Après avoir brillé dès son coup d’essai avec Endless Space en 2012, le studio français Amplitude monte désormais la barre un cran plus haut avec son nouveau joyau : Endless Legend. On reste dans le domaine très porteur du 4X mais cette fois-ci les développeurs cèdent aux sirènes de l’Accès Anticipé en proposant depuis plusieurs semaines une version alpha sur Steam. Plus de vaisseaux spatiaux ni de lointaines galaxies à l’horizon mais de la magie et de la fantaisie dans un monde… de légende.

Pour bien saisir le contexte, il faut souligner en préambule que le contenu actuellement proposé est bien sûr limité. Pas de didacticiel ni de multijoueur et donc un seul mode de jeu solo de type bac à sable dans lequel vous dirigez une faction parmi quatre disponibles (on nous en promet huit dans la version finale). Notez qu’Endless Legend fait le pari de ne s’appuyer sur aucun univers fantastique connu. La narration, les races, les héros ainsi que l’ensemble des éléments du jeu sont donc au début totalement étrangers au joueur. L’avantage c’est évidemment la grande liberté créative dont bénéficient les développeurs mais la difficulté réside dans la capacité à créer un lien fort entre ce nouveau monde et le joueur, ayant lui très peu de repères au départ. Le travail sur l’immersion et la compréhension d’un contexte inconnu est un vrai défi, à plus forte raison dans un 4X qui est, de mon point de vue, avant tout passionnant de par ses mécanismes de gameplay.

Bref, au moment de choisir ma faction, je suis à la fois excité et un peu dans le flou. Mon attention se porte donc avant tout sur les spécificités des races et les bonus/malus implicites. N’ayant pas d’affection particulière pour les Wild Walkers, des elfes sauvages au style de vie hippie vivants reclus pour néanmoins tenter de prospérer, je finis par sélectionner les Broken Lords (cf. illustration en en-tête) avec leur style un peu steam punk étrange mais sympathique (les Vaulters et les Nécrophages n’ayant même pas attiré mon attention). Premier constat : mon choix fut plus esthétique que rationnel. En effet les différences entre les races ne sautent pas vraiment aux yeux et on a l’impression qu’il s’agit surtout de nuances à la marge n’affectant pas le cœur du gameplay.

Me voici donc parachuté sur la carte stratégique avec mon héros prêt à fonder une première colonie. Le moins qu’on puisse dire c’est que cette carte est superbe, et ce quel que soit le niveau de zoom utilisé. En fonction du niveau de zoom on alterne entre un crayonné offrant une jolie vue d’ensemble sur le monde et les points clés découverts, et une vue plus classique et plus détaillée affichant des éléments en 3D. Artistiquement c’est clairement une réussite et l’interface s’insère parfaitement dans ce tableau. On sent d’ailleurs que le rendu visuel est au centre des efforts d’Amplitude studios quitte à rendre certaines informations peu claires.

Par exemple l’arbre technologique du jeu est représentée par 5 roues correspondant aux 5 ères de développement. Au sein de ces roues les technologies sont réparties par catégories (militaire, civile…) mais en revanche il n’y a aucune logique au niveau de la position par rapport au centre du cercle. Intuitivement je pensais qu’une technologie à l’extérieur du cercle était plus avancée et nécessitait un coût supplémentaire et/ou des recherches préalables pour être sélectionnées mais ce n’est pas le cas. On apprend également à force de jouer que le coût de recherche global augmente à chaque fois qu’on termine une recherche. Ce qui signifie que rechercher une technologie de l’ère I vers la fin du jeu vous coûtera en fait très cher même si le résultat est par définition un peu dépassé. On sent que l’effort consacré à une superbe esthétique nuit un peu à la compréhension des règles et possibilités offertes par le jeu. Passons, il ne s’agit que de détails et malgré tout Endless Legend reste assez intuitif.

