Après une attente interminable, l’adaptation sur PC du célèbre wargame World in Flames est finalement sortie ce 7 novembre 2013 chez Matrix Games. Il s’agit de la seconde adaptation d’un wargame “papier” des australiens de ADG par Matrix, après le très décevant Empires in Arms. C’est donc avec un mélange d’espoir et d’appréhension que les amateurs du plus connu des wargames “grand stratégiques Seconde Guerre mondiale” attendaient cette adaptation de leur jeu culte.

Un peu d’histoire…

La première édition de World in Flames est parue en 1985 et a remporté à l’époque le Charles S. Roberts Award de “meilleur wargame du XXème siècle”. Depuis, les éditions se sont succédées jusqu’en 1996 quand est sortie la 6ème édition du jeu, dite “Final Edition”, qui a malgré tout évoluée par la suite au gré des mises à jour de règles et de la parution d’extensions pléthoriques. Dans les années 90 a germé un projet d’adaptation de World in Flames (WiF) au support informatique : en effet, les dimensions du jeu, le temps nécessaire à mener la grande campagne à son terme (une bonne centaine d’heures !) font que peu nombreux sont ceux qui ont pu avoir la chance de pratiquer avec régularité leur jeu favori. Sur PC, pas de cartes et de milliers de pions à ranger hors de portée du chat et des enfants, et pas la peine de bloquer une semaine de congés pour faire une partie.

Dans les années 90 a donc été lancé le projet “Computer WiF“, dont l’unique programmeur, Chris Marinacci, espérait une parution pour… 1999 ! la bêta-version de ce jeu est longtemps restée téléchargeable sur le site de ADG, mais le projet n’a pas été achevé et c’est en 2005 que ADG a chargé Matrix d’adapter le bébé, qui vient donc de sortir après 8 ans de développement !

Dès le début du projet, le parti pris a été de faire une adaptation fidèle du wargame papier, qui respecterait scrupuleusement les règles de celui-ci.

Les règles, parlons en ! Succinctement…

Succinctement car il serait vain de vouloir résumer la soixantaine de pages A4 de règles du jeu de plateau dans cet article, aussi se contentera t-on des grandes lignes :

World in Flames est un jeu simulant l’intégralité de la seconde guerre mondiale. Les joueurs dirigent les forces armées de chacun des belligérants, mais gèrent également la production industrielle et sa planification, ainsi que certains aspects politiques comme les déclarations de guerres, les pactes de non-agression où encore l’alignement d’alliés mineurs lorsque certaines conditions sont réunies. chaque joueur joue tout ou partie des pays majeurs de l’Axe ou des Alliés : Allemagne, Italie et Japon d’un coté, USA, URSS, France, Chine et Commonwealth de l’autre. Les divers pays mineurs entreront en guerre dans un camp ou dans l’autre en fonction des actions des deux camps. Chaque tour de jeu représente deux mois de temps, et est subdivisé en un nombre variable d’impulsions au cours desquelles chaque camp agit alternativement. Ce nombre d’impulsions est fortement influencé par la météo : plus le temps est mauvais, plus les tours sont courts.

Les opérations se déroulent sur une carte du monde à hexagones, dans lesquels unités terrestres, aériennes et maritimes cohabitent. De fait, la collaboration inter-armées est un des éléments fondamentaux du jeu : sans unités aériennes pour soutenir les combats, désorganiser l’ennemi ou encore couvrir vos QG ou vos flottes, vous vous exposez à des désillusions. De même, la présence de blindés permettra d’utiliser la table de combat “Blitz”, moins meurtrière que la table “Assaut”, mais qui permettra d’avancer plus facilement après combat et ainsi de créer des brèches dans le dispositif ennemi. Les navires quant à eux, permettront d’offrir un soutien côtier bienvenu, mais aussi et surtout de maintenir les lignes de communications et de projeter vos forces outre mer.

Le système de jeu est détaillé mais assez classique au niveau des opérations terrestres. On retrouve ainsi les classiques zones de contrôles, les limites d’empilement dans un hexagone, les lignes de ravitaillement, les rapports de forces, les effets du terrain… Un des points essentiels est que les unités peuvent se retrouver désorganisées soit suite à un bombardement aérien (“ground strike”) soit suite à un combat infructueux. Les unités désorganisées ne peuvent plus agir, ont des malus en combat et devront être réorganisées par les HQ, qui en plus sont des sources de ravitaillement. Inutile de dire que cela en fait des cibles de choix…

Au niveau aérien, on trouve une subdivision entre divers types d’unités qui sont les chasseurs, les bombardiers, les bombardiers stratégiques spécialisés dans la destruction des usines ennemies, les avions de transports (attention aux parachutistes !) et les NAV spécialisés dans la lutte anti navires.

