L’une des questions / remarques revenant le plus souvent, particulièrement de la part des plus jeunes joueurs, depuis l’annonce de Order of Battle – Pacific concerne certainement son système de jeu et ses relations -présumées- avec celui de Panzer Corps. Pour les grognards, la référence à l’illustre Pacific General apparaît nettement plus évidente. Lequel de ces deux titres fameux peut-on affilier au petit dernier de chez Slitherine ? The Artistocrats, dénomination intrigante du studio à son origine semble avoir mis un point d’honneur, noblesse oblige, à se démarquer de ces rapprochements trop évidents, en créant un jeu à forte personnalité.
Unité 731
En préambule à l’étude approfondie du système de jeu qui sera abordée en détail ici, dans un ou plusieurs articles successifs, quelques précisions paraissent s’imposer. En tout premier lieu, le sujet énigmatique -pour certains- introduisant ce premier article mérite des éclaircissements. Alors non, ce n’est pas le nombre d’unités présentes dans le jeu, ce dernier n’en comporte « que » cinq cent ! L’unité 731 constitue, avec certains épisodes fameux tels que le « viol de Nankin » ou « L’incident de Shanghai », l’un des éléments les plus sombres ayant jalonnés l’histoire du conflit servant de thème au wargame qui nous intéresse aujourd’hui. Il s’agissait en l’occurrence d’une unité militaire japonaise, dont la mission consistait à tester sur des cobayes humains, prisonniers chinois mais également russes blancs (sa création remonte au début des années Trente) et probablement américains, des composés chimiques et bactériologiques mortels ; entre autres horreurs. Le général Shiro Ishii, commandant de cette unité sordide échappa à la sanction suprême, grâce à la mansuétude de son homologue gradé, le général Mac Arthur…
Bien que n’ayant aucun rapport direct avec le sujet qui nous occupe, cet aparté me permet néanmoins de mettre en exergue et de conseiller la lecture de l’excellente biographie d’Edward Behr consacrée à l’empereur Hiro Hito, qui évoque aussi cet épisode peu connu, pourtant précurseur au développement des armes bactériologiques et chimiques américaines et soviétiques.
Revenons au jeu… pour vous préciser que les remarques faites au cours de ce test s’appliquent à une version Bêta -pour l’essentiel- qui donc ne bénéficiait pas, au moment du test, des derniers raffinements apportés à la copie finale désormais disponible. Ce fait est mentionné afin de bien vous rappeler que certains aspects négatifs seront très certainement gommés, dans les semaines à venir.
Le cadre du jeu s’établit durant la Seconde Guerre mondiale, avec le début des hostilités pour le Japon face aux États-Unis, en décembre 1941 dans le Pacifique. Les événements initiaux du conflit remontant à la guerre sino-japonaise et à l’année 1931 étant ici éludés, à l’inverse de ce que proposait Pacific General. Rappelons que ce jeu devrait être le premier volet d’une série plus ou moins longue basée sur un système de jeu assez unique, dont les inspirations sont diverses. Dans une interview récente accordée à Wargamer.com, Lukas Nijsten, partie prenante dans le studio -The Artistocrats- à l’origine de cette série déclarait qu’elle était inspirée par des jeux allant de Starcraft 2 à Company of Heroes mais que son gameplay dérivait principalement de trois titres : Battle Academy (voir ce test), Pacific General et Commander Europe at War. On notera au passage que ce graphiste de formation participa à la création des titres précités, ainsi qu’à celle de Panzer Corps Wehrmacht (voir cet article), de Commander Napoleon at War, ainsi qu’à Spartan. Un pédigrée qui en dit long sur les affinités du personnage, en termes de gameplay et de visuels.
Les ressemblances avec la série des Five Stars et surtout Pacific General sautent aux yeux. On retrouve en effet, en plus du thème global, bien évidemment, à peu près tout ce qui en fit un succès auprès des wargamers. Un contenu historique très fidèle, en premier lieu, avec des cartes géographiques ici dans un rendu chatoyant qui fait penser clairement à Battle Academy mais avec une touche particulière de réalisme supplémentaire. Les unités très variées (environ cinq cent) permettant des stratégies différentes et des rapports de force tactiques stimulants.