L’une des grandes caractéristiques de mon peuple c’est qu’il est totalement vénal. En effet chez les Broken Lords on aime l’argent et on ne s’en cache pas. Du coup tout le développement passe par des dépenses en argent (que le jeu n’appelle pas argent mais “Dust”, sans doute pour donner un peu d’épaisseur et d’originalité à l’univers) et ce en particulier pour augmenter la population. Par conséquent l’agriculture ne présente aucun intérêt pour mon peuple (cette ressource est dédiée à la croissance de population normalement) et je peux me concentrer uniquement sur mes finances. Evidemment au départ on manque d’argent comme de ressources industrielles – permettant de créer des bâtiments dans votre ville – et technologique – permettant d’avancer dans l’arbre scientifique. De fait les premiers tours sont donc rapides et on n’a que quelques clics à effectuer avant de passer au tour suivant. On se contente d’explorer les régions environnantes et d’allouer nos travailleurs aux secteurs qu’on souhaite développer en priorité.

En effet bien qu’on obtienne des ressources automatiquement à chaque tour en fonction des hexagones sur lesquels on a bâti sa ville (la position de départ est capitale !), on peut en décupler le rendement en concentrant sur sa population sur une ou plusieurs ressources particulières. Bien sûr l’industrie et la technologie sont décisives dans mon cas puisqu’elles aident à se développer plus vite mais l’argent et les points d’empire ne doivent pas être négligés, à plus forte raison pour mes Broken Lords qui ont besoin de monnaie pour se reproduire ! Dans ma partie l’argent n’est pas que le nerf de la guerre, c’est également le berceau de ma civilisation. Toutefois ces décisions se prennent vite et c’est pourquoi on enchaîne rapidement les tours pour commencer à générer des unités militaires et bien évidemment des colons.

Car c’est le genre qui veut ça, dans un 4X on doit coloniser. Grâce à mon héros qui a patrouillé dans les environs j’ai repéré une région frontalière qui m’a l’air accueillante. Il y a bien évidemment une civilisation mineure qui possède un village à proximité et je dois m’employer pour éviter qu’elle ne devienne nuisible. Ce qui passe au choix par un génocide ou une alliance en résolvant une quête. Comme la guerre c’est sale, je privilégie évidemment la solution diplomatique et me voilà en train de régler des querelles de voisinage pour m’attirer les faveurs de mes nouveaux amis. Rien de bien compliqué au demeurant mais cela se conclut par la mise à sac et l’incendie d’un autre village un peu plus loin sur la carte. Comme quoi, on a beau vouloir être sympathique, on finit toujours par être contraint d’employer la force.

Mais le résultat est là : je fonde une nouvelle ville ce qui me permet de contrôler une seconde région et je suis en paix avec une faction mineure. En obtenant des points d’empire je pourrai même rallier cette dernière à mon autorité, m’octroyant ainsi des bonus et de nouvelles unités à produire. Qui dit nouvelle région dit également nouveau matériau rare ou ressource de luxe permettant de développer des armes avancées et d’obtenir des avantages en tous genres. Si en un sens le gameplay peut paraître profond parce qu’on nous offre beaucoup de possibilités (et notamment d’avoir une politique d’empire tous les 20 ou 30 tours), on s’aperçoit rapidement que l’emballage brille un peu trop par rapport au fond.

En effet au premier coup d’œil on est impressionné par la variété offerte : ressources rares, technologies, bâtiments, politique d’empire, etc. Mais finalement tout cela ne fait qu’influencer de près ou de loin les quelques variables du jeu pour vous permettre de produire plus et de vous développer plus vite. Produire une ressource de luxe et utiliser cette dernière pour améliorer le niveau de satisfaction de votre population ne fera que renforcer sa productivité. Conserver vos points d’empire pour pouvoir les dépenser lorsque vous devez choisir un nouveau plan (qui n’est pas quinquennal) revient à choisir entre plus de rendement technologique, de réduction des dépenses pour chaque unité et bâtiment, et autres variables de base. En un sens Endless Legend est fondamentalement classique et ne fait que présenter de manière originale des nouvelles fonctionnalités qui n’en sont pas tout à fait !