Enfin, les unités navales se répartissent entre porte-avions, cuirassés, croiseurs lourds, sous-marins, transports de troupes et convois, ces derniers servant au ravitaillement et à convoyer les ressources jusqu’à vos usines. Inutile de dire que pour le Japon et le Commonwealth, la protection de la ligne de convois est vitale, si celle ci devait être endommagée, la production s’effondrerait, faute de ressources. L’aspect naval du jeu est certainement l’un des plus difficile à maîtriser. Les navires occupent des zones de mer et occupent une case représentant leur niveau de patrouille. Plus vous êtes dans une case élevée, plus il est probable que vous puissiez déclencher un combat sans être surpris, mais d’un autre coté, tous les navires n’ont pas assez de points de mouvements pour monter dans les cases les plus hautes, de même pour les unités aériennes. Quand un combat a lieu, il arrive que seules certaines cases de la zone de mer soient impliquées dans le combat.

Dois-je mettre mes navires en case 4 pour avoir de fortes chances de trouver mon adversaire, ou bien dois-je plutôt me mettre en case 0 pour y protéger mes convois qui autrement, pourraient être attaqués sans escorte si je ratais mon jet de recherche ? Telles sont les délicates décisions à prendre au cours du jeu.

A chaque impulsion, et c’est l’une des originalités de WiF, chaque pays majeur doit décider s’il joue une impulsion terrestre, navale, aérienne ou combinée. Ce choix déterminera quels types d’unités ont le droit d’agir ou non au cours de l’impulsion : il n’est donc pas possible de tout faire en même temps, et le choix du type d’impulsion est déterminant.

A chaque fin de tour a lieu la phase de production. Pour produire, il faut des points de production : pour cela il faut ramener des ressources dans les usines, la capture de ressources et d’usines adverses est donc un objectif stratégique permanent. Chaque pays achète des troupes avec ses points de production, les coûts et délais étant variables. Ainsi, une milice coûtera 2 points et arrivera en un seul tour tandis qu’un blindé en coûtera 6 et arrivera en 4 tours, tandis que les navires comme les porte-avions ou cuirassés pourront eux mettre deux ans à être produits. Il est donc fondamental de planifier et d’anticiper.

Setup Pologne – Septembre 1939, l’Allemagne vient de déclarer la guerre à la Pologne ! Le joueur allié a placé les unités de ce pays mineur, la grande campagne peut commencer !
Attaque de la Pologne – Trois attaques (matérialisées par les flèches oranges) sont lancées en Pologne. L’aviation polonaise, surprise, est clouée au sol tandis que les avions allemands soutiennent les assauts.
Ground strike – Les polonais ont concentré leurs meilleures unités à Lodz. Profitant de la surprise, un Stuka désorganise à la phase de “ground strike” les polonais. Pour désorganiser un pion, il faut obtenir avec un dé à 10 faces un score inférieur ou égal à la valeur de bombardement de l’avion. La surprise permettant de relancer deux dés par pions permet ainsi de réussir pleinement le bombardement. ces unités ne peuvent plus agir et pourront être attaquées avec des bonus à la phase de combat terrestre.
Assaut Varsovie – Les combats sont résolus l’un après l’autre, la fenêtre récapitulative mentionne toutes les informations à savoir : pions présents, ratio, modificateurs au dé, type de combat, résultats…
Chine – Le front chinois au début de la grande campagne : un vaste espace et bien peu de pions pour l’occuper ! Notons la présence de villes et de routes supplémentaires.

Alors, cette adaptation ?

L’ouverture de la boite fait envie : pas moins de trois manuels à couverture rigides, en couleur, totalisant pas moins de 744 pages au format A5 ! Il s’agit certainement des plus beaux et des plus complets manuels de jeu que l’on ait produit pour ce type de jeu (voir cette série de photos). Ils comprennent les règles de WiF réécrites pour les besoins du jeu, règles qui sont très didactiques et progressives et ont été pensées pour permettre aux novices complets d’apprendre WiF, et de permettre aux vétérans de retrouver rapidement les quelques modifications de règles et à maîtriser rapidement l’interface.

La bonne impression se confirme à l’installation : pas moins de 12 chapitres de didacticiel en vidéo, parlés dans un anglais compréhensible : plusieurs heures de vidéo qui permettront aux plus impatients de partiellement s’affranchir du manuel. Les manuels sont également présents au format PDF, et l’interface du jeu permet d’ouvrir à tout moment les manuels et diverses rubriques d’aide : on ne peut que saluer le travail absolument considérable effectué par le développeur pour rendre le jeu accessible, tant au travers de la documentation que des outils d’aide mis à disposition, c’est un point très positif à souligner. Ajoutons à cela que pour la plupart des pion, un descriptif historique a été rédigé : un gros travail de documentation à saluer.