On retrouve aussi, plus spécifiquement, le recours aux étoiles pour signifier la progression d’expérience des unités, au cours de trois campagnes différentes. Une côté américain et Alliés (quasiment toutes les troupes de l’Empire britannique et de l’ANZAC (Australian and New Zealand Army Corps) sont présentes) ; une deuxième côté japonais et enfin une troisième, plus courte en seulement quatre scénarios, pour le didacticiel. À noter que ce dernier constitue un préambule incontournable aux véritables campagnes longues et permet, dans une ultime mission de quarante tours, de véritablement découvrir le cœur du jeu. Il n’en demeure pas moins qu’il néglige d’expliquer certains éléments utiles au joueur.
Parmi les éléments constitutifs des Five Stars, on retrouve ici présents l’affectation de commandants à certaines unités, terrestres, aériennes ou navales en fonction de l’expérience accumulée. De la même manière que Pacific General découpait ses campagnes en mêlant des gameplay sensiblement différents selon l’arme utilisée, Order of Battle – Pacific offre trois types de jeu dont la pratique procure des sensations variées. L’arme terrestre, relativement classique s’enrichit d’opérations amphibies et aéroportées aux règles suffisamment riches pour constituer presque des éléments à part. Les manœuvres navales quant à elles, présentent un système de jeu relativement complexe et surtout très différent du reste. Même s’il se mêle plutôt bien en s’intégrant sans ruptures à l’ensemble, sa maîtrise sera plus délicate à acquérir. L’aviation bénéficie de subtilités telles que la gestion du carburant et des emports, mitrailleuses pour le dog fight, bombes ou torpilles. L’aéronavale comme l’Air Force traditionnelle recourant à des pistes d’envol propres, porte-avions ou aérodromes.
L’ensemble s’articule autour de campagnes dynamiques scénarisées, dont les différentes batailles proposent plusieurs niveaux de résolutions Le fait de reprendre un système éprouvé reposant sur des objectifs de victoire répartis en groupes dissociés garantis, avec la qualité des cartes géographiques, la possibilité de tenter des approches diverses. Les objectifs principaux, incontournables, déterminent la victoire finale ou l’échec du joueur et de ses troupes. Des buts secondaires, eux-mêmes répartis en plusieurs catégories selon leur intérêt accordent, en fonction de leur accomplissement, des bonus ou malus parfois très substantiels.
Enfin, tout aussi classique, on retrouve ici la possibilité de gérer ses troupes finement, avec un système de ressources associé à des points de commandement, ce qui est bien moins courant sur ce type de jeu. Vous pouvez disposer d’amples ressources, vous permettant d’envisager la réquisition de troupes puissantes et cependant manquer de points de commandement, vous empêchant alors de les déployer sur le front !
Mentionnons particulièrement l’une des caractéristiques majeures de Order of Battle – Pacific, à savoir un système de gestion du ravitaillement, à la fois très simple à appréhender, ce qui n’est pas fréquent mais aussi bien pensé que réalisé. La grande originalité de ce système étant qu’en plus de points d’approvisionnement fixes, souvent représentés sur les cartes par des villes ou des dépôts spécifiques, la plupart des unités navales font également office de pourvoyeuses en armes, carburant et impedimenta. Il va de soi qu’en conséquence, les villes et dépôts constituent des objectifs stratégiques de tout premier plan permettant à la suite de prise ou de destruction, d’infliger à l’ennemi de sérieux coups d’arrêt.
Pareillement, lors des nombreuses opérations amphibies que vous devrez mener, comme pour ensuite exploiter vos têtes de pont, une attention particulière devra être portée sur le positionnement et la protection de ces sources mobiles que constituent les navires de ravitaillement. Les possibilités stratégiques sont multiples et très stimulantes, la qualité de réalisation au rendez-vous.
Les règles de jeu dans ses trois armes différentes -souvent dignes d’une simulation- feront l’objet d’autres articles détaillés, tant la richesse et la profondeur de ce titre le démarquent de prédécesseurs tels que Panzer Corps. La présence d’un module multi-joueurs PBEM++ ainsi qu’un mode Hotseat (chaise tournante) devrait également inciter à la réalisation d’AAR en français. À noter, au passage, que le jeu ainsi que son manuel sont aussi disponibles en version française intégrale, ce qui n’est pas si fréquent ! The Artistocrats donnent naissance à ce qui sera une véritable nouvelle série de wargames que beaucoup de joueurs attendaient depuis longtemps.
