Des siècles durant, l’Europe orientale et le Proche-Orient (ainsi que d’autres régions) vécurent sous la menace d’invasions de nombreux peuples nomades : les fameux Huns à la fin de l’Antiquité bien sûr, mais aussi les Turcs et les Mongols pour le Moyen-âge, période représentée dans Crusader Kings II, qui reçoit là une nouvelle et sympathique extension. Son thème promet beaucoup : lesdits peuples balayèrent tout sur leur passage, poussèrent jusqu’à l’Adriatique (Mongols en 1242) puis se sédentarisèrent pour certains, créant à leur tour d’immenses empires sur les ruines des précédents. Prenons pour exemple les Ottomans à la fin de l’époque médiévale.

Or, l’auteur de ces lignes, passionné par l’histoire de ces populations, ne pouvait que bouillir à l’idée de les voir représentés à nouveau en jeu… Des années après avoir tourné et retourné la campagne d’Age of Empires II consacrée à Gengis Khan ! Voyons donc ce que cette 8ème extension majeure de CK II nous réserve.

Conduis ta horde, grand khân

Il est donc possible d’incarner un des seigneurs de la steppe, dont le fameux Gengis Khan lui-même. Pour l’occasion, outre l’habillage graphique, bon nombre de choses ont été repensées et se démarquent du caractère « tribal » de certaines puissances, et qui existait déjà avant Horse Lords. Ainsi, les nomades, sans cesse en mouvement, n’ont pas vraiment d’établissements permanents mais prennent en compte une population totale, nouvelle valeur qui leur sert surtout à lever des troupes, cette société étant par essence guerrière.

Évidemment, en termes de jeu le joueur d’une faction nomade contrôle des provinces, mais sa gestion de celles-ci sera différente vu qu’il fait irruption plus ou moins longtemps dans un monde de sédentaires. Il peut par exemple se « contenter » de les piller, pour ajouter de l’argent à son trésor. Ce faisant, il laisse derrière lui un espace ravagé, mais s’il était trop exposé aux coups des ennemis, cela ne le souciera guère. Par contre, il lui faudra jeter un œil très attentif aux divers clans qui composent son peuple. En effet, les nomades comme les Mongols étaient connus pour leurs divisions importantes entre grandes familles, parfois surmontées par un chef charismatique comme Gengis Khan, ou plus tard le turco-mongol Tamerlan.

Attention, donc, aux coups fourrés de la part des autres familles, aux tentatives de vous renverser, etc. Cet aspect-là est plutôt bien rendu… C’est aussi le cas des successions, grave problème qui empêcha beaucoup de clans de rester unis et vit des empires immenses se fragmenter parfois beaucoup, nuisant à leur survie ultérieure. Ainsi, l’héritier sera, dans le jeu, le plus prestigieux des frères ou fils du souverain, même s’il est possible de se servir de mercenaires pour inverser la tendance… Mercenaires plus présents qu’avant et plutôt bien modélisés. Ils sont utiles pour imposer un tribut à vos adversaires, sortes de rentes qu’ils vous verseront régulièrement. La méthode fut largement employée par les peuples dont on parle qui, du fait de leur puissance purent imposer des sommes à verser très importantes en leur faveur. Attila faisait déjà cela quelques siècles auparavant…

Notons la présence de la religion traditionnelle des Mongols, le tengrisme. Elle s’accompagne de nouvelles fonctionnalités et caractéristiques, on s’en doute. Il est également prévu que les nomades puissent se convertir à une  autre religion, comme cela s’est produit dans l’Histoire. Ainsi, les Khazars devinrent juifs (ce qui était déjà jouable dans l’extension Sons of Abraham, voir notre test), les Mongols se heurtèrent aux chrétiens Nestoriens, bien présents en Asie centrale… Et de nombreux princes turcs embrassèrent la foi musulmane en arrivant au contact du monde  perse puis arabe, et en se sédentarisant…

