Nous, les wargamers sur écrans, pourrions être les jouets de grosses machines commerciales, comme le sont nos amis amateurs de FPS. En lieu et place, nous entretenons une relation intense avec un éditeur qui a choisi de moderniser les jeux de guerre vidéos. Cela n’ajoute pas de monnaie dans nos poches, mais en retour nous avons accès à un nombre croissant de bons jeux, au caractère souvent innovant. À quels fils tient ce cheminement singulier qui amène Matrix-Slitherine à être aussi productifs sans renier les valeurs fondatrices de notre hobby ?
De toute évidence, le groupe Slitherine (Matrix-Slitherine-Ageod) a le vent en poupe. Voyez vous-mêmes les chiffres :
- Montée en flèche du chiffre d’affaires : 480 % en trois ans ;
- Solide production d’une trentaine de titres par an depuis 2011, doublée d’une forte hausse des portages vers les tablettes ;
- Percée inespérée des jeux sur tablettes et consoles : déjà 25 % des ventes totales, alors que le nombre de jeux proposés par l’éditeur sur ces plateformes reste dérisoire et qu’ils étaient inexistants il y a deux ans ;
- Partenariats personnalisés avec 112 firmes autonomes de développeurs, plutôt petites que grandes ;
- 1 million de visiteurs uniques par mois sur le site Web de Matrix, qui parcourent un total de 4,5 millions de pages, avec un taux élevé de concrétisation des ventes ; en d’autres termes, la masse de gens qui entrent dans la boutique ont tendance à trouver ce qu’ils cherchent.
Cette bonne santé se trouve à la croisée de deux phénomènes qui se nourrissent mutuellement : les propriétaires d’appareils mobiles s’intéressent de plus en plus aux jeux, et de plus en plus de bons jeux de stratégie d’accès facile débarquent sur toutes les plateformes.
D’où le succès exceptionnel des ventes sur tablettes, qui dépassent jusqu’à dix fois celles du même titre sur PC. Autre fait inattendu, les ventes d’un jeu donné ne nuit pas aux ventes des produits de même type, comme on aurait pu le penser, mais au contraire les stimulent ; l’arrivée de nouveaux clients via les tablettes s’avère ainsi doublement intéressante pour l’éditeur.
Mais ce ne sont pas tous les producteurs de jeux vidéos de niche qui connaissent une croissance phénoménale. Quel est donc le secret de Matrix-Slitherine ?
La rentabilité pour tous
Première certitude : si Matrix-Slitherine font de l’argent, c’est qu’ils prennent les moyens pour en faire. La recette qu’ils pratiquent pourrait inspirer les gens d’affaires de bien d’autres domaines :
- Ne pas oublier son cœur de métier, qui est double en l’occurrence : Matrix se concentre sur les jeux historiques, tandis que Slitherine se préoccupe du easy-to-play.
- Soutenir les développeurs de jeux — c’est-à-dire les fournisseurs de la matière première — en leur offrant un appui technique, des fonds de démarrage et un tas d’autres services regroupés sous le nouveau label Lordz Media Limited. Le contrat type qui scelle les partenariats avec les développeurs est unique dans l’industrie du jeu vidéo (voir plus loin).
- Mettre la qualité au devant de la scène : il faut que les jeux soient intéressants, beaux et ergonomiques. Pas parce qu’on est partisan de la beauté des choses, mais parce que le client l’exige désormais.
- Attirer et retenir les joueurs par tous les moyens possibles : on élargit la gamme, on privilégie les jeux accessibles, on s’installe en pionniers dans le marché des tablettes, on multiplie les présences sur la place publique (Twitter, Facebook, Google+, YouTube, forums, blogues, etc.). Bientôt, la boutique en ligne de Matrix parlera quatre nouvelles langues, soit l’espagnol, l’italien, le français et, un peu plus tard, l’allemand. Personnellement, j’apprécierais que les jeux eux-mêmes et leurs manuels soient multilingues, mais ces gâteries ne sont pas au menu du jour de l’éditeur.
- Rendre des services dont les joueurs ne peuvent se passer. Nous connaissons bien le système de prise en charge des échanges multijoueurs (PBEM++), devenu une référence en la matière. De nouvelles fonctions de fidélisation devraient s’ajouter dans un proche avenir.
