Seconde partie de notre dossier vous présentant les mécanismes de The US Civil War, ambitieuse simulation développée par Mark Simonitch et éditée par GMT en 2015.

Mécanique du jeu, présentation générale

Le ravitaillement

Avec le ravitaillement on touche là à un concept coeur du jeu, une grande réussite de Simonitch.

Quiconque s’est intéressé à la guerre de sécession, par l’histoire ou le jeu, connaît l’importance stratégique du ravitaillement dans cette guerre. Dans cette Amérique du milieu du XIXème siècle les tonnes de ravitaillement et de munitions nécessaires aux troupes en déplacement passent par deux axes principaux : les chemins de fer et les fleuves navigables. C’est la raison pour laquelle le contrôle de ces voies de communication est si important.

Une pile coupée de ces axes passent rapidement sous statut “hors ravitaillement”. Si démoralisée, elle ne peut pas se rallier. Elle se déplace moins loin, et subit une sévère pénalité en combat. Elle subit de l’attrition, et enfin doit procéder à des jets de dés pour éviter une reddition.

Le ravitaillement et la notion de contrôle d’hexs sous-jacente est certainement l’un des concepts le plus pointu à assimiler dans les règles du jeu. L’impact est si essentiel que chaque joueur, à chaque moment, doit pouvoir déterminer le statut de n’importe quelle pile : est-elle ravitaillée ou non ?

La question n’est pas simplement dichotomique. Car une pile ravitaillée peut l’être sous deux statuts. Soit elle est sous ravitaillement total, soit elle est sous ravitaillement partiel.

Une unité est sous ravitaillement total lorsqu’elle est capable, via un fleuve, une voie ferrée, ou les deux combinés, de joindre une source de ravitaillement principale. Bien évidemment chaque tronçon du parcours doit être sous contrôle.

Une unité est sous ravitaillement partiel lorsqu’elle est capable de trace une ligne de communication (LOC).

Une LOC est une chaîne de dépôts. N’importe quel hex contenant une ville ou un port sous contrôle, une unité de combat est considéré comme un dépôt.

Une unité a une LOC si elle est à 4 MPs ou moins de distance d’un dépôt qui est soit une source de ravitaillement principal, soit lui-même le maillon d’un réseau, qui de 4Mps en 4MPs maximum, aboutit à une source de ravitaillement principal.

Ouf ! On y est. En gros si vos troupes ne s’éloignent pas à plus d’un hex (tolérance) d’un fleuve navigable ou d’une voie ferrée contrôlées, elles sont sous ravitaillement total.

Si par les nécessités du combat vos troupes ont du s’écarter de ces voies principales, elles doivent tracer une chaîne de  4MPs maximum de dépôt en dépôt pour espérer être en ravitaillement partiel.

Entre ravitaillement total et partiel, il y a des différences qui selon le contexte peuvent être importantes. Ainsi au terme d’une bataille dont l’issue ne désigne pas de vainqueur clair, un match nul dirions-nous en langage sportif, une unité sous ravitaillement total ne sera pas démoralisée, à l’inverse d’une unité sous ravitaillement partiel.

Ici Price et Van Dorn peuvent tracer une LOC vers une source de ravitaillement confédérée, Little Rock. L’un et l’autre sont reliés à un réseau de dépôts à moins de 5MPs les uns des autres. Notez que Price se sert d’une unité de combat comme dépôt. Le maillage évite toutes les ZOC des fédéraux.

Mon avis de joueur, c’est que la gestion des lignes de ravitaillement est sans doute une des plus grandes réussites du jeu. C’est ce qui fait de The US Civil War un grand wargame et non pas simplement un pousse-pion convenu.

Savoir sous quel statut est son unité peut être parfois sujet à interprétation des règles, or on l’a vu la circulation du ravitaillement dépend du contrôle des hexs. Ce contrôle peut dépendre des fortifications en place, de zones de contrôles et c’est parfois interprétable. Par bonheur dans ces rares cas les forums de joueurs sont là pour vous aider. Mais dans 95% des cas la règle est très claire.

Cela vous laisse donc du temps, du plaisir, pour vous demander si un mouvement ne semple pas trop présomptueux, et si un contre ennemi ne va pas vous placer hors ravitaillement au coup suivant.

Or, les fédéraux doivent avancer plutôt vite en terres sudistes, s’infiltrer profondément chez l’ennemi. Au risque de voir l’efficace cavalerie Reb couper une voie ferrée vitale pour le ravitaillement !

Ayant maintenant évoqué le ravitaillement, le lecteur comprendra mieux l’intérêt du contrôle de cette artère vitale qu’est le fleuve Mississippi !