Sédentarisation également prévue dans le jeu : un peuple nomade peut s’arrêter dans une zone où il est suffisamment implanté et devenir peu à peu une puissance féodale comme les autres. C’est très bienvenu en termes de jeu, car c’est ce qui arriva à une population comme les Hongrois, longtemps païens, avant de se fixer dans leurs limites plus ou moins actuelles, et de devenir les champions de la chrétienté contre les Turcs. Ces mécaniques complexes trouvent donc leur réponse en jeu. On appréciera aussi qu’il ait transformé de nombreuses provinces injouables d’Asie centrale en steppes qui forment des zones de départ des nomades, avec les limites que j’ai introduites plus bas néanmoins.

Notons aussi que plusieurs provinces peuvent servir à bâtir des comptoirs qui symbolisent la fameuse route de la soie, les nomades ayant toujours été commerçants avec les sédentaires. C’est plutôt bienvenu et rajoute de l’intérêt au contrôle de certaines de ces provinces qui apportent de bons bonus économiques. Par contre, en temps de guerre, il faudra veiller à les protéger, car elles peuvent être prises, et la route coupée.

Le joueur sédentaire peut prendre tout ce qui a été dit en compte pour les contrer, ou agir comme les souverains historiques en montant les nomades les uns contre les autres, ce que fit par exemple Byzance en utilisant les Coumans contre les Petchenègues, qui menaçaient grandement son existence.

 

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Les caractéristiques du Tengrisme.
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Le Khan choisit un nouveau cheval de guerre, important dans un peuple de cavaliers.
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Les nomades ont leurs propres installations.
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Diviser pour mieux régner !
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Les caractéristiques des nomades… Encore une fois mal traduites (passages en anglais…) !
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La gestion épineuse des clans de sa faction.

 

Les limites

Pourtant, le jeu ne rend pas forcément toute la complexité du phénomène nomade… Tout d’abord car son aire géographique ne couvre pas leur région d’origine pour la période qui nous intéresse : l’Asie centrale et la Haute-Asie, notamment la fameuse Mongolie. Par contre, le Nord de l’Inde est effectivement présent depuis Rajas of India (voir notre test) ce qui est une bonne chose pour notre sujet, car elle fut aussi l’objet d’invasions et les nomades contribuèrent directement à créer le puissant empire Moghol.

A mon sens, le fait que le reste soit tronqué est nuisible à la bonne compréhension et modélisation de la chose : on se retrouve avec la seule extrémité occidentale de la sphère d’influence nomade… Sans vraiment savoir d’où ils viennent ni pourquoi, et ce alors que leur puissance s’étendait très loin en Asie et qu’elle en venait tout simplement. Il suffit de regarder quelques cartes pour s’en rendre compte.

D’ailleurs, si certains peuples représentés comme les Coumans que j’ai déjà cités, restèrent durablement dans certains espaces, les Mongols ne firent « que » passer dans beaucoup de zones (Europe centrale et orientale). Heureusement, il reste la Russie où ils s’implantèrent durablement, y compris en s’agglomérant avec des Turcs, comme le prouve la longue existence du Khanat de Crimée, conquis en 1783 seulement par Saint-Pétersbourg.

De plus, le jeu peine à rendre l’essence même du combat mongol et nomade au-delà : ils avaient de l’infanterie et des machines de siège, dont l’art a été appris des Chinois, certes…

Mais ils sont surtout des cavaliers-archers qui harcèlent leurs adversaires, qui pratiquent la terre brûlée, et se retirent parfois des semaines en arrière pour attirer leurs ennemis et mieux les confondre… En effet, mobiles, ils ne sont pas attachés à la terre comme d’autres peuples. En outre, j’ai dit auparavant l’immensité des terres qu’ils pouvaient contrôler. Une telle caractéristique et profondeur n’est donc pas forcément bien rendue en jeu, d’autant plus que des régions entières furent régulièrement pillées, traversées sans qu’ils s’installent où cherchent à faire le siège de toutes les villes. Détaillons un exemple pour mieux comprendre…