- Exploiter les filons porteurs. On a déjà parlé des tablettes, on pourrait ajouter les titres à succès que sont Panzer Corps, Battle Academy ou Field of Glory. La version de base de ces jeux est régulièrement enrichie de contenus additionnels dont la valeur cumulée a vite fait de dépasser celle du jeu originel.
Les jeux à venir sur iOS et Android au cours des prochains mois :
• Chariots of War sur iOS
• Field of Glory et ses 10 extensions sur iOS et Android
• 2 extensions pour Battle Academy sur iOS
• Battle Academy 2 sur iOS
• Panzer Corps et ses 12 extensions sur iOS
• Commander the Great War sur iOS
• Gary Grisby’s World at War – A World Divided sur iOS
• Warhammer 40,000: Armageddon sur iOS
• Buzz Aldrin’s Space Program Manager sur iOS et Android
• Close Combat sur iOS et Android
• et 5 autres titres non dévoilés à venir en 2014
De nombreux studios rejoignent régulièrement les rangs de Matrix et Slitherine. Il y a quelques jours c’était au tour de Hubert Cater et Fury Software (Strategic Command) de franchir le pas, comme annoncé ici (voyez aussi ce récapitulatif du futur Strategic Command 3). Et ne l’oublions pas, il y a quelques mois, fin 2012, ce fut le cas d’Ageod. Voyez d’ailleurs à ce sujet notre interview : Ageod-Slitherine, une alliance de bon augure. Ageod qui vient aussi aujourd’hui même d’ouvrir un nouveau site, en anglais et en français : www.ageod.co.uk.
La passion de la chose militaire
Il faut voir la flamme éclairer le regard d’Erik Rutins, responsable du développement chez Matrix. De toute évidence, cet homme affable, fortement engagé dans ses dossiers, a encore la passion des jeux de guerre. Comme la plupart de ses collègues au sein du groupe, il conserve l’approche et la culture d’un développeur.
La clé du succès du groupe Slitherine est justement ici, dans les liens qu’il établit avec les artisans des jeux. Laissons de côté les valeurs et autres bonnes intentions et regardons les aspects structurels :
– Depuis leurs débuts, Matrix et Slitherine ont opté pour une infrastructure légère qui leur procure un maximum de souplesse dans les choix de développement. Une partie des 25 employés du groupe — un effectif étonnamment faible — sont répartis dans trois studios de développement internes, à Seattle dans l’État de Washington, à Edmonton capitale de l’Alberta et à Epsom dans le Surrey. Sachant qu’il y a des équipes en Italie, en Espagne et au Canada, il reste peu de monde pour garder le fort dans les bureaux principaux de Grande-Bretagne (Slitherine) et des États-Unis (Matrix). La conséquence directe est que le groupe a besoin des apports extérieurs pour parvenir à ses fins.
– Le groupe Slitherine ne cherche pas simplement à éditer de bons jeux, auquel cas il y a longtemps qu’il aurait croulé sous la charge. Il cherche à éditer les jeux qui renforceront et élargiront la base de sa clientèle, avec en tête une idée précise de ce que désirent les joueurs. C’est pourquoi il met tant d’efforts à guider et à soutenir le travail des concepteurs, et ce, le plus tôt possible dans le processus de création.
Vous pouvez consulter l’intégralité du discours tenu par Iain McNeil lors du salon Historicon 2013 en téléchargeant le fichier au format PDF en suivant ce lien.
– Tout cela ne mènerait à rien sans un partage équitable des recettes, au moins dans ses principes. Je ne suis pas économiste, mais offrir un partage moitié-moitié des revenus de vente me paraît une rémunération honnête du travail de développement. Et il y a mieux : si des fonds sont versés à titre d’avance, ils ne sont récupérés que progressivement par l’éditeur, de façon à ne pas laisser les développeurs à cours de revenus.