La phase d’actions

On est ici bien évidemment dans le cœur du jeu, là où votre imagination, votre esprit tactique vont révéler tous leurs talents.

C’est durant la phase d’actions que vous allez déplacer vos troupes, mener des attaques et des contre-attaque, bâtir des fortifications, prendre le contrôle d’hexagones clefs.

Chaque tour correspond à une saison, printemps, été (2 tours en été), automne et hiver. Chaque tour est lui-même divisé en 4 phases d’actions. Cependant un réajustement des règles, survenu en décembre 2016, ne donne plus que 3 phases d’actions aux trois premiers tours de 1861, ceci afin de rééquilibrer le jeu en faveur des sudistes, à l’usage les nordistes pouvant pousser trop loin et trop fort dès 1861.

Au début de chaque phase d’action les joueurs lancent un dé à 6 faces. Le plus gros tirage détermine le premier joueur en phase. Lors de cette phase d’action, le joueur en phase disposera d’un nombre de points d’actions égal à la différence entre les deux dés.

En cas de dés identiques chaque joueur perçoit une carte d’action (voir ci-dessous) et on relance les dés.

Ces points d’actions vont vous permettre de mettre en œuvre vos choix sur la carte. Par exemple :

  • Activer un général et sa pile pour le déplacer et/ou engager le combat,
  • Dans le même ordre d’idée activer une pile sans général, aux mouvements toutefois limités et sans bonus au combat,
  • Activer un mouvement naval,
  • Rallier une pile désorganisée,
  • Repositionner des généraux à 1 ou 2 étoiles n’importe où sur la carte,
  • Retrancher des unités, etc…

Ces points d’actions peuvent être dépensés au choix sur n’importe quel théâtre. Il y a cependant deux spécificités :

  • Si le différentiel entre les jets de dés est égal à 1, les deux joueurs pourront dépenser un point d’action par théâtre.
  • Si le différentiel est supérieur à 3, la règle “On to Richmond !” s’applique. Simulant par là le poids de la presse, les Nordistes doivent tenter de prendre un hexagone à point ou un fort en Virginie, ou attaquer une pile sudiste. Un débarquement n’entre pas en ligne de compte pour remplir cette obligation. Si cette tentative n’est pas exécutée le Nord perd un point d’action et doit supprimer un point de force ravitaillé parmi ses piles.

On constate donc qu’à chaque tour, Nordistes et Sudistes joueront exactement le même nombre d’actions. Le premier joueur en phase termine tous ses points d’actions, lorsque ceci est fait son opposant devient à son tour le joueur en phase.

Les actions spéciales

Sous cette expression d’actions spéciales le jeu prévoit l’utilisation de cartes d’action qui vont permettre au joueur en phase, et seulement lui, de mettre en œuvre des bonus lors des opérations.

Ces cartes sont tirées aléatoirement au setup, puis deux au début de chaque tour.

Selon la nature de la carte celle-ci sera utilisable sur un des trois théâtres du jeu, pour une utilisation strictement navale, incluant les débarquements, ou pour n’importe quelle action si l’on a la chance d’avoir une carte « Any ».

En termes de gameplay, ces cartes sont censées simuler la préparation des offensives ou l’organisation des défenses. Elles simulent ainsi le stockage préalable des munitions, du fourrage et du ravitaillement, les déplacements navals ou encore les fondations d’un fort.

Dans le jeu elles favorisent le joueur en phase sur le théâtre de la carte jouée, obligeant celui-ci à faire des choix. Vais-je lancer une offensive sur le théâtre majeur Est, mais pour lequel je suis dépourvu de carte d’action, ou vais-je me servir du bonus de ma carte Trans-Mississippi, et ainsi consommer un précieux point d’action sur ce théâtre mineur ?

Les bonus apportés par les cartes d’action sont très divers. Elles peuvent apporter un bonus au combat en modifiant les jets de dés, permettre une marche forcée, autoriser un assaut amphibie, ou encore bâtir un fort ou en améliorer un déjà construit.

Ici cette phase d’actions débutera par le joueur nordiste au dé bleu. Nordistes puis Sudistes joueront chacun leur tour 3 – 1 = 2 points d’actions.
Les 5 cartes d’action nordistes

De mon point de vue, ces cartes sont une bonne idée puisqu’elles ajoutent un concept stratégique, et poussent le joueur en phase à manœuvrer sur le théâtre couvert par ses cartes.  Ce n’est pas non plus une obligation, loin de là. On peut absolument manœuvrer sans elles. Mais l’expérience montre qu’il est parfois difficile d’emporter une position retranchée ennemie sans le modificateur de dés qu’elles apportent.