Surtout on sent que certaines idées ne sont pas menées jusqu’au bout. Par exemple le jeu intègre une dimension JdR avec des héros qui gagnent de l’expérience et débloquent des compétences et des armes ou objets qu’on peut forger à partir de technologies ou grâce à des récompenses de quêtes. Une bonne manière de personnaliser vos armées en leur fournissant un équipement particulier. Sauf que vos héros sont finalement assez génériques malgré leur évolution  et qu’on ne retrouve pas le plaisir qu’on peut avoir dans un hack & slash à équiper ses personnages et à trouver des objets rares. A la rigueur ce serait vraiment intéressant si on pouvait débloquer des compétences actives lors des combats avec des choix qui modifieraient les tactiques mais je n’ai pas vu de telles options offertes.

Et pourtant dynamiser les combats ne serait pas du luxe. Surtout qu’à l’heure actuelle l’IA est basique et vous déclare la guerre systématiquement. Donc inutile d’investir pour faire des cadeaux diplomatiques ou autres traités démontrant votre sagesse et votre amour pour les peuples alentours puisque de toute manière vous devrez croiser le fer. Rien d’inquiétant puisque “bêta” oblige c’est totalement assumé par les développeurs qui n’ont pas encore travaillé sur le sujet de la diplomatie. Malheureusement les combats tactiques semblent eux globalement en place pour leur part. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils sont aussi passionnants que ceux d’Endless Space (voir notre test), ce qui n’est pas un compliment. Pour des raisons qui m’échappent encore, j’ai vu des retours très positifs sur le fait que les affrontements se tiennent directement sur la carte de campagne et non sur une carte générée à part.

Certes c’est un choix de gameplay, mais cet argument présente à mon sens peu d’intérêt puisqu’il vaut mieux compter sur des cartes tactiques bien pensées (même si elles ne reproduisent pas tout à fait le relief que l’on voit sur la carte stratégique) que sur des champs de batailles qui n’offrent pas toujours des caractéristiques intéressantes. Ce point reste un détail à côté de la palette d’outils tactiques qu’on a à disposition lors des batailles. Grosso modo il faut tenir compte de l’élévation du terrain et ensuite choisir entre défendre, attaquer et tenir ses positions.

Sans caricaturer cela ne va pas bien chercher plus loin que ça. Il ne nous reste qu’à choisir chacune de ces options pour nos troupes et ensuite on passe à la phase de résolution avec activation des unités dans l’ordre de leur niveau de réactivité. Pour la toute première fois dans un jeu de ce genre, j’ai préféré opter pour les résolutions automatiques des combats. Le pire c’est que ces dernières sont souvent à l’avantage du joueur si bien qu’il n’y a a priori aucun ou très peu d’intérêt à régler les affrontements manuellement. Si le reste du jeu est déjà solide ou prometteur, en l’état je suis vraiment sceptique sur les batailles car les mécanismes actuels semblent vraiment trop limités. Mais une fois de plus, cela ne surprendra que les gens n’ayant jamais joué à Endless Space

En un sens Endless Legend a tout du bon élève. Assez sérieux pour réciter sa leçon sans faire d’erreur et assez malin pour faire croire qu’il a de l’imagination. Mais en a-t-il vraiment tant que ça ? Impossible de juger sur un jeu en Early Access qui par essence n’offre pas un jeu complet. Le niveau de finition est déjà très réussi pour une “alpha” et la présentation générale bénéficie d’un soin admirable.

NDLR : à voir aussi en complément de cet article la présentation réalisée par Socros en avril dernier, vidéo découverte montrant en détail un début de partie avec une ancienne version du jeu.

 

Reste qu’en grattant le vernis on s’aperçoit rapidement que le jeu est parfois trop superficiel. Néanmoins derrière certains mécanismes simplifiés on devine aussi tout un potentiel pour des parties en multijoueur. En l’état, sauf bien sûr pour soutenir directement le studio, mieux vaut patienter jusqu’à la sortie plutôt que de s’aventurer dans cette version en Accès Anticipé, prometteuse mais encore trop limitée pour être convaincante.