1998, année de la sortie de Baldur’s Gate, le premier jeu de rôle proposant sur PC des combats en temps réel en parallèle avec une pause active, afin de permettre au joueur d’élaborer des tactiques de combat intéressantes. Après moult itérations, dérivées et jeux qui s’en sont inspirés, c’est en 2015 que nous découvrons avec Pillars of Eternity le retour d’un genre que l’on croyait disparu. Alors, quasi 20 ans plus tard, le disciple a-t-il su surpasser le maître ?
L’une des grosses lacunes de Baldur’s Gate était la relative difficulté d’élaborer une tactique fiable, en raison du caractère en temps réel des combats. le déroulement classique d’un round de combat demandait au joueur de mettre la pause, de donner les ordres à ses personnages, puis de laisser se dérouler différentes interactions avant vite de devoir reprendre la main pour rectifier la situation. Une bonne micro-gestion des combats était encore plus importante dans Baldur’s Gate 2, du fait de la puissance croissante des adversaires. Heureusement le résultat était globalement à la hauteur, plus le joueur progressait, plus les batailles prenaient une dimension épique. Et de fait très tactique.
Pillars of Eternity fonctionne de la même manière. Pourtant, l’action est intrinsèquement plus rapide. Les développeurs ont pensé à implémenter un mode « ralenti » de combat, afin d’éviter les pauses trop nombreuses, mais ce mode reste assez ingérable tant les déplacements des protagonistes sont rapides et les actions à effectuer nombreuses. A nouveau il ne restera donc qu’à utiliser la pause afin de donner les ordres à son équipe et d’avoir des chances de survie dans les combats.
Plus gênant est le système de magie ou d’action relatif aux effets de zones. L’utilisation d’un sort ou d’un effet de zone va nécessiter un temps d’incantation ou d’activation et l’effet surviendra plusieurs secondes plus tard. Cela n’est pas un problème en soi, mais ces effets ne se déclencheront qu’une fois le temps d’incantation terminé … touchant généralement la zone qu’occupait l’ennemi juste auparavant. Rageant ? Oui, d’autant plus que cela gâche quelque part un beau potentiel tactique !
Opter pour des effets de zone se déclenchant a posteriori a neutralisé grandement l’utilité des effets de zones, mais c’est aussi le déplacement rapide et imprévisible des ennemis qui altèrera l’intérêt tactique du placement des personnages constituant le groupe. On en est finalement réduit au placement des mages ou archers loin du combat, et des guerriers en première ligne face aux ennemis, avec le principe plus qu’usé des quatre fonctions principales : le tank, le DPS, le jeteur de sorts et le personnage de soutien.
Si ce ne sera donc pas sur les placements des personnages et des sorts que le potentiel tactique du jeu pourra vraiment s’exprimer, on pourra quand même se rabattre sur une bonne utilisation des compétences des personnages. Dans la rubrique de la gestion du personnage et des mécanismes de résolution des combats, Pillars of Eternity se devait d’innover. Ici plus moyen d’utiliser une licence connue telle que Donjons & Dragons en son temps. Obsidian a dû créer un système de bout en bout, avec ses règles, son système de résolution de combats, etc…
On apprécie la grande personnalisation de la création de votre personnage, qui sera rejoint au fil du scénario par des compagnons, PNJs que l’on croise et qui deviendront facilement des PJs. Avec 6 races, 11 classes de personnages jouables et 7 cultures différentes, il y a de quoi faire.De plus à des statistiques telles que Puissance, Constitution, Dextérité, Perception, Intelligence et Détermination, se superposeront des compétences et des talents variés.

Ni Pillars of Eternity ni Baldur’s Gate ne sont évidemment dans le genre dit des JdR tactiques, Tactical RPG en anglais, ce sont de purs RPG mais néanmoins avec une grande part de combats, équivalente à la part importante que tient le scénario dans tout bon jeu de rôle. Logique quand on sait qu’en fait les jeux de rôles ont pour ancêtre direct, donc pas si lointain que ça, les wargames.
En effet le plus connu des JdR, Donjons & Dragons, était à ses débuts dans les années 70 simplement une déclinaison de Chainmail, un jeu de guerre avec figurines dont le contexte médiéval-fantastique optionnel se prêtait particulièrement bien à une variation s’inspirant elle d’un roman paru quelques années auparavant, et qui allait rapidement connaître un grand succès, Le Seigneur des Anneaux. Ces deux jeux sur table, le premier plus propice à l’aventure et à la narration, le second plus orienté vers la simulation de batailles, étaient d’ailleurs édités par TSR, initiales signifiant Tactical Studies Rules, éditeur qui grâce à D&D connut le succès que l’on sait.