Bien entendu, s’agissant d’un nouveau jeu utilisant un système ambitieux et testé sur une version Bêta, on découvre au gré des parties quelques éléments perturbateurs. Si la présence d’un didacticiel substantiel, en termes de quantité, ainsi que celle d’un manuel de près de quatre-vingt pages représente, surtout par les temps qui courent, une grande satisfaction, le fait est que de nombreux éléments du jeu ne sont pas abordés, ni par l’un ni par l’autre. Quelques fonctionnalités sont mal expliquées, d’autres manquent à l’appel, comme la possibilité de déterminer clairement la nature du terrain sous le curseur de la souris, autrement que visuellement.
Autre point gênant, surtout en raison du grand nombre de personnes concernées, le fait que certaines informations reposent sur un aspect purement visuel, telle que la nature de certains objectifs déterminés par la couleur d’un repère. Autant de petites frustrations dont aucune cependant rende le jeu injouable ou de bloquer la progression.
Complété actuellement d’un éditeur de batailles très généreux, bien que manquant encore d’ergonomie, le jeu doit se voir prochainement adjoindre un module de batailles rapides. Cet éditeur permet actuellement de créer des scénarios complets, à l’image de ce que les développeurs ont réalisé. On commencera par dessiner et remplir une carte, avec les éléments propres au théâtre Pacifique. C’est d’ailleurs ici que le manque d’ergonomie se fait le plus sentir. Sans rendre les choses exceptionnellement difficiles, le fait de devoir lancer le scénario avec le moteur du jeu (heureusement selon une procédure simplifiée) n’est pas des plus pratiques. On pourra ensuite ajouter des unités pour plusieurs camps / équipes issues des diverses nations disponibles. Pour après leur attribuer des scripts comportementaux variés ou ajouter des déclencheurs et enfin rédiger les conditions du scénario. Il est enfin possible de créer de véritables campagnes en liant la narration. De quoi s’amuser, si tant est que la patience ne vous fait pas défaut.

Derniers mots
Si les thèmes musicaux utilisés n’entrerons pas dans les annales des grandes compositions musicales du siècle, les bruitages, tout aussi variés et explicites que les animations graphiques, souvent très originales et toujours réussies devraient marquer les esprits. Cette qualité visuelle peu courante dans le wargame traditionnel mais plus familière des joueurs de STR à la Company of Heroes cité précédemment devrait clairement constituer la marque de fabrique associée à cette nouvelle série.
Quand le ramage se rapporte au plumage, d’une façon si réussie, tant le gameplay de cet Order of Battle – Pacific est aussi intéressant qu’addictif, on peut sans conteste envisager un avenir radieux pour la série. Depuis Achtung Panzer et sa malheureuse communication publique ratée, aucun wargame tactique n’avait suscité autant d’intérêt et de consensus au sein de la Rédaction ; sans vouloir imposer un point de vue subjectif, force est de reconnaître que notre enthousiasme devrait en dire long sur la qualité de ce titre. Un dernier mot, pour ajouter qu’en termes de stabilité et de finition (même si ce dernier point est sujet à réserves, en raison de la nature de la pré-version testée) ce jeu fait honneur à son éditeur.
- Un moteur graphique (Unity) performant et assez somptueux, pour un wargame.
- Des animations variées et réussies apportent beaucoup à l’ambiance.
- Une certaine fidélité historique en termes d’unités présentes et de cartes géographiques.
- Trois campagnes, dont une didactique, bien équilibrées, aux missions variées.
- Un système de ravitaillement très abouti, intéressant et assez riche, pour stimuler le gameplay.
- Des lacunes dans un didacticiel et une documentation, autrement plutôt réussis.
- Des oublis -probablement bientôt réparés- au chapitre de l’ergonomie, y compris pour l’éditeur de scénarios qui compense toutefois par une belle richesse.
- On ne dira jamais assez que nombre de joueurs sont daltoniens… !
Date de sortie : 30 avril 2015.
Studio – Éditeur : The Artistocrats / Slitherine.
Site officiel : orderofbattle.slitherine.com ; fiche chez Slitherine ; fiche sur Steam ;
Prix éditeur : 34.99 € (téléchargement) – 48.99 € (boîte + téléchargement).
Version testée : v1.5.8 sur Win7 64bits – AMD FX 8350 4,2Go – RAM 16 Go – eVGA GTX760 SOC 2Go. Version française prévue : Disponible !
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