Durant plus d’un siècle le monde d’Aer fut un havre de paix, de joie et de prospérité. Ainsi s’ouvrait la présentation de Fantasy General en cette année 1996. Après maints succès remportés par ses jeux de la série des Five Stars, SSi délaissait enfin le wargame militaire orienté WW2 et nous offrait ce qui allait devenir l’un des fleurons de la stratégie d’Heroic Fantasy. Dont voici un aperçu de la prochaine incarnation.
Cette escapade vers un univers plus fantaisiste et coloré, prémices du futur et tout aussi réussi, bien que moins connu et vendeur Warhammer 40 000 – Rites of War, se voit aujourd’hui reconduite pour ce qui pourrait sonner à la fois comme une renaissance de la franchise, ainsi que celle d’un genre actuellement tombé en désamour chez les éditeurs, le jeu de stratégie médiéval-fantastique en tours alternés.
Pour présenter Fantasy General à celles et ceux n’ayant pas eu la chance de le découvrir lors de sa sortie en 1996, quelques mots s’imposent. Strategic Simulation, le développeur, fort de son expérience acquise et du succès remporté avec ses précédents titres dans une série depuis connue sous l’appellation Five Stars s’attelait à varier l’univers jusqu’ici mis à contribution, la Seconde Guerre mondiale. Fantasy General constituait ainsi une déclinaison assez libre du moteur de la série offrant un gameplay en tours alternés, sur des cartes 2D. Le joueur constituait une armée d’unités persistantes au fil d’une campagne à embranchements, non dynamique.
Ces unités commandées par un chef librement choisi parmi des archétypes de l’Heroic Fantasy : mage, guerrier, un chevalier ou une sorcière, pouvaient gagner de l’expérience et s’améliorer. On restait ainsi en terrain connu des joueurs de Panzer et Allied General. Fantasy oblige, des artefacts magiques venaient pimenter le gameplay. Le tout rythmé d’une partition un brin grandiloquente, aux accents ouvertement lyriques ; superbe !
Après cette brève introduction sous forme de résumé historique, nous allons tenter de faire un premier bilan rapide, aperçu succinct de l’état du jeu à quelques mois de sa sortie. Tout d’abord et en guise de second préambule, gardez bien à l’esprit qu’il ne s’agit pas ici de tester exhaustivement les possibilités offertes par ce titre encore en phase de développement. La version utilisée commençant par le chiffre 0 -comme le montrent les captures d’écran utilisées- s’avère trompeuse pour le testeur. Si l’essentiel semble fonctionnel, comme j’ai pu le constater avec plaisir -à l’exception notable du mode multi-joueurs, fort logiquement- il m’est clairement apparu que le jeu n’est encore ni complet ni finalisé. Il s’agit bien d’une esquisse, certes fort bien proportionnée, presque aboutie mais toutefois incomplète. Du reste, Slitherine, son éditeur, ne cache pas sa volonté de densifier l’unique campagne actuellement disponible en Bêta test.
Bien qu’attaché à préserver autant que faire se peut mon esprit critique intact, force m’est de reconnaître que j’ai été, presque dès sa parution en 1996, un fan absolu du jeu originel. C’est avec un enthousiasme non dissimulé, cependant teinté d’une certaine appréhension, que j’ai installé et commencé à décortiquer ce deuxième opus, judicieusement sous-titré Invasion. Retrouver un amour de jeunesse vingt-trois ans après ne s’envisage pas sans quelques battements de coeur. La crainte de le voir teinté par le temps et terni par ce que la vie aura pu marquer sur ses traits. Pour laisser de côté les analogies douteuses, disons plutôt que Owned by Gravity, la nouvelle équipe de développement m’étant inconnue, difficile de ne pas envisager le pire comme une possibilité non nulle.
De Fantasy General premier du nom, l’un des aspects les plus mémorables n’avait pas trait aux graphismes ou au gameplay mais de façon plus surprenante -bien moins à l’époque que cela ne le serait maintenant- à sa bande sonore. Compositions originales de Rick Rhodes et Danny Pelfrey faisant appel à une chanteuse d’opéra, Marisa Lenhardt et s’appuyant sur des thèmes entonnés par des chœurs dignes d’une superproduction cinématographique ; elle comprenait également deux pièces assez sombres de J.S. Bach. Un parti pris tout aussi surprenant, qu’un pari entièrement réussi ; le résultat se fondait idéalement avec le thème épique du jeu, la reconquête d’un monde fantastique aux accents médiévaux peuplé de créatures mythiques et de lanceurs de sorts flamboyants.
D’emblée, ce Fantasy General 2 adéquatement sous-titré Invasion reprend cette caractéristique originale, en lui donnant un petit coup de neuf. Certains thèmes sont issus du jeu d’origine, remixés ou peut-être même réenregistrés, auxquels viennent se mêler de nouveaux arrangements créés pour l’occasion. Le résultat apparaît convainquant ; on se sent de suite comme plongé dans cette ambiance si particulière qui faisait en partie le charme du jeu de SSI. Sur ce premier aspect, la suite de Slitherine marque un point facile à remporter mais néanmoins important. On se dit qu’ils ont su saisir ce qui faisait le charme de leur modèle, ce qui est rassurant pour la suite.