Toutefois si TSR garda longtemps son nom, et ouvrit pour de nombreux joueurs les portes de l’imaginaire vers de grandes sagas comme de superbes mondes fantastiques, on se souvient particulièrement de Dragonlance, Mystara, Greyhawk ou encore des Royaumes Oubliés dans lequel se situait justement l’action de Baldur’s Gate, l’éditeur américain délaissa très vite le thème des jeux purement tactiques pour se concentrer quasi uniquement sur les jeux de rôles.
Ceux-ci faisaient certes toujours la part belle à des simulations de combats plus ou moins compliquées, il y eut d’ailleurs au fil des années quelques tentatives d’intégration de systèmes simulant des batailles et la gestion d’empires, mais peu à peu la filiation logique entre wargames et jeux de rôles s’effaça.
Néanmoins tous les joueurs de JdR le savent, et en général apprécient cette saveur particulière, il y a tôt ou tard dans les grandes aventures de grands combats à mener. Si les choix scénaristiques qu’auront fait préalablement les joueurs influeront très probablement sur le cours d’une bataille, qu’importe que ce soit contre un dragon légendaire, une armée d’orques sanguinaires, un seigneur démon échappé des Enfers ou un roi-sorcier revenu d’outre-tombe pour répandre sa colère, une fois dans le feu de l’action, les mots cèdent la place aux armes, à l’aléatoire des combats, et donc à de bonnes et rapides prises de décisions pour mettre toutes les chances de son coté. Et sauver sa peau, voire même en général au passage le monde entier !
Au final, dans beaucoup de jeux de rôles l’histoire vécue s’avère d’autant plus belle et mémorable que la sagesse tactique nécessaire pour surmonter les épreuves aura été subtile.
Bertrand

Ajoutons qu’il est aussi possible de simplement se rendre dans une auberge, pour louer les services d’un aventurier « anonyme », personnage dont l’histoire personnelle ne sera pas développée ni liée au scénario du jeu (pas d’interaction dans les dialogues), mais personnage que l’on pourra créer complètement, selon ses attentes. Si vous voulez spécialiser un groupe avec plusieurs mages, prêtres, voleurs ou guerriers, mais que les PNJs que vous croisez ne vous conviennent pas, vous pouvez ainsi créer les combinaisons de classes que vous voulez.
De manière assez inhabituelle, les combats ne rapporteront pas d’expérience, mais des informations sur les forces et faiblesses des différents adversaires rencontrés, ce qui permettra d’adapter son équipement et ses tactiques à ses adversaires. Ce sera par contre par la résolution de quêtes, par certains dialogues et par les choix du joueur que l’expérience sera distribuée et permettra la progression des personnages (nouveaux sorts, nouvelles compétences, etc..).
Bref, si Pillars of Eternity est quelque peu décevant au niveau tactique, et sombre dans les pires avatars et défauts du système de combat en temps réel avec pause, il a le mérite d’avoir recréé et implémenté un système de jeu novateur et cohérent, profond et permettant de gérer de multiples situations.
On relèvera pourtant un certain manque d’accessibilité et de lisibilité. On est loin des règles AD&D bien connues des rôlistes à l’époque de Baldur’s Gate. Le jeu faisant la part belle à l’optimisation de ses personnages, caractéristique après caractéristique, en fonction de vos choix de progression et des bonus accordés par les objets, ce manque de lisibilité est un peu dommageable au gameplay et conduit invariablement le joueur à gérer les combats « a minima », en utilisant inlassablement les mêmes compétences ou mécanismes sans utiliser toutes les possibilités du jeu.
La récente mise à jour 2.0 (voir ce changelog) a été le moyen pour Obsidian d’améliorer un peu le tout, en implémentant un système d’intelligence artificielle permettant de faire gérer les différents membres de votre groupe en fonction de critères de classe de personnage, ou encore de comportements d’ensembles. A coté de cela, certains mécanismes de combats et d’exploration ont été améliorés avec l’implémentation de la furtivité pour un seul des membres du groupe, et pour terminer certains petits raffinements ont été mis en place tels que des indicateurs de portée ou de probabilité de toucher qui ont été mis en place.