Le joueur sudiste, lui, les utilisera souvent pour bâtir ou améliorer des forts aux endroits stratégiques : sur des villes à points, ou en bordure de fleuves pour couper la navigation nordiste.

Cette partie du jeu est savamment dosée. Elle est suffisamment importante pour parfois imposer des choix cornéliens, mais ne transforme pas pour autant le jeu en card-driven. Rappelons qu’en règle générale seulement deux cartes sont tirées par tour, leur utilisation est forcément et en moyenne limitée à ce rythme.

Elles présentent toutefois un inconvénient pour les wargamers désirant jouer en solo : c’est le seul élément qui doit être caché au joueur adverse. Dans cette configuration vous connaissez donc la main ennemie.

Quelques uns des pions fournis sur les trois planches inclues dans le jeu.

Les batailles

Il y a bataille lorsqu’une pile tente d’entrer sur un hex tenu par l’ennemi, avec des troupes, un fort ou un fort côtier.

La résolution des batailles passe par une procédure claire, étape par étape :

  1. Chaque joueur totalise ses points de force,
  2. Chaque joueur compte ses modificateurs au jet de dé (Bonus des généraux, tranchées, forts, terrain etc…)
  3. Chaque joueur lance un ou plusieurs dés, tient compte des ses modificateurs déterminés à l’étape 2 pour consulte la CRT, la Table de Résolution des Combats. Cette table indique les pertes subies dans le camp adverse.

Chaque joueur supprime de sa pile le total de ses pertes.

Le côté qui encaisse le plus de pertes est le perdant. Si c’est le défenseur il doit abandonner son hexagone pour retraiter d’au moins deux hexs. Le vainqueur occupe l’hexagone.

Les retranchements, les forts de niveau 1 ennemis disparaissent. Les forts de niveau 2 et 3 rétrogradent d’un niveau.

La retraite du défenseur vaincu ne doit pas enfreindre des interdits. il ne peut pas retraiter en règle générale sur un hex tenu par l’ennemi,  sauf s’il bénéficie d’un rapport de force de sept contre un, à travers une montagne impassable, ou un fleuve navigable dépourvu de pont, etc… Si la pile ne peut respecter cette règle la sanction est sévère, elle est éliminée du jeu. Si c’est l’attaquant qui est vaincu il se contente de retraiter sur son hexagone d’origine.

Au final le système est plutôt fluide. La table est simple, et les règles de retraite sont logiques. Elles obligent le défenseur, souvent le sudiste, à se méfier d’une situation où il ne serait pas en mesure de retraiter : ses précieuses troupes seraient irrémédiablement perdues en cas de défaite.

Le système peut être ici illustré par un cas concret. Début 1862 Mc Dowell fait face à Beauregard, sur la rive droite du Potomac :

La pile de Mc Dowell dispose de la supériorité numérique, 10 points de force, Beauregard en a 8.

Les deux adversaires commandant chacun des piles supérieures à 6 points de force, ils sont en droit l’un et l’autre de mener le combat avec deux généraux, et dans ce cas avec un jet de deux dés.

Par chance l’un et l’autre disposent effectivement d’un second général dans leurs piles. Beauregard comptera donc ses pertes dans la colonne 7-8, tandis que Mc Dowell comptera les siennes dans la colonne 9-12.

Côté DRM, les modificateurs de dés, Mc Dowell n’apporte aucun bonus offensif puisque c’est un 0-1-4. Son subordonné ne vaut pas mieux.

Côté Rebelles, Beauregard donne un bonus défensif aux dés de 1, son subordonné, le général de cavalerie Stuart apporte un autre bonus de 1.

Mais par ailleurs, les troupes de Beauregard sont retranchées. Ces tranchées apportent à leur tour +2 aux dés, soit un total de 4 au modificateur de jets de dés !

Mc Dowell peut espérer, probablement, un 7 au total de ses dés. Dans un tel cas il obtiendrait un 1*, soit une perte chez le Sudiste.

Beauregard, lui, en infériorité numérique mais avec un gros bonus aux dés peut raisonnablement espérer obtenir un (7 + 4) = 11, soit 2 pertes chez le Nordiste après consultation de la CRT.

La CRT, table de résolution des combats. Les étoiles et les losanges servent à départager les égalités.
Mc Dowell face à Beauregard.

Dans des conditions si défavorables, une attaque menée par Mc Dowell semble sans espoir.

Mais l’Union, joueur en phase, peut joueur avec l’une de ses précieuses cartes action, ici en l’occurrence une carte “East” qui rajoute deux points au jet de dés. Le jet de dé probable de Mc Dowell devient alors 9, soit après vérification sur la CRT 2 pertes chez le sudiste. L’issue de la bataille serait alors -probablement- une égalité parfaite.