Premier lancement du jeu, et là encore, une bonne surprise avec le bouton permettant de vérifier et de mettre à jour automatiquement le jeu avec le dernier patch. Arrive ensuite le moment où l’on doit démarrer une partie. Il n’y a pour l’instant que trois façons de jouer :

  1. en solitaire, où vous jouez les deux camps. Un passage indispensable pour apprendre à maîtriser la mécanique et l’interface du jeu. Faute d’intelligence artificielle, il n’est pas possible d’affronter l’ordinateur. Cela sera l’objet d’un futur développement, dont on peut douter qu’il se fasse avant un an au bas mot.
  2. en mode hot seat, contre un adversaire humain.
  3. à deux joueurs par le biais de Netplay, qui est une sorte de salon privé fonctionnant comme un forum de petites annonces :  les joueurs indiquent le scénario auquel ils veulent jouer, le camp, les règles optionnelles souhaitées, les jours de disponibilités, le nombre d’heures de jeu par session… Il est possible de trouver ainsi des adversaires, les parties sont alors lancées par le biais du serveur Netplay. Pour l’instant, il n’est possible de jouer qu’à deux joueurs, mais il est prévu de permettre de jouer jusqu’à six à l’avenir.

En raison des nombreuses interactions ayant lieu entre les joueurs au cours des combats aériens et navals, le mode PBEM n’est pas encore disponible, il fait partie des tâches de développement prioritaires et fera l’objet d’un patch ultérieur.

Arrive donc l’écran où l’on choisit son scénario. Je ne saurais trop recommander de commencer par Barbarossa, qui n’utilise qu’une fraction de la carte et des règles, et permettra un apprentissage en douceur. On notera avec regrets l’absence pour raisons techniques des deux scénarios Fascist Tide et Day of Infamy se déroulant uniquement en Europe ou dans le Pacifique : hors la guerre mondiale, point de salut !

Une fois le scénario sélectionné, on doit choisir parmi les dizaines d’options de WiF qui influenceront directement le cours de la partie, les équilibres, le nombre de pions et bien d’autres détails. On appréciera que trois sets soient d’ores et déjà définis : novice, standard et avancé. On pourra sélectionner celui de notre choix et ajouter ou retirer les options avec une grande liberté. Pour les habitués du jeu de plateau, on notera que pour l’instant, certaines options sont grisées car pas encore implémentées dans le jeu. Citons en vrac les kamikazes, CBV, guards banners, offensive chit naval, paix russo japonaise, Intelligence ou encore Convoys in Flames. Cependant, la grande majorité des options est bien disponible.

 

Embarquement – Pour l’emporter en Chine, il va falloir charger les transports de troupes. en faisant un clic droit sur un transport et en sélectionnant “load”, on va ouvrir ce formulaire pour y choisir le pion à transporter.

Des fenêtres, encore des fenêtres, toujours des fenêtres !

Arrive alors le grand moment, celui où l’on lance le scénario. Et là, c’est un léger choc. D’une part, on n’a pas un seul écran de jeu où tout serait intégré, mais une multitude de fenêtres et de formulaire type Windows qui encombrent l’écran. Et là très vite, on se rend compte que pour avoir un réel confort de jeu, il faut un très grand écran pour avoir un minimum de visibilité de la carte sans passer son temps à jongler entre les fenêtres, et même, on pourrait dire qu’un second écran ne serait pas du luxe !

Mais ce n’est pas le seul souci : l’interface, bien que très documentée, n’est pas instinctive, et surtout pas moderne ! On jongle entre Shift-clic, Alt-clic, Ctrl-clic et les formulaires pour effectuer des actions basiques, un temps considérable est ainsi perdu en manipulations. L’interface est mal pensée et d’un autre âge, tout comme l’aspect graphique général du jeu, dont les graphismes manquent cruellement de finesse.

Est-il normal qu’un jeu sorti en 2013 propose des graphismes et une interface moins performante qu’un logiciel gratuit comme VASSAL ? Un simple exemple : pour visualiser les pions constituant une pile, sous VASSAL il suffit de passer la souris dessus pour les voir en surimpression écran quand sous WiF PC il faudra ouvrir une fenêtre pour obtenir le même résultat. De même, là où pour sélectionner les unités d’une pile un double-clic suffit sous VASSAL, il faudra faire défiler les unités une par une sous WiF PC (pénible quand on a des flottes formant d’énormes piles…) pour les sélectionner.