Second point marqué par ce nouveau studio : la patte visuelle. Dès la cinématique d’ouverture, on reprend le style graphique d’origine avec une animation montrant un grimoire aux lourdes ferrures s’ouvrant sur des dessins aux couleurs sépia, du meilleur style Heroic Fantasy. Fondu enchaîné sur d’autres images similaires subtilement colorées cette fois de tons pastels, habile clin d’œil transitionnel entre les visuels d’il y a vingt-trois ans et l’époque moderne. En point d’orgue, le titre s’affiche avant d’ouvrir la page d’interface principale. La transition s’opère habilement entre le modèle et cette Invasion aux airs de renaissance. Bien vu l’artiste !
Le premier constat que l’on peut faire de l’usage de cette préversion, outre le fait que visuellement et d’un point de vue sonore l’héritage semble préservé et enrichi, concerne le fait qu’elle présente une stabilité remarquable. Certainement le signe que la sortie n’est plus très éloignée. Après avoir passé une dizaine d’heures avec le clan de Farlir, aucun plantage ou bug gênant à déplorer ; un détail notable, par les temps qui courent. Pour dire les choses clairement, si le numéro de version ne trahissait pas l’état précoce de cette build, il serait tentant de penser que l’on joue avec une version finale, tant le gameplay et la réalisation générale s’avèrent stables, aboutis et plaisants.

Parlant d’évidences, outre cette réalisation léchée, l’aspect m’ayant à la fois le plus étonné et agréablement surpris tient au fait que passée la familiarité de la touche graphique et sonore, on s’attend à trouver un système de jeu évoquant peu ou prou son aïeul fameux. Hors, il n’en est rien ou presque rien ! En effet, si l’on retrouve quasiment à l’identique les bases scénaristiques du premier volet : le monde fictif d’Aer est en proie à une menace que seul un héros inflexible -vous, le joueur- sera à même d’éradiquer, la forme prise et le gameplay proposé diffèrent de manière suffisamment originale pour ne pas sentir la redite.
Si nous avons toujours bien affaire à un wargame structurellement classique, en tours alternés (vous déplacez vos unités avant que l’IA ne fasse de même), une multitude de détails plus ou moins significatifs subissent une relecture modernisée. Nous entrerons dans les détails à l’occasion d’un autre article plus complet mais sachez que désormais, par exemple, vos unités gagnent de l’expérience et seront susceptibles d’évoluer non plus seulement en acquérant des niveaux (+ x points de force et d’armure) mais plutôt selon un arbre permettant de leur faire suivre des voies différentes. Une unité d’infanterie pourra ainsi se spécialiser dans sa branche originelle classique, avec divers types d’unités lourdes disponibles ou bien s’adapter à une situation requérant par exemple l’ajout d’éléments plus mobiles, tels que des frondeurs ou lanceurs de javelots.
Sur un principe assez semblable, le héros menant ses hommes au combat disposera non seulement de la même possibilité d’utiliser des artefacts (un ou plusieurs selon un choix d’améliorations) apportant des bonus variés mais aussi d’évoluer selon un arbre de compétences diverses. Son archétype sera également modifiable (nous en parlerons un peu plus loin) et surtout, il pourra bénéficier de nouvelles capacités ou traits, tels qu’une fonction de ralliement fort utile pour remonter le moral des troupes (un élément du gameplay important et novateur) ou plus classiquement, un boost de ses points de vitalité.
Ces types de modifications sont nombreux mais ce qui s’avère le plus attrayant en termes de gameplay et qui, à vrai dire constitue l’évolution majeure, comparativement à Fantasy General premier du nom concerne l’aspect narratif et rôles. Si de prime abord le jeu pourra sembler inutilement verbeux à certains joueurs, ce sera pour évoluer doucement d’un mode purement didacticiel, vers un gameplay typiquement rôliste. Se retrouver, au détour d’une mission, face à une situation dont l’aspect initialement dépendant d’une approche purement tactique et qui, par l’intrusion d’une transition narrative, vous mets face à un dilemme morale dont l’issue décidera potentiellement du sort de vos unités, ainsi que du résultat de la mission, voilà qui n’est guère commun.
Comment ne pas s’enthousiasmer quand, depuis toujours wargamer et rôliste assidu, ainsi que je le suis, l’opportunité se présente de pratiquer un tel jeu ? Je dois l’avouer, depuis des années, la pratique des Five Stars et de leur gameplay trop connu avait fini par instiller une lassitude certaine. Malgré ma curiosité je n’avais guère d’attentes particulières quant à ce titre et ce, d’autant que son prédécesseur avait marqué son époque tout autant que mes souvenirs. Pourtant, à aucun moment durant cette preview je n’ai ressenti cette lassitude, tant le système créé sur les bases de l’ancien aura su renouveler le plaisir de jeu. Si je devais faire un compliment aux développeurs de Owned by Gravity, ce serait celui-ci.
En l’état, ce titre s’annonce comme une pépite ! Si une certaine réserve s’impose au regard de la précocité de cette version, force est de reconnaître qu’il faudrait beaucoup de mauvaises décisions, d’erreurs de jugement et de maladresse accumulées, pour en faire un canard boiteux. Tous les voyants sont au vert pour que d’ici peu, les amateurs de Baldur’s Gate, d’Original Sin, d’Order of Battle et de Gladius – Relics of War puissent chanter en chœur la résurrection de Fantasy General ; Amen !
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Pour plus d’informations sur Fantasy General II – Invasion, pour lequel une bêta privée est accessible par ici, et qui pourrait sortir d’ici à l’automne prochain, voyez cette page chez l’éditeur, et celle-ci sur Steam. Ou encore celle-là sur GoG. A lire également notre article Fantasy General II : entretien avec Jan Wagner.
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