Marcher ou mourir – Les troupes italiennes en Russie

Faire une recension de deux livres évoquant le même sujet, parus à peu de temps d’intervalle et dans la même langue n’est pas un exercice aisé. La comparaison peut rapidement tourner à l’avantage de l’un ou de l’autre, notamment car celui dont je vais parler à présent est bien plus fouillé et détaillé que le premier. En fait, il faut garder à l’esprit qu’ils ne sont pas à mettre à mettre sur le même plan.

Celui de David Zambon, Les italiens sur le front de l’Est, est un fascicule assez court destiné à fournir une première approche synthétique de la question. En une centaine de pages, il n’a pas la prétention de couvrir l’intégralité du sujet. Là, l’ouvrage de Julien Sapori qui en fait le triple revient bien plus en détails sur les soldats italiens ayant combattu sur le front de l’est. Publié en 2018 aux éditions Sutton, il constitue la somme universitaire de référence concernant les troupes italiennes en URSS entre 1941 et 1943.

Un ouvrage fouillé et ayant puisé aux archives

Je ne reviendrai pas sur les mécanismes ayant conduit Mussolini à envoyer des troupes en URSS aux côtés des Allemands, puisque je l’ai déjà fait dans l’autre recension. Celle-ci se veut plus comparative. Or, la première chose à dire est que le livre de Julien Sapori revient bien plus longuement sur ces mécanismes, à l’aide de nombreuses archives de plusieurs pays.

L’historien d’origine italienne connaît parfaitement les ouvrages disponibles sur le sujet et les fonds d’archives italiens ayant survécu à cette période. De plus, originaire de Trieste soit proche d’une zone où étaient recrutés une partie des alpini, l’équivalent de nos chasseurs alpins, il a baigné dans une région où l’ambiance mémorielle est saturée de récits et de chansons de cette période.

Ceci allié à la rigueur de l’historien lui permet de délivrer un récit à la fois vivant et critique sur l’engagement italien en URSS. Les combats, les problèmes de matériel, l’intendance, les relations avec les Allemands et la population locale sont admirablement décrits et remis en contexte. Il montre clairement que des moments de fraternisation ont existé entre Allemands et Italiens, mais que les premiers jugeaient mal leurs Alliés en règle générale, tout en rejetant sur eux la faute de la défaite de Stalingrad. Or, comme tous les autres auteurs, Sapori montre que ce sont eux qui ont mal employé ces troupes et dégarni leurs flancs pour se jeter dans la fournaise de cette ville… Ne croyant pas à la possibilité d’un immense encerclement en plein hiver de la part des Soviétiques. Cela dit, l’auteur ne masque pas les carences du commandement italien et notamment des chefs de l’armée ainsi que de Mussolini lui-même. Alors que le sort de l’Italie se jouait en Afrique du Nord, ce front a en fait été dépouillé au profit de l’URSS où deux fois plus de soldats ont été envoyés ! Le livre a le très grand mérite de passer à l’échelle globale de toute la guerre et de rappeler que ces lieux très lointains les uns des autres restent liés.

La citation de documents d’époque ponctue un récit bien mené et qui ne laisse rien au hasard, ce qui ravira le lecteur français qui connaissait jusque-là mal cet épisode s’il ne parlait pas italien. Des points assez rarement évoqués en français comme le devenir des prisonniers italiens en URSS et le rôle du parti communiste italien auprès d’eux sont également décrits. En trois cents pages bien menées, Julien Sapori analyse donc les moindres aspects de la présence italienne en URSS et n’hésite pas à soulever des questions dérangeantes en Italie.

De très intéressantes pages sur la mémoire et le souvenir

En effet, si le lectorat français connaît bien les polémiques mémorielles liées à la collaboration, à Vichy et à la Résistance, il sait généralement mal que leurs équivalentes italiennes existent et sont très fortes. Ainsi, selon une image commune, tous les soldats italiens auraient été victimes de la guerre et du fascisme et auraient combattu en URSS contre leur gré, en restant presque invaincus et sans commettre de choses répréhensibles. L’Italie avait besoin de cette image après 1945 pour se reconstruire.

Or, le temps de l’histoire est venu et doit permettre de se rendre compte que les choses sont plus complexes. Cet ouvrage le fait avec brio et nous amène, au-delà du cas italien, à réfléchir sur notre propre histoire, sur les relations entre histoire et mémoire en général, sur la manipulation de l’histoire par la sphère politique. Ainsi, Julien Sapori explique avec talent que sans forcément adhérer à l’idéologie anticommuniste du fascisme, les soldats italiens ont en partie partagé les vues expansionnistes de leur pays. S’ils ont mal compris d’être envoyés si loin, ils ont tout de même fait leur devoir et plus d’un a été perméable à la propagande du parti. De plus, si l’image de soldats « propres » résiste tout de même en grande partie à la critique historique, cela n’empêche pas certaines violences de guerre, le fait qu’ils aient été envahisseurs. De plus, ce régime a commis des massacres certains et a utilisé l’arme chimique en milieu colonial, il n’était donc pas incapable de crimes de guerre.

Enfin, l’auteur analyse sans complaisance la mémoire des faits en Italie et soulève d’intéressantes questions à ce sujet, passant notamment au crible de la critique historique les récits de combat de nombreux soldats. Témoignages littéraires marquants, mais qui prennent des libertés avec la réalité historique. Un souvenir n’est pas un livre d’histoire, et c’est tant mieux, mais il ne faut pas le considérer comme tel. Cette somme est donc un indispensable pour mieux comprendre le front de l’Est et l’Italie dans la guerre. On regrettera juste que trop de coquilles aient subsisté après les relectures.

Plus d’informations sur ce livre sur cette page chez l’éditeur.

 

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