Faut-il s’étonner et même se plaindre du manque de renouvellement existant dans le monde du jeu informatique et de celui du wargame en particulier ? Civ V est-il un meilleur produit que Civ IV, Command Ops – Battle from the Bulge meilleur que Conquest of the Agean ? Beaucoup et moi-même pensent que oui car l’expérience acquise associée à la continuelle progression des capacités techniques de nos ordinateurs renforcent les IA ou le rendu visuel ou tout simplement le volume de caractéristiques.

Une avancée décisive ?

La question diffère dans le cas de Decisive Campaign – The Blitzkrieg from Warsaw to Paris. On se retrouve certes très clairement dans la lignée des précédents jeux de VR Designs (pour Victor Reijkersz le « game designer »), People Tactics puis Advanced Tactics World War II : le système, l’interface et le gameplay sont quasiment identiques et pourtant le design général a changé.

Les opus précédents étaient des wargame-construction-kit, à l’image de l’inépuisable The Operational Art of War. Les dizaines de scénarios conçus par une communauté vivante (voir www.advancedtactics.org) en témoigne. Le cœur du système était donc un éditeur de scénario très versatile : permettant facilement de créer OB, carte, système de ravitaillement et de production, et même gestion d’événements orientant certains scénarios vers de séduisants jeux « card-driven ». Tout le défi consistait à tester suffisamment ces créations pour s’assurer d’un équilibrage.

Or l’épreuve du feu pour les grands classiques (tout le front de l’Est à l’échelle opérationnelle, l’Europe voire le monde à l’échelle stratégique) ne s’est pas toujours avérée concluante : des unités disparaissant bien trop vite, des capacités de mouvements discutables (notamment stratégique), des OB devenant irréalistes par la possibilité de transférer presque n’importe quelle force à n’importe quelle unité. Comme souvent, les meilleures productions se distinguaient d’abord par l’originalité de leur choix de conception ou par leur sujet.

La crainte était donc grande de découvrir dans cet opus se centrant sur le début de la Seconde Guerre mondiale en Europe, une pure exploitation marketing d’un système aujourd’hui rodé et possédant sa niche supposée captive.

Les premières impressions confirment ces craintes. Non seulement le jeu ne propose que trois scénarios (à savoir la Pologne en 1939 et celle de l’ouest en 1940, auquel s’ajoute l’opération « Lion de mer », what-if incontournable sur l’invasion de l’Angleterre, plus deux mini-scénarios sur l’attaque des Pays-Bas et la bataille de Bzura) mais comme l’éditeur a purement et simplement disparu, il faut s’en contenter.

Les amateurs de mod qui s’étaient rués sur ATWW2 passeront leur chemin. Les différents systèmes propres à la nature opérationnelle de ce wargame n’ont guère évolué, on retrouve :

  • le mouvement et le combat intégré toujours géré par 100 points d’action, dont la consommation est relative selon le type de mobilité, le type de terrain et la présence de l’ennemi ;
  • le ravitaillement géré de manière semi-abstraite ;
  • l’importance des QG (et spécifiquement de leur commandement et de leur état-major) agissant comme bonus et de leur hiérarchisation ;
  • l’importance des unités de bombardements en l’occurrence l’artillerie et l’aviation ;
  • l’indispensable combinaison des forces (chaque unité est un contenant de forces de nature différente, à savoir infanterie, blindée, mitrailleuse, armes de soutien, et bien d’autres encore parmi une vingtaine de type) ;
  • la description détaillée et dynamique de la composition et des caractéristiques de ces unités (points d’action et de ravitaillement consommés, intégrité, expérience, morale, niveau de retranchement et bien sur effectif numérique).

Certains changements positifs sont cependant immédiatement visibles. L’esthétique générale a été améliorée. L’interface est sobre mais élégante. Pour illustrer les unités, les photos d’époque ont été remplacé par de jolis dessins qui en plus d’être fidèles sont habilement instructifs. En effet, la posture des unités d’infanterie témoigne de leur valeur théorique : les réservistes polonais à lunettes et dos voutés contrastent avec la mine altière des divisions d’active de l’armée française ou allemande.