Passons outre l’interface, et concentrons nous sur le jeu pour constater certaines différences ou améliorations par rapport au jeu de plateau (et à son adaptation VASSAL). D’une part, il n’y a plus qu’une seule carte mondiale, absolument gigantesque. Les habitués de WiF constateront que le changement d’échelle en Asie-Pacifique entraîne une modification assez radicale de ce front, avec l’apparition de nombreuses îles supplémentaires, et d’un front chinois évidemment bien différent. L’apparition (optionnelle) de nouvelles villes en Chine améliore le ravitaillement chinois tout en faisant progresser les USA vers la guerre si le japonais décide d’être agressif sur ce front. D’un autre coté, en tant que défenseurs, les chinois ont bien plus d’hexagones de front à couvrir qu’avant.

Difficile de dire pour l’instant à quel point ces changements peuvent affecter ou non l’équilibre et le plaisir de jeu. En revanche, on regrettera, compte tenu des éléments d’interface évoqués plus haut, que l’immensité de la carte fasse qu’il devienne difficile d’avoir une vision d’ensemble de la situation dans le Pacifique, le niveau de zoom minimal étant quasiment illisible sur un moniteur 21 pouces comme le mien.

On notera également d’autres différences : les pions génériques sont illimités et sont générés aléatoirement (jetons d’entrée US, partisans), chaque pays a désormais un certain pourcentage de chances d’être affecté par des partisans (plutôt que de faire un jet de dé dans un tableau), les mouvements par rail ne se font logiquement plus en fonction du nombre de cartes traversées mais en fonction du nombre d’hexagones (un mouvement = 60 hex maxi, 2 mouvements = 61 à 120 hexagones, etc.) ce qui semble une évolution positive et une utilisation intelligente du support informatique. On appréciera enfin et surtout le fait que l’ordinateur prenne en charge tous les calculs (plus besoin de compter les points de construction ou encore d’additionner les caractéristiques de 15 navires pour compter leur DCA).

Néanmoins, si les règles sont dans l’ensemble bien respectées, des bugs subsistent, j’ai ainsi eu plusieurs messages d’erreurs, mais néanmoins rien de bloquant et pas de crash. On notera avec plaisir un outil intégré de bug reporting qui aurait été parfait s’il avait fonctionné les deux fois où j’ai tenté de l’utiliser…

 

WiF Vassal – Une vision du front russe en 1943 sous le module VASSAL. Notons la différence graphique. en passant le curseur de la souris sur Von Bock, on voit clairement la composition de sa pile, et d’un simple double clic on a pu séparer les différentes unités la constituant, avec une simplicité autrement plus grande que dans WiF PC.

Conclusion

World in Flames PC est un produit clairement inachevé, l’absence d’IA comme de PBEM limitent fortement les modes de jeu. Si l’on peut certainement faire confiance au programmeur qui a porté ce projet à bout de bras pendant huit ans pour progressivement implémenter ces aspects et résoudre les divers petits problèmes du jeu, on peut cependant douter que l’interface et l’aspect général du jeu soient modifiés à l’avenir. Pour le prix (111,99 € frais de port compris pour la France) on pouvait espérer mieux, surtout quand on a la possibilité de jouer gratuitement à WiF sur VASSAL, qui lui ne corrige effectivement pas les erreurs de règles commises par les joueurs, mais qui est autrement plus beau et maniable que WiF PC, et peut être joué en PBEM et en direct jusqu’à six.

  • Une adaptation globalement fidèle de ce qui reste l’un des meilleurs wargames existants.
  • Règles très bien respectées, calculs faits automatiquement et permettant de jouer plus facilement certaines options comme le pétrole.
  • Les manuels, tutoriels et aides de jeu sont des modèles du genre. Remarquables.
  • Le Pacifique à l’échelle Europe, une expérience à vivre pour les vétérans de WiF.
  • L’interface est d’un autre âge. Deux écrans conseillés.
  • Pas d’IA ni de jeu par e-mail (les deux sont prévus à l’avenir).
  • Un prix élevé.
  • Tous les scénarios et règles ne sont pas encore implémentés.
  • Des graphismes flous, qui manquent de finesse.
Infos pratiques

Date de sortie : 7 novembre 2013

Éditeur / Studio : Matrix – Slitherine / Australian Design Group

Site officiel :  Fiche chez Matrix Games

Prix : 76,99 € (en téléchargement).

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Autre lien utile : Discussion sur Strategikon du développement d’un module VASSAL en français proposant des options avancées comme divers calculs automatisés, et aux pions superbes.

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