Illustrons ces chiffres : imaginons que l’éditeur verse une avance de 100 000 $ au développeur. Ce dernier dépense cette somme pour fabriquer le produit. Lorsque les ventes s’amorcent, l’éditeur a droit à la moitié des recettes (50 %) et devrait en principe verser l’autre moitié au développeur, sauf qu’il lui faut récupérer son avance ; il garde alors pour lui la moitié de la part du développeur, ce qui lui fait 75 % des recettes au total, tandis que le développeur encaisse le solde de 25 % jusqu’à ce que l’avance soit entièrement remboursée. À partir de là, le partage éditeur-développeur revient à l’équilibre 50-50.
Il n’existe rien d’équivalent chez les concurrents. Un des modèles les plus répandus est basé sur un partage 85-15 des recettes, et l’éditeur qui a consenti une avance commence par se rembourser en totalité — ce qui peut être long — avant de reverser un premier centime au développeur. Si vous vous demandiez pourquoi Matrix-Slitherine attire autant de talentueux partenaires en programmation et en design de jeux, vous avez là une grande partie de la réponse.
L’écheveau tissé par le groupe Slitherine
Depuis la fusion de Matrix et de Slitherine en 2010, le groupe n’a cessé de multiplier les partenariats les plus divers, à commencer par l’intégration d’Ageod à la fin de 2012. L’usage de marques et l’établissement de liens avec d’autres partenaires de prestige ponctuent le cheminement du groupe : HISTORY, MILITARY HISTORY, Games Workshop, Horrible Histories, Showtime, BBC, Osprey, Scholastic et jusqu’aux Buzz Aldrin Enterprises, pour la préparation du Space Program Manager.
Une collaboration plus originale avec Lordz Games Studio a mené très récemment à la création de Lordz Media Limited, une entité de soutien aux développeurs associés au groupe Slitherine. Celle-ci facilitera l’accès à une large gamme de services, dispensés par les professionnels habitués de la maison : illustrateurs, musiciens, comédiens et doubleurs de même que réalisation vidéo, design d’interface, portage multiplateformes et bien d’autres.
And here today we are announcing yet a further new initiative that we hope will take your games to the next level.
We have formed a new Joint Partnership company with the Lordz Games Studio, called LORDZ MEDIA LIMITED. This company’s sole purpose is to support our independent development partners, by providing immediate and easy access for all in game assets and services. What in effect this means is that large or small all of our Developers will have instant access to our pool of professionals, artists, musicians, voiceovers, videos, platform porters, UI artists and all of the creative assets that you consider will help you bring your games to the next level.
The decision to utilize these resources or not, will remain entirely your decision and in many instances we will provide the initial funding to help make this possible, as we believe that a simple fact of life these days, is that gamers now want better visuals, easier UI etc to go with your great strategy games and this new service will make it so much easier to achieve this.
Iain McNeil – Historicon 2013.
La part des joueurs
Qu’ils le veuillent ou non, les joueurs sont appelés à contribuer à la diversification des produits et à l’essor de l’industrie, notamment au travers de l’achat de contenus d’appoint aux jeux, vendus en chapelets. Il revient à chacun d’établir la ligne qu’il ne désire pas franchir, et les différents forums montrent à quel point les joueurs sont sensibles à la dimension pécuniaire de leur hobby.
Le plus important, c’est que le dialogue reste ouvert entre les spécialistes du marketing et les joueurs, les premiers ayant l’habitude de surveiller les comportements d’acheteurs des seconds. Certains signes montrent que les mécanismes de mise en marché des jeux — plus précisément la segmentation des contenus et la fixation des prix — ne sont pas figés au sein du groupe Slitherine et qu’il y a de la place pour la réflexion et l’exploration, comme l’indique cette discussion ouverte sur le calendrier de parution de Command Ops 2. L’avenir n’est donc pas joué et c’est tant mieux, car il reste un mariage à négocier entre les cahiers des charges exigeants, le souci de la rentabilité et la satisfaction financière des consommateurs de wargames.
Très bel article qui nous permet d’envisager un avenir serein pour les joueurs passionnés que nous sommes ! J’espère que Matrix-Slitherine conservera cette ligne malgré un succès croissant (et mérité) !
Le gros coup de com!
Même si il y a quelque jeux intéressants, il y a souvent rien d’innovant, et en plus le gros pixel coût chère!
Michel O.
Pourquoi vous ne répondez pas en direct? au lieu de m’envoyer un mail….