La carte sans être magnifique est très claire et agréable. On est loin des wargames qui piquent les yeux d’autant plus que l’essentiel des résolutions sont supportés et que trois niveaux de zoom, tous utiles, sont disponibles. Dès le démarrage, une nouveauté saute également aux yeux et justifie le titre et son avenir probable : le système est désormais centré sur une campagne liant les scénarios.

L’essentiel des renseignements en quelques chiffres. Un régiment de la 55ème division polonaise, effectifs et matériels à droite, valeurs de combat à droite. Le brouillard de guerre (avec une progressivité bien gérée) empêche de connaitre dans cet exemple le nombre de points d’actions, de ravitaillement et l’intégrité.

Comment fonctionne ce jeu dans le jeu ?

Il faut d’abord informer que ce système, même s’il peut être joué contre un adversaire humain, est centré assez logiquement sur les initiatives de la Wehrmacht. C’est à lui de sélectionner les options qui lui permettront de tirer profit des erreurs stratégiques des Alliés. Ceux-ci ne resteront pas inactifs et pourront également tenter des contre-mesures plus ou moins plausibles mais bien équilibrées.

Ces options reprennent en fait le système de points politiques qui existait dans Advanced Tactics mais les conditionnent désormais aux réalisations du joueurs et non à la production de ses centres industriels (rappelons qu’il n’y a plus de production).

Observons par exemple la situation au début de la campagne, le 22 août, au Berghof, le joueur prend les décisions pour l’offensive prévue la semaine suivante :

Il peut choisir avant l’attaque surprise de dépenser ses points politique dans deux domaines. Le renseignement (cartes bleu, cf. image ci-dessous) qui touche aussi bien aux rapports météo qu’aux options choisis par les Alliés, et les contre-mesures (cartes marron) annulant certaines options Alliés : une offensive française à l’ouest, une armée polonaise plus concentrée ou mieux équipée, un corps expéditionnaire britannique bloquant Danzig, une trahison de Staline.

Avec 50 points à dépenser et une réussite aléatoire des services de renseignements, les mauvaises surprises sont fréquentes… à moins de choisir le déroulement historique… ou de préférer un placement libre !

Bien sur, le joueur peut aussi garder ces points pour préparer les scénarios suivants ou même pour un coup de pouce durant l’un des scénarios (un renfort exceptionnel par exemple). De plus, les effets du renseignement sont cumulatifs (30% de chance au premier tirage, 50% au deuxième et 70% pour l’opération Lion de mer si l’option est donc achetée 3 fois) et nécessaires car la difficulté des scénarios est croissante. Le card-driven est donc bien réel et pas simplement cosmétique. C’est une avancée majeure du système, à la fois ludique et réaliste.

Enfin, cerise sur le gâteau, non seulement la qualité de la victoire d’un scénario est évidemment prise en compte pour le scénario suivant en termes de points politiques (qui permettent d’acheter des cartes de renseignement ou d’actions stratégiques) mais aussi en termes d’effectif et de qualité (morale et expérience des troupes). Pour un peu on retrouve la saveur du bon vieux Panzer General !

Détail historique : une partie des divisions polonaises s’échappant du chaos peuvent être intégré à l’OB français de mai 40 et évidemment l’opération Dynamo est également déterminante pour la défense de l’Angleterre.

Exemple de cartes spéciales.

Comment se comporte le système à l’épreuve du feu ?

La réponse est ici plus délicate. Même si l’interface est claire et agrémentée de pop-ups qui assurent un apprentissage très rapide, la prise en main demande une certaine rigueur et une grande patience.

Rigueur d’abord dans la planification. Le tour de jeu n’étant pas segmenté, le joueur peut effectuer ses actions dans n’importe quel ordre tant qu’il lui reste des unités capables d’agir. Mais le distrait s’apercevra régulièrement que le QG des divisions qui viennent d’échouer leur attaque avaient un bonus qu’il aurait dû activer (chaque QG peut avoir jusqu’à deux cartes actives par tour donnant divers bonus), ou bien qu’une artillerie en retrait aurait pu en conjonction avec un bombardement aérien assouplir la défense ennemie. Il comprendra vite également qu’un habile système de point de reconnaissance et d’empilement l’incite à ne pas foncer tête baissée en comptant sur sa supériorité numérique ou matérielle pour réussir la Blitzkrieg. Enfin, les combats se déroulant en round au nombre maximum de 10, leur durée détermine une éventuelle pénalité de franchissement de l’hex où il s’est éternisé.

