sûr Afrique orientale avec l’inattendue résistance de von Lettow-Vorbeck. L’ouvrage nous livre un récit ponctué de détails et de précisions toujours utiles. On apprécie la belle bibliographie finale avec des ouvrages en français, en anglais et en allemand, qui comporte également de nombreuses références d’articles.

Plus de cent ans après son déclenchement, la Première Guerre mondiale reste encore, au moins auprès du grand public, un champ historique à explorer. Dans cette perspective, le lecteur découvrira avec beaucoup d’intérêt cet ouvrage sur l’épopée coloniale allemande. L’auteur est d’ailleurs habitué des terrains peu visités. La Première Guerre mondiale s’est aussi déroulée en Océanie, Asie et Afrique, continents où l’Allemagne avait su bâtir un empire à partir de 1884. Elle sut y susciter aussi des fidélités et des combattants parmi les autochtones, qui versent leur sang pour l’empereur.

Présentation par Info 75

Une aventure unique

À la suite de Bernard Lugan qui rédige d’ailleurs la postface et de Rémy Porte, rédacteur de l’avant-propos, Sylvain Roussillon vient de publier chez Via Romana L’épopée coloniale allemande, 25 €, accessible à un très large publique, pour les connaisseurs ou les simple curieux de découvrir l’histoire des colonies allemande durant la Première Guerre Mondiale. Longtemps hostile à l’aventure coloniale, le chancelier Otto von Bismarck comprend l’insistance des commerçants à trouver des débouchés divers et comprend l’avantage géopolitique de maîtriser des territoires extra-européens. Cependant, cet élan ne date pas de la décennie 1870 !

L’auteur revient sur la « préhistoire » de la colonisation germanique outre-mer. Au XVIe siècle, une famille de banquiers, les Welser, cherche à s’implanter à l’Ouest du Venezuela dans l’Empire espagnol. Le duché de Courlande tente d’investir l’île antillaise de Tobago. On trouve aussi le long du littoral africain des comptoirs liés aux entités du Saint-Empire romain germanique. Si L’épopée coloniale allemande évoque les différentes manières de s’emparer de nouveaux territoires, l’ouvrage mentionne aussi leur perte au cours de la Première Guerre mondiale.

Présentation par Causeur

Dans l’ouvrage, Sylvain Roussillon nous raconte la colonisation allemande dont le glas sonnera avec la défaite de 1918. Il aura fallu trois décennies pour que l’Allemagne des Hohenzollern se taille une part du lion en Afrique, dont la majorité appartient aux Français, Anglais ou Portugais, en Asie ou même en Océanie avant de perdre subitement toutes ses possessions au profit de la France, de la Belgique ou encore du Royaume-Uni à la fin de la Première guerre mondiale.

Chapitre méconnu de l’histoire prussienne, l’épopée coloniale allemande à travers 270 pages, ce passionné d’histoire nous entraîne sur les chemins d’une aventure expansionniste, rarement explorée et qui aborde de multiples thématiques : politique, diplomatique, économique, militaire ou encore culturelle. Avec cet ouvrage, on peut voir que depuis la conférence de Berlin, en 1885, réunie sous l’égide du chancelier Otto von Bismarck, que les puissances européennes vont finaliser le partage du continent africain. Il s’agit pour les Hohenzollern de faire reconnaître leurs colonies d’Afrique de l’Ouest, de l’Afrique orientale et du Sud-ouest africain comme partie intégrante du nouveau Reich baptisé sur les cendres du Second empire français.

Malgré l’isolement, le manque certain de ravitaillement et la supériorité numérique croissante de leurs ennemis anglo-saxons, portugais et japonais, les colons allemands du Kamerun, du Sud-Ouest africain et de l’Afrique orientale résistent avec une rare ténacité à maintenir les colonies du Kaiser. Ainsi Sylvain Roussillon rapporte-t-il les exploits de Paul Emil von Lettow qui tient tête à l’Empire britannique et au Portugal jusqu’au 29 novembre 1918. Dans le Pacifique s’activent des équipages « corsaires » sous l’étendard à croix de fer ! L’ouvrage est rédigée avec brio dans une langue claire, vivante et précise, L’épopée coloniale allemande synthétise et dépasse les travaux de Bernard Lugan et de Rémy Porte. Cet ouvrage en appelle d’autres explorant la colonisation belge, espagnole, italienne, néerlandaise, portugaise voire danoise.

Le Kaiser Guillaume II se méfiait du « péril jaune » qui menaçait ses colonies en Asie, dont l’ouvrage exprime certain enjeux et ses connexions avec l’Empire allemand et ses colonies en Afrique. À l’image de son empire, Berlin privilégie la « diplomatie de la canonnière » pour s’imposer en Extrême-Orient et se retrouve au cœur de la guerre des Boxers, entre 1899-1901, secte chinoise qui entend rejeter à la mer tous ces « diables blancs » qui menacent la monarchie céleste des Qing.

Sylvain Roussillon nous renvoie à notre imaginaire et nous fait pénétrer dans cette guerre larvée que l’Allemagne impériale se livre avec le Japon, la Grande-Bretagne, la France et l’Empire austro-hongrois pour le contrôle des ports. Un épisode qui sera à l’origine du ralliement surprenant des soldats Japonais aux troupes de la Triple Entente lors de la Première guerre mondiale. Le conflit va sonner la fin du rêve colonial allemand. Aucune colonie du Kaiser n’est épargnée par cette guerre mondiale qui se déroule aussi bien sur les mers que dans les territoires contrôlés par une Prusse guerrière. Des cartes militaires nous permettent de suivre les différentes batailles qui vont sceller doucement mais inéluctablement le destin de l’Empire allemand outre-mer. Résistance désespérée en Nouvelle-Guinée, on se passionne à l’évocation d’Hermann Detzner qui va mener sa guerre personnelle avec son bataillon, les « Papous du Kaiser ».