Ainsi en 1241-1242, où l’armée mongole, dirigée par les chefs Subötaï et Batu, traverse successivement la Pologne, la Roumanie actuelle, la Hongrie… Avant de pousser jusqu’en Croatie, et même Autriche. Pour finalement revenir totalement sur ses pas : le fils de Gengis khan est mort et Batu doit être présent à Karakorum pour la succession. Or cette ville est en Mongolie…

Notons aussi leur victoire-éclair sur les Turcs et les Mamelouks quelques années après : ils vont jusqu’en Syrie mais n’y restent pas pour diverses raisons. En termes de jeu, ça paraît difficilement faisable (je n’ai pas dit impossible !). Pourtant, ils vainquirent tous les ennemis ou presque sur leur route, dont les fameux Templiers et les puissants Seldjoukides, grands vainqueurs de Byzance à Mantzikert en 1071…

Plus tard, Tamerlan que j’ai déjà cité retarda la chute de Constantinople d’au moins 50 ans en écrasant à nouveaux les Turcs… Lames de fond qu’on a du mal à imaginer et même comprendre de nos jours.

Or dans le jeu, il faut assiéger patiemment et minutieusement les différentes entités qui composent les provinces, ce qui est souvent très long et ne reflète pas vraiment ce qui a pu se faire ni la rapidité et l’intensité des invasions… Certes, cela serait plutôt vrai en Chine où les Nomades ont mis près de 40 ans à conquérir l’ensemble et firent de longs sièges. Mais ce n’est pas la même configuration et cette zone n’est pas représentée dans le jeu. Or, ils cherchaient là à s’installer durablement, et installèrent même leur dynastie, celle des Yuans. Ce sont eux qui y reçurent le célèbre Marco Polo.

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La nombreuse armée mongole déferle sur la Perse…
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L’option de pillage.
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Les puissances nomades peuvent se sédentariser et devenir des états féodaux…
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Les nomades n’ont pas besoin de justification pour faire la guerre…
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… et s’empare de la route de la soie.
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Aperçu de quelques puissances nomades, dont les Coumans.
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… voilà le résultat que cela peut prendre.
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En pleine levée de horde.

Pour conclure

Horse Lords est une extension sympathique, qui renouvelle très bien le jeu, mais ne rend pas forcément très bien tous les aspects de la longue domination des nomades et de leurs successeurs sédentaires. A réserver aux passionnés de ces peuples si particuliers. Terminons en notant que le patch 2.4 (voir ce changelog), qui va avec l’extension, se concentre surtout sur les bugs et n’apporte pas de contenu révolutionnaire. Enfin, pour ceux qui souhaiteraient une synthèse courte et claire sur la question, pour mieux comprendre ce phénomène et leurs motivations, je conseille Les empires nomades de Gérard Chaliand.

  • Revivre l’épopée unique des peuples nomades.
  • Pouvoir sédentariser sa tribu et s’installer durablement.
  • Incarner à nouveau Gengis Khan dans un jeu vidéo.
  • Le jeu peine à représenter les longues chevauchées et raids des nomades.
  • Nous n’avons qu’une « petite » zone géographique par rapport à la formidable aire d’extension de ces peuples d’Asie centrale.
Infos pratiques

Date de sortie : 14 juillet 2015

Studio – Éditeur : Paradox Interactive

Site officiel : www.crusaderkings.com ; fiche sur Steam ; fiche chez Paradox ;

Prix :  14, 99 € (téléchargement)

 

A lire en complément nos tests des DLC Charlemagne, The Legacy of Rome, The Republic, Sword of Islam, The Old Gods , Sons of Abraham, Rajas of India ou encore Way of Life. Ainsi que celui de Crusader Kings 2.

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