En clair, n’espérez pas masser trois divisions d’infanterie dans un assaut frontal couteux mais victorieux pour exploiter ensuite la rupture par une cavalcade de blindées ignorant le temps perdu lors de cet assaut. Patience donc également, et il faut souvent mieux privilégier la manœuvre de contournement ou une défense en profondeur. Or, malgré la possibilité d’indiquer une destination pour toute une formation, le nombre de clic est énorme et rien n’indique directement que vous oubliez des bonus / malus importants (d’intégrité divisionnaire, de surempilement, des QG).

 

Au début de la campagne à l’ouest, 52 points politiques permettent de modifier significativement l’OB ou de réaliser certaines opérations spéciales (parachutage de la 7ème Fallschirmjager).

Le manuel est heureusement clair bien que relativement mal illustré. De plus les rapports de combats simplement animés peuvent être détaillés avec soin et c’est là que l’on s’aperçoit de la profondeur de calcul du système.

Le combat étant évidemment le cœur du jeu, il est utile d’affirmer qu’un gros effort de cohérence a été fait sur les valeurs et le réalisme des combats. Après plusieurs semaines de jeu, je n’ai rencontré aucun résultat aberrant. Mieux, une observation attentive des pertes et des résultats de combat présente une grande logique sans que le joueur n’ait à traiter la masse énorme de modificateurs appliqués à chaque affrontement. L’aviation qui souffrait notamment de déséquilibre flagrant dans Advanced Tactics est ici bien traitée et les valeurs respectives de matériels bien rendues. Mais si la recherche historique semble sérieuse au niveau des matériels nationaux et des valeurs de combat des différentes formations, celles-ci apparaissent immédiatement « génériques » et avalisent de plus la thèse désormais obsolète de la supériorité numérique de l’armée allemande (notamment pour l’artillerie ou les blindés).

En l’absence d’indication bibliographique et malgré des notes historiques pertinentes sur les ordres de batailles théoriques, il est difficile de savoir si V. Reijkersz à seulement voulu faire simple en abusant du copier-coller pour créer ces OB ou si cela a été murement équilibré. Ainsi, on comprend le choix de ne pas représenter certaines unités de petites tailles (la plupart des régiments ou bataillons indépendants), mais la contrainte fixe de ne pas avoir plus de huit types de forces par unités a par contre éliminé de l’OB certains matériels (les six batteries de Sturmgeschütze, la grande diversité des pièces d’artillerie, etc.).

 

La précision de l’OB n’est qu’apparente. La plupart des formations sont génériques mais les QG et surtout leur commandant sont traités avec une volonté de différenciation très nette. Ici, Guderian et son bonus record de 95 % !!!

Conclusion

Dernier point, incontournable pour tout joueur de wargame souvent en quête désespérée d’un partenaire, l’IA. Celle-ci s’avère être décente pour les premiers engagements mais assez répétitive. Le multijoueur a donc été particulièrement soigné puisqu’à côté du hot-seat et du PBEM, chaque scénario peut être joué en équipe (de 3 ou de 7 !) voire même en placement libre. Associé au bluff stratégique inhérent à la campagne à deux joueurs cela promet de belles histoires alternatives…

  • Le système de campagne « card-driven ».
  • Une campagne de France, c’est pas si fréquent…
  • Un système rodé qui tient la route.
  • L’esthétique générale.
  • La disparition de l’éditeur de scénario.
  • L’historicité discutable des OB.
  • Une interface un peu lourde.
  • Trois vrais scénarios.
Infos pratiques

Date de sortie : 26 août 2010.

Jeu édité en anglais uniquement par VR Design / Matrix Games.

Site officiel : Fiche chez Matrix (site de VR Design)

 

NDLR : article initialement paru sur le site de Cyberstratège en 2010.

1 commentaire

  1. La sortie d’un 2eme module “Case Blue” est imminente. Il semble qu’il y aura des évolutions du système de jeu par rapport à ce premier module. Cette série a sans doute du potentiel malgré que le fait que les 3 scénarios proposés dans le 1er module semblent assez répétitifs à rejouer.

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