Un gros patch avec des ajouts qui restent bienvenus … mais qui ne changent pas fondamentalement l’expérience. Hormis la partie purement tactique, Pillars of Eternity est un jeu qui brille en fait surtout par son scénario et par la richesse de son monde. A ce titre, Obsidian a véritablement créé quelque chose d’exceptionnel, qui n’a rien à envier aux ténors du genre.
Pour conclure
Ce RPG est non seulement un retour aux sources, mais il se permet également de créer un nouveau système de jeu, et de transcender la série dont il s’inspire et les vénérables jeux de l’Infinity Engine. C’est un véritable bonheur de découvrir un monde d’une telle richesse, avec un scénario digne des plus grands titres du genre.
On pourra toujours lui reprocher un système de jeu parfois inutilement complexe ou mal documenté, un système de combat éprouvé, mais souffrant de défauts inhérents au temps réel avec pause qu’avait mis en place Baldur’s Gate (ces fichus adversaires sortant de ma zone d’effet du sort avant qu’il soit lancé, son temps réel trop rapide). Mais si le système du jeu n’est pas parfait, ses défauts sont largement compensés par les immenses qualités scénaristiques. D’ailleurs s’agissant du système de jeu mal documenté, ou mal expliqué, c’est bien peu de chose pour une nouvelle licence créée totalement « ex nihilo ».
Pour plus d’informations et un test plus complet du jeu et de son extension, vous pouvez vous référer sur Dagon’s Lair à mon article sur Pillars of Eternity ainsi qu’au test de The White March.
Dans Pillars of Eternity l’influence des caractéristiques aura diverses conséquences parfois déroutantes :
- Le courage affectera les dégâts physiques ou magiques, les soins, et augmentera le score de robustesse.
- La constitution augmentera l’endurance et la santé, ainsi que le score de robustesse.
- La dextérité augmentera la vitesse, la précision, ainsi que le score de défense réflexe.
- La perception augmentera le score d’interruption, tout en augmentant le score de fortitude et de réflexe.
- L’intelligence augmentera les zones d’effet des sorts et leur durée ainsi que le score de défense lié à la volonté.
- La détermination augmentera la concentration (résistance à l’interruption en cas d’attaque d’un ennemi), et augmentera le score de déflexion et de volonté.
Il faut donc noter une certaine décorélation entre les statistiques et les classes de personnage jouées. Il est tout à fait viable de jouer un mage en mettant l’accent sur son score de courage…
Du coté de la résolution des combats, le jeu prend en compte le type de dégât occasionné (tranchant, contondant, perforant, feu et froid), et applique des bonus ou réductions de dégâts en fonction :
- de la puissance du jet d’attaque
- de la résistance au type de dommages
Exemple : Précision 25 (moi) – Déviation du type de dégâts 30 (défense de l’ennemi) = -5
Tirage au dé 100 = 60 ; 60-5 = 55. Le résultat du coup dépend de ce dernier chiffre : 0-15 = manqué, 16-50 = 1/2 des dégâts (éraflure), 50-100 = dégâts normaux, 100 + = dégâts x 1,5 . A cela le système appliquera en plus une réduction des dégâts selon leur type, sans jamais réduire le total à moins de 20 % des dégâts initiaux. On privilégiera donc toujours les armes occasionnant plusieurs types de dommages.
La nouvelle extension The White March, qui se déroule non pas à la fin du scénario principal de Pillars of Eternity mais au coeur de celui-ci, fait découvrir au joueur des montagnes enneigées peuplées d’ogres, périple requis pour accéder à un alliage permettant de forger des armes légendaires.
Sans être exceptionnels le scénario et les dialogues y sont honorables, et cet add-on se focalise surtout sur d’incessants combats à la difficulté plutôt relevée, batailles durant lesquelles le joueur devra mettre toutes ses connaissances du système de jeu en oeuvre pour survivre.
Bref, une extension sans grande surprise à réserver à ceux qui cherchent à enrichir le jeu avec un challenge relevé. The White March présente cependant peu d’intérêt pour ceux qui ont déjà fini Pillars of Eternity. En effet pourquoi aller chercher du meilleur matériel lorsqu’on a terminé la quête principale … sauf à voir les combats comme une fin en soi.





A lire en complément sur Dagon’s Lair le test de Pillars of Eternity et celui de The White March.
Pour plus d’informations sur Pillars of Eternity voyez le site officiel, cette fiche chez Paradox ou celle-ci sur Steam.
Concernant The White March part I, voyez cette page chez Paradox ou cette fiche sur Steam.
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