Désoler, mais votre article a un parti pris, ce qui fait penser a un coup de pub c’est tout.
À Reed : Tout simplement parce que mon intention n’était pas de vous répondre, mais de transmettre ma réaction à Bertrand, responsable de ce site. Simple mauvaise manipulation de courriel de ma part.
Alors voici ma réaction : Vous avez raison (à divers degrés) sur toutes vos affirmations :
– “Un gros coup de pub” : Vrai en bonne partie. Je n’avais pas l’intention dans cet article de fournir une vision critique et distanciée sur les pratiques d’affaires de Matrix-Slitherine. Il s’agit plutôt d’un compte rendu d’informations de type “business” livrées durant Historicon 2013, doublé d’un coup de chapeau pour les différentes choses qui me paraissent très intéressantes et stimulantes dans leurs pratiques, notamment le fait que l’éditeur continuera de produire des jeux de niche à faible potentiel de rentabilité (parce que cela fait partie de sa culture et qu’il en a les moyens financiers), qu’il se trouve à soutenir financièrement une grande partie des développeurs de ce type de jeux (ce qui revient à soutenir l’industrie toute entière) et que grâce à cela, moi, wargamer vidéo, je serai alimenté par de nouveaux jeux costauds dans l’avenir. Soyez sûr que le jour où j’adopterai un regard critique, il sera aussi vigoureux et enthousiaste que le ton du présent article, car c’est ma façon d’écrire et je n’y peux rien. :-)
– “il y a souvent rien d’innovant” : Très vrai. Je déplore le manque d’innovation et d’audace des jeux vidéos de guerre en comparaison de l’inventivité qu’on constate dans les jeux de plateau. Cela dit, la fournée de jeux proposés par l’éditeur cette année est plus diverse que par le passé et on peut espérer que cette diversité s’élargisse dans l’avenir et touche aussi les jeux de guerre historiques.
– “en plus le gros pixel coût cher” : Vrai. J’ai été tenté d’inclure dans cet article une analyse de la problématique du prix des jeux, mais j’ai vite constaté que c’était pas du tout simple à aborder par ce que : 1. J’ai ma vision personnelle sur le sujet et je sais qu’elle diverge de celle beaucoup d’autres joueurs qui s’expriment, comme moi, sur différents forums. 2. Ça demande une fichue recherche, notamment une comparaison prix / contenu précise de plusieurs séries de jeux chez Matrix-Slitherine et chez Battlefront, pour ne citer que les gros éditeurs. J’y aurais mis plusieurs jours à temps plein, ce sera donc pour une autre fois.
La problématique du prix est un faux problème ! Chacun est libre d’acheter le jeu ou non et de le faire au moment où il le juge opportun. En clair, vous êtes un passionné et vous savez que vous passerez du temps sur un jeu, alors, même 80 euros peut se justifier (Command Ops, WITE, etc ). Cela vous semble trop cher … attendez une promo ! Sérieusement, quand on voit le temps qu’on passe sur certains jeux, je trouve que le rapport qualité/prix est souvent intéressant …. bien d’autre choses dans la vie coûte plus cher et sont bien moins utiles ;-)
Je suis content que Matrix/Slitherine/Ageod existent. Qu’ils fassent du bénéfice, sur des produits de niche, ne me pose pas de problème. Ce n’est pas non plus une oeuvre philanthropique !
Si cela est un faux problème donc c’est aussi une fausse discussion.
Que Matrix/Slitherine/Ageod fasse des bénéfices, ben heureusement!
Sauf qu’ Ageod a proposé des produits plus innovants avec un contenu qui tiens la route.
Matrix/Slitherine a un ton qui me dérange de plus en plus quand ils annoncent des ups ou sortie de leurs jeux, genre “close Combat” Méga upgrade! on lit le contenu c’est que du vent!
Ils s’adressent a une minorité de wargameur avec des vieux contenus avec un ton qui ne me plait pas,voila ce que je leur reproche.
Même si par exemple “Lock’n Load: Heroes of Stalingrad” est vraiment intéressant (perso je l’attendais ce jeux) le fait que l ‘AI est scripté après plus années de développement ça la fou mal.
Et pour les gros pixels on est 2013, qui ce bouge les fesses!