Dans un tel cas défenseur et attaquant restent sur leurs positions, les pertes sont enlevées des piles. Si l’attaquant n’est pas sous ravitaillement total, il devient démoralisé. Il ne pourra plus attaquer sans une sévère pénalité, jusqu’à ralliement.

Phase de fin et victoire automatique

Un tour s’achève par une phase dite de fin, à l’issue de toutes les phases d’action. Durant cette phase un marqueur de contrôle (voir le paragraphe sur les marqueurs) sera automatiquement positionné sur une ville occupée par un point de force, et qui n’était pas marquée jusqu’alors.

Les unités démoralisées mais ravitaillées sont ralliées automatiquement.

Enfin on contrôle les conditions pour une victoire automatique.

Le Nord doit respecter un timing, mesuré en points de victoires minimum, s’il veut espérer rester dans la partie et emporter la victoire.

Ainsi et par exemple, la table d’enregistrement des tours prévoit que le Nord doit avoir obtenu 21 points de victoire aux dépends du sud à la fin 1862, 36 à la fin de 1863.

S’il manque 12 points au Nord pour respecter ce timing, l’Union perd automatiquement. Au contraire si le Nord en possède au moins 12 de plus, il gagne par victoire automatique.

Sinon, chaque scénario prévoit ses propres conditions de victoire. Ainsi et pour la grande campagne l’Union gagne avec au moins 60 points de victoire au dernier tour, printemps 1865.

Conclusion

Pour tous joueurs aimant particulièrement le théâtre de la guerre de sécession, The US Civil War est LE wargame qu’il faut avoir dans sa ludothèque. C’est sans doute ce qu’on a fait de mieux depuis la sortie de For The People il y a… 17 ans. Et encore For The People est un card-driven. Ici nous sommes dans un pur wargame.

Alors ne nous y trompons pas. L’apprentissage est rude. Les règles demandent un gros effort de lecture et d’apprentissage avant d’être assimilées. Le meilleur moyen d’y parvenir, après plusieurs relectures, est de se lancer dans une partie seul. Préparez-vous à jouer longtemps avec le manuel dans les mains.  Mais une fois l’effort fourni, quel jeu vous aurez alors entre les mains ! Le plaisir est immense, et vous vous sentirez littéralement dans la peau d’un Lincoln ou d’un Davis !

Mon expérience montre que selon la situation globale ou sur un simple théâtre, les choix peuvent être cornéliens.

La première partie de cet article se consulte sur cette page.

Autour de The US Civil War :

Bibliographie : La guerre de Sécession, James M. Mc Pherson, Robert Laffont, 1991, 1004 pages.

Filmographie : Gettysburg, de Ronald F. Maxwell, 1993.

Jeu vidéo : Civil War II, Ageod / Slitherine, 2013.

A lire également concernant Civil War II nos articles :

N.b. : une partie des illustrations de ce dossier ont été réalisées avec le module Vassal pour The US Civil War.

Nordiste, si votre rôle est effectivement de pousser de toutes vos forces au sud, ne laissez pas la porte du Nord trop ouverte pour autant ! Les sudistes pourraient alors mener des raids en Pennsylvanie, dans le Maryland ou encore en Ohio, vous faisant perdre de précieux PVs ! Le pire drame serait encore la prise de Washington par les Rebelles, puisque le jeu prévoit des effets de panique.

Alors bien sûr, un autre écueil peut être la durée d’une partie.

Si jouer un scénario d’une seule année semble très raisonnable, la Grande Campagne et ses quelques 77 phases d’actions ( !) peut rebuter. Si aucune victoire précoce ne se dessine, aller jusqu’au 20ème et dernier tour demandera à priori plusieurs jours de jeu, ou un marathon nocturne !

Par bonheur, le jeu existe sous Vassal, il est alors facile de conserver ses parties d’une session à l’autre, tout en trouvant des joueurs, nord-américains mais aussi européens.

A retenir

Points positifs

  • Un matériel superbe et de grande qualité, donnant un bon rapport qualité / prix,
  • Des mécanismes de jeu particulièrement réussis,
  • Les grands aspects du conflit sont traités (sauf un),
  • Bonne rejouabilité,
  • Des règles encore mises à jour.

Points négatifs

  • La malédiction du wargamer : trouver un adversaire ! Il faudra sans doute passer par Vassal,
  • L’enrôlement des personnes de couleur n’est pas traité (ils furent pourtant 200 000 à combattre pour le Nord),
  • Un doute subsiste sur l’équilibrage, le Nord semble très (trop) fort. A voir avec les règles de décembre